sexta-feira, 5 de junho de 2015

Paul Morand, la fascination d'un explorateur


 
«Résumé : Une étude qui montre la fascination de Morand pour les Noirs à la fin des années 1920, ainsi que l’évolution des positions de l’écrivain, mais qui aurait gagné à se fonder sur une analyse historique, politique et idéologique plus approfondie.

Dans la seconde moitié des années 1920, Paul Morand a publié plusieurs ouvrages consacrés à la « race noire » – principalement un recueil de nouvelles, Magie noire, et deux récits de voyage, Paris-Tombouctou et Hiver caraïbe. Son attention, ensuite, s’est portée sur d’autres thèmes et d’autres sujets. Il existe donc bien, dans la carrière de l’auteur, un moment particulier qui coïncide avec un intérêt et une curiosité indéniables pour « toutes les formes de la culture noire ».

C’est ce moment que Dominique Lanni s’attache à mettre en évidence en le resituant dans le parcours de l’écrivain. Le livre aborde la question des Noirs et de leur représentation à travers une analyse mêlant repères biographiques et commentaire des œuvres – commentaire ou, parfois, paraphrase, car l’un des défauts de l’étude est de consacrer beaucoup de temps à résumer les histoires racontées par Morand, au détriment d’une analyse historique qui aurait mérité d’être plus fouillée.

Certes, Dominique Lanni a raison de montrer que la rédaction des œuvres est intimement liée aux voyages que Morand – souvent en compagnie de sa femme – a effectués à cette époque aussi bien en Afrique qu’aux Antilles et en Amérique du Nord. Dans cette perspective, il est tout à fait judicieux de rappeler que certaines situations ou certaines descriptions ont pu être inspirées par des rencontres ou des visites faites par l’écrivain. Mais cette approche à la Sainte-Beuve ne suffit pas pour appréhender une question aussi chargée d’implications idéologiques et politiques que celle de la tentative de représentation d’une « race » sous tous ses aspects par un auteur occidental, à l’époque de la colonisation triomphante.

L’étude souligne les contradictions et les évolutions de la pensée de Morand, qui passe en quelques années d’une fascination pour l’énergie des Noirs, capables de régénérer – ou tout au moins de ranimer provisoirement – un Occident épuisé, à une vision plus pessimiste des relations entre les peuples, fondée sur le rejet du métissage ; mais elle ne replace que superficiellement ces discours dans leur contexte, si bien qu’elle fournit rarement l’éclairage nécessaire pour en comprendre tous les enjeux.

Prenons quelques exemples. L’influence de Gobineau sur l’écrivain est présentée comme un phénomène logique dans l’entre-deux-guerres : « Morand a lu et pratiqué l’Essai sur l’inégalité des races humaines de Gobineau et La Mentalité primitive de Lévy-Bruhl, qui font à l’époque autorité en anthropologie et constituent la doxa en matière de savoirs sur les races » . Or, s’il n’est pas faux de dire que Lévy-Bruhl « fait autorité » en matière d’anthropologie durant les années 1920, il est en revanche plus discutable d’écrire la même chose au sujet de Gobineau, dans la mesure où ses travaux, notamment son Essai sur l’inégalité des races humaines, ont souvent été accueillis avec circonspection dans les milieux scientifiques. Cela signifie donc que Morand ne se contente pas de reprendre à son compte des représentations courantes de son temps, mais choisit, parmi les discours qui s’offrent à lui, de s’inspirer de l’un des plus radicaux et des plus déterministes, ce qui est le signe d’une vision particulièrement différencialiste du monde.

Autre exemple, celui de l’évocation du milieu familial de l’écrivain : « Le petit Paul est-il déjà sensible à ces questions de race ? Rien n’est moins sûr. Paul Morand est issu d’un milieu ouvert aux arts plus qu’à la politique » . Non seulement cette remarque méconnaît l’imbrication existant entre les arts et la politique, surtout au tournant du XIXe et du XXe siècle, mais en plus elle laisse penser que la question des races n’aurait préoccupé qu’une portion spécifique de la population française, traditionaliste et conservatrice, éloignée du milieu à la fois libéral et républicain dans lequel Morand a grandi. Or, les choses étaient plus compliquées. L’universalisme républicain, en effet, ne suffisait pas toujours à dépasser une vision racialiste du monde ; bien que théoriquement opposées, les deux approches se mêlaient souvent, à des degrés divers, chez les acteurs de l’époque.

Quant à la fameuse énergie que Morand croit trouver chez les populations noires, on n’en saisit vraiment les implications que si on la met en relation avec les idées de décadence et d’épuisement de l’Occident, très présentes dans la littérature de l’entre-deux-guerres. Dans ces conditions, il n’est pas surprenant que des images comme celles de l’électricité ou de la décharge électrique s’appliquent aussi bien à l’Afrique mystérieuse qu’à la métropole américaine moderne, l’une et l’autre s’opposant, aux yeux de l’écrivain, à une civilisation européenne subtile, raffinée, mais à bout de souffle. En fait, le motif de l’énergie vitale des Noirs participe d’une vision primitiviste plus répandue qu’on ne le croit, puisqu’on en trouve des échos aussi bien chez des auteurs de droite que chez des auteurs de gauche, y compris au sein du mouvement surréaliste. Ces questions sont abordées dans l’ouvrage, mais elles auraient mérité de faire l’objet de plus amples développements.[...]»

Ler mais...

Troubles dans les classes populaires


 
«Les études sur les classes populaires n’ont pas toujours été attentives aux rapports de genre. Dans une ethnographie magistrale, B. Skeggs montre que l’ordre des sexes et des sexualités s’impose à l’école et n’a rien d’un partage des tâches immuable.

Le livre de Beverley Skeggs récemment traduit par les éditions Agone est plutôt « décoiffant » vu depuis la sociologie française des classes populaires (plus souvent focalisée sur les ouvriers s’agissant des jeunes et sur l’espace domestique s’agissant des femmes). Les jeunes des milieux populaires sont ici des femmes, des femmes qui ne sont ni des mères, ni des épouses et qui vivent dans une région du nord-ouest de l’Angleterre où le taux d’emploi féminin est traditionnellement fort. Ce livre met ainsi en lumière l’entre-soi des jeunes femmes de milieux populaires, observé au lycée, dans les sorties au pub ou en boîte de nuit. Bien que l’enquête ait été menée au cours des années 1980-1990, ce livre est également d’une actualité saisissante : ces jeunes femmes sont alors déjà massivement encouragées à faire valoir leur supposé dévouement aux autres (caring) sur le marché du travail et à s’investir dans les emplois de la prise en charge de l’enfance et de la vieillesse.

Une enquête intime

La ligne de force de l’ouvrage réside dans l’insertion ethnographique de très longue durée, qui nous permet d’entrer en profondeur dans l’univers de ces jeunes femmes. Le dispositif d’enquête n’est pas nouveau mais suffisamment rare pour être souligné : enseignante dans un collège (un petit établissement préparant au brevet, au baccalauréat mais comportant aussi des filières professionnelles), Beverley Skeggs a choisi d’enquêter auprès de 83 jeunes femmes élèves dans trois parcours professionnels : le Travail social, Paramédical et l’Aide à domicile. Elle a suivi leur trajectoire pendant plus de dix ans, à un moment d’intense recomposition des milieux populaires affectés aussi bien par la montée du chômage que par la désagrégation politique orchestrée par le gouvernement Thatcher.

Même s’il n’est pas besoin, c’est évident, d’être de milieux populaires pour les étudier et les comprendre, on perçoit toutefois combien l’origine et l’expérience de la sociologue constituent une ressource sans laquelle cette enquête ne serait pas ce qu’elle est. [1]
La mère de Beverley Skeggs était femme de ménage, travaillant également dans une cantine scolaire, tandis que son père docker, parvint par des cours du soir à devenir employé de banque. Outre cette origine modeste, les premiers pas dans la vie adulte de l’auteure ont été très proches de ceux des jeunes femmes qu’elle étudie puisqu’elle a quitté l’école à 16 ans, sans qualifications et s’est inscrite dans une formation d’aide aux personnes, se fiançant même à 18 ans… La combinaison de cette expérience partagée – avoir vécu soi-même certaines dimensions de la vie de ces femmes et avoir peut-être ressenti l’enfermement dans cette destinée – et du dispositif d’enquête – voir quasi quotidiennement ces femmes pour l’enquête une fois qu’elle-même s’est échappée de cette condition – permet à la sociologue d’aller très loin dans le dévoilement de l’intimité et nourrit la finesse du questionnement. Beverley Skeggs s’attache en effet à mettre au jour les formes de domination subies par ces femmes constamment jugées par les autres mais sans jamais oublier qu’« elles sont aussi des sujets qui produisent elles-mêmes le sens des positions qu’elles occupent ou qu’elles refusent d’occuper ».

Beverley Skeggs s’est échappée de la formation professionnelle qui la prédestinait aux emplois familiaux et est parvenue à accéder à l’université en devenant une grande lectrice, tous azimuts, de sociologie, de philosophie, de science politique... Ce parcours intellectuel spécifique se donne à voir dans l’éclectisme des références mobilisées pour analyser ses matériaux : elle puise chez Bourdieu, Foucault, Butler, Raymond Williams, le Black Feminism, Scott, Connell... D’aucuns y verront peut-être une faiblesse théorique. Et en un sens, il est vrai que la discussion des concepts et des auteurs prend parfois le pas sur l’exposition des matériaux, qu’on aurait aimé encore plus nombreux. C’est pourtant ce bricolage intellectuel – et une certaine distance de fait à l’académisme – qui permet à la sociologue de sortir des sentiers battus sur les milieux populaires et de remettre en cause très subtilement des catégories produites par la sociologie pour penser les femmes de ces milieux.

Un entre-soi féminin

Beverley Skeggs s’intéresse à la façon dont ces jeunes femmes se construisent simultanément une identité de classe et de genre en approfondissant cinq thèmes : les dispositions au dévouement travaillées dans ces formations professionnelles, le rapport de ces jeunes femmes aux classes populaires, à la féminité, à la sexualité et au féminisme. Avec la préface d’Anne-Marie Devreux (p. 7-32) – qui situe l’ouvrage dans l’ensemble des recherches de la sociologue et met en évidence le fil directeur féministe qui les guide –, avec la postface de Marie-Pierre Pouly [2] – qui met en lumière les apports de l’ouvrage à une sociologie de la domination culturelle tout en les discutant – mais aussi avec le texte de Marie Cartier [3] publié en 2012, on dispose déjà en France d’une présentation détaillée et variée de chacun des thèmes abordés par ce livre. On trouvera notamment dans l’article de Marie Cartier une analyse des apports de Beverley Skeggs à une sociologie du « care » qui rompt avec le maternalisme et s’efforce de distinguer à partir des matériaux empiriques le fait de faire quelque chose pour les autres (caring for) et le fait de se préoccuper des autres (caring about). Ces dimensions étant déjà largement traitées, je propose d’insister sur certains points moins centraux dans ce livre mais que je trouve éclairants pour la réflexion que j’ai entamée ailleurs sur les formes de résistances collectives, de solidarité de classe et de politisation ordinaire chez les femmes de milieux populaires.

Dans des passages assez truculents des chapitres consacrés à la féminité et à la sexualité, le livre met en scène des moments très forts de collectif entre ces jeunes femmes comme lors de leurs sorties au pub. On imagine très bien l’effet produit par ces groupes de femmes rigolardes, bruyantes et soudées, lorsqu’elles arrivent en boîte. Elles utilisent les signes de la féminité tels qu’ils leur sont imposés (par la tenue vestimentaire notamment) tout en s’en amusant et en les tournant en ridicule par leurs manières d’être collectivement dans l’espace public, perçues comme outrancières, tapageuses, grossières. Beverley Skeggs qualifie ces moments de « mascarades vestimentaires ». Même évocation frappante lorsque l’auteure décrit un petit collectif se formant pour humilier un professeur en l’embarrassant avec des propos sexuels crus et directs. Des jeunes femmes de l’option Aide à domicile et de l’option Travail social se lancent dans une discussion (suffisamment audible par la classe) sur le sexe de leur professeur. Cela donne par exemple : « Ben mon salaud, qu’est-ce que tu pourrais bien faire avec ça, pas grand-chose » (Mandy). « J’peux pas croire qu’il ait des gosses avec un truc si petit, on voit pas trop comment il pourrait le lever » (Thérèse)… Face aux préjugés de leurs professeurs sur une sexualité des milieux populaires qu’il faudrait éduquer et encadrer (Karen, une élève, raconte furieuse la plaisanterie que lui a faite ce même professeur un matin en lui demandant si elle s’était levée du pied gauche et ajoutant : « Ok, mais de quel lit ? »…), ces jeunes femmes savent parfois retourner collectivement la situation. Beverley Skeggs insiste aussi sur l’identification positive de ces jeunes femmes à la mobilisation des femmes des mineurs en grève en 1984-1985, une dimension très présente dans les propos de ses enquêtées. En somme, ces femmes créent un entre-soi proche de celui mis en évidence pour les hommes de leur milieu (fondé notamment sur l’hédonisme et la camaraderie) et expriment, tout autant que les hommes, des formes de résistances collectives et de solidarité de classe.

L’imposition scolaire d’un ordre sexuel

Souligner cette dimension permet d’insister sur un autre intérêt de l’étude de ces formations professionnelles centrées sur le soin et hyperféminisées. À partir de la sociologie des classes populaires, on aurait tendance à prendre pour une donnée les divisions sexuées au sein des milieux populaires (en les internalisant comme un trait des familles populaires) et ce faisant à considérer implicitement que la solidarité de classe est vouée à se jouer sur des scènes séparées, voire concurrentes, pour les hommes et les femmes de ces milieux. Beverley Skeggs nous permet d’entrevoir les continuités entre les pratiques de sociabilité et de résistances collectives des hommes et des femmes de ces milieux ; elle nous permet aussi de mieux saisir le rôle décisif de l’école dans la fabrique des divisions sexuées : l’école oriente vers des filières ségréguées et façonne des ethos sexués, qui ne lui préexistent pas forcément.

Les jeunes femmes qu’elle a rencontrées, tout en assumant pour certaines des tâches domestiques importantes dans leur famille, ne sont pas pour autant gagnées à l’idéologie du dévouement sans conditions pour les autres. Il y a là-dessus le très bel (et drôle) exemple d’Ann : pendant un cours, à la question de savoir si elle serait prête à renoncer à aller au cinéma pour garder l’enfant d’une amie, Ann répond positivement conformément aux attentes de son professeur. Rediscutant plus tard de cet exercice avec la sociologue, Ann tempère sa réponse et lui explique que ça dépendrait quand même du film (si c’est flashdance elle refuse !) et pointe à sa manière la simplicité du test : mais si c’est pour aller au cinéma que cette amie veut faire garder son enfant, qu’est-ce qu’on fait ? Skeggs fait apparaître de manière inédite le rôle spécifique joué par l’institution scolaire – les professeurs hommes et femmes de milieux bourgeois notamment mais aussi le cadre imposé par l’État – dans la fabrique des dispositions au dévouement de ces jeunes femmes de milieux populaires. Et plus précisément, elle met en évidence le rôle de l’institution scolaire dans la mise en œuvre des processus cognitifs qui conduisent ces jeunes femmes à intérioriser une manière de servir les autres, à estimer qu’elles doivent faire passer l’intérêt de celles et ceux pour lesquels elles travaillent avant leurs propres intérêts.[...]»

Ler mais...

quarta-feira, 3 de junho de 2015

Myriam Benraad, Irak, la revanche de l´histoire, De l’occupation étrangère à l´État islamique


 Irak, la revanche de l'histoire
«1Le livre de Myriam Benraad met en perspective la transition géopolitique que subit le Moyen-Orient et en particulier l´Irak. Pour comprendre l´émergence de l´État islamique en Irak, il importe de se référer à des temporalités historiques différentes, l´État islamique se revendiquant de l´époque du premier califat. En réalité, il constitue véritablement une recomposition de différentes connivences politiques provoquées par la chute du régime de Saddam Hussein et l´occupation américaine. Saddam Hussein s´est longtemps présenté comme l´ultime défenseur du monde arabo-musulman tout en affichant une vitrine laïque et multiconfessionnelle. C´est ce double registre qui lui a permis de maintenir son pouvoir, la révolution iranienne de 1979 l´ayant poussé à davantage investir le langage théologico-politique. Pendant la seconde guerre du Golfe, le dictateur s´était référé au siège de Médine de 627 et à la traîtrise d´Ibn al-Alqami, ministre chiite qui avait fomenté un complot contre le calife Al Moutassem (833-842)1.

  • 2 Myriam Benraad, Irak, la revanche de l´histoire, De l´occupation étrangère à l´État islamique, (...)
  • 3 Myriam Benraad, Irak, la revanche de l´histoire, De l´occupation étrangère à l´État islamique, (...)
  • 4 Myriam Benraad, Irak, la revanche de l´histoire, De l´occupation étrangère à l´État islamique, (...)
2Après la chute de Saddam Hussein en 2003, la résistance à la présence américaine s´est concrétisée par la complicité entre milieux baasistes et djihadistes. Myriam Benraad met en évidence une logique d´agrégat des résistances en évoquant également la filiation salafiste. Son livre est truffé de portraits de leaders concurrentiels en insistant sur la multiplicité des facteurs, géographiques, religieux et politiques. En l´occurrence, sa thèse peut être énoncée de la manière suivante : l´émergence de l´organisation État islamique repose sur l´échec du fédéralisme, le retrait prématuré des troupes américaines faute d´avoir soigné la transition et l´humiliation des sunnites après la chute de Saddam Hussein. Le « réveil des tribus »2 sunnites a été long, mais il s´est accéléré au début des années 2000. En outre, la « débaasification » de l´Irak a fait surgir une pluralité d´acteurs revendiquant une légitimité politique dans la reconstruction du pays. Pour les Sunnites, nous trouvons par exemple le Comité des oulémas musulmans3 formé par le cheikh sunnite Hareth Soulayman al-Dahri qui contestait la présence des occupants américains après 2003. À l´opposé, d´autres forces sunnites rejoignent le gouvernement transitoire avec le Parti national démocratique de Nasser al-Chadarchi, le Mouvement des démocrates indépendants d´Adnan al-Pachachi4 et le Parti islamique irakien. Cette partition des mouvances sunnites est au cœur des difficultés du pays.

  • 5 Myriam Benraad, Irak, la revanche de l´histoire, De l´occupation étrangère à l´État islamique, (...)
  • 6 Myriam Benraad, Irak, la revanche de l´histoire, De l´occupation étrangère à l´État islamique, (...)
  • 7 Myriam Benraad, Irak, la revanche de l´histoire, De l´occupation étrangère à l´État islamique, (...)
3Le siège de Fallouja est déterminant dans l´analyse des troubles en Irak. Fallouja est une ville historique importante avec des origines babyloniennes. « Son champ religieux se décline autour de trois grandes tendances : des confréries soufies, une branche des Frères musulmans et une mouvance islamiste autrefois quiétiste et aujourd´hui politisée »5. Myriam Benraad montre d´ailleurs que c´est dans cette ville marchande et profondément religieuse que se jouent les clivages théologico-politiques fondamentaux. Les mouvements soufis se déclinent autour de deux écoles de pensée : la Qaderiyya liée historiquement au théologien Abd al-Qader al-Gaylani mort à Bagdag au XIIsiècle et la Naqchbandiyya, héritière du théologien Bahaouddin Naqchband et présente en Irak depuis le XIIIsiècle. Ces deux mouvements ont participé à la résistance contre la présence des troupes américaines6. Un Conseil des moujahidin est constitué en avril 2004 et l´émirat de Fallouja, en tant que régime islamiste, est institué avec la terreur, la prohibition et l´imposition de la chari´a7. Cette ville est devenue en même temps le sanctuaire de la résistance à l´occupation américaine et le laboratoire des réseaux djihadistes. Au fond, en 2004 et en 2005 se joue déjà ce qui s´est produit par la suite dans tout le pays. L´opération militaire du 4 avril 2004 (Vigilant Resolve) s´est soldée par un échec. L´administration de Paul Bremer (gouverneur américain transitoire de l´Irak) a peiné à contrôler cette enclave devenue de facto martyre. L´humiliation sunnite a été à son paroxysme et s´est traduite par un fort sentiment de revanche.


  • 8 Myriam Benraad, Irak, la revanche de l´histoire, De l´occupation étrangère à l´État islamique, (...)
  • 9 Ibid., p. 151.
  • 10 Ibid., p. 150.

4Les élections législatives du 30 janvier 2005 ont vu la victoire des chiites et des kurdes et une réorganisation des rapports de force politiques en Irak. Dans le même temps, la menace salafiste s´est faite plus pressante avec l´adoubement d´Al-Zarqawi par Al-Qaïda en 2004 et auparavant un manifeste rédigé par deux djihadistes irakiens, Abou Fadel al-Iraqi et Abou Islam al-Ansari. Comme le constate l´auteure, « à la fin de l´année 2006, la salafisation du soulèvement sunnite a permis à Al-Qaïda d´imposer son primat idéologique et militaire, tout en enclenchant une dynamique de communautarisation parmi les populations sunnites »8. C´est le 12 octobre 2006 qu´une alliance politique des mouvements sunnites annonça la création de l´État islamique d´Irak (Dawla al-´Iraq al-islamiyya) sous l´autorité d´Abou Omar al-Baghdadi9. Ces mouvances se réfèrent explicitement à l´époque du prophète puisqu´elles scellent une Alliance des embaumés (Hilf al-mutayibin), « formule renvoyant au serment d´entraide qui avait été conclu entre les membres du clan Mahomet, les Banou Hachem, et scellé par du parfum »10. L´échec du fédéralisme a provoqué une facture communautariste très profonde avec un risque d´élimination de certaines minorités. Le livre offre une image géopolitique précise de la relation entre les grandes puissances dans la région. La Turquie, l´Iran et l´Arabie Saoudite jouent plus un rôle de déstabilisation en raison de leur concurrence.[...]»

Ler mais...

Friends : le choix des libertés

 
«Résumé : La série américaine culte comme miroir d’une nouvelle génération. 

Professeur en études américaines à l’université du Havre, Donna Andréolle travaille à la fois sur les féminismes contemporains et sur de grandes séries télévisées américaines. Ce sont ces deux champs d’études qu’elle croise ici avec ce petit ouvrage consacré à l’une des séries les plus célèbres qui soit : Friends. Créée par David Crane et Martha Kauffman, diffusée entre 1994 et 2004, longue de dix saisons, cette série a rencontré un immense succès public et critique, qui lui a assuré à la fois une longévité remarquable pour une sitcom, et une place de choix dans l’imaginaire contemporain. C’est précisément cette place que D. Andréolle interroge ici. Friends met en scène la culture, les valeurs et les problèmes d’une nouvelle génération, la « génération X ». La série reflète également les évolutions technologiques : premiers ordinateurs et téléphones portables, apparition d’Internet ; mais c’est surtout sur le plan sociologique que son message est intéressant. A bien des égards, la génération de Chandler, Ross, Joey, Monica, Phoebe et Rachel est au cœur de nombre de bouleversements sociaux qui continuent à nous porter.

C’est, tout d’abord, la première génération à s’affranchir du modèle de la famille nucléaire portée par la classe moyenne. La série s’ouvre significativement sur l’arrivée de Rachel, dans sa robe de mariée : celle-ci vient de fuir son mariage, refusant la vie toute tracée qui s’étendait devant elle. Et Monica peut alors, pour la consoler, lui souhaiter la bienvenue « dans le monde réel », en précisant que « c’est nul... tu vas adorer ». Le meilleur exemple de cette émancipation est probablement Ross : marié et divorcé trois fois, il a un enfant avec son ex-femme lesbienne, et un autre avec Rachel, avec qui il finit par vivre en union libre. Phoebe, quant à elle, jouera le rôle de mère porteuse pour son demi-frère... Refus des modèles, donc ; mais aussi nouveaux modèles. Friends propose un nouveau mode d’être ensemble, la colocation, plaçant l’amitié au cœur des rapports sociaux. D. Andréolle propose le concept de « marginalité normative » pour penser ce rapport contrarié aux modèles sociaux et économiques. C’est selon elle la cohabitation de « la notion de résistance permanente à la culture de marchandisation et [d’] un désir latent d’intégration dans le monde des adultes » . On assiste également à une résistance à la culture de marchandisation, les personnages se moquent globalement de leurs emplois, n’ont pas de voiture, ont un rapport très détaché à l’argent. Mais le désir d’intégration est identifiable, les personnages tendent au final à rentrer dans le rang, même l’excentrique Phoebe se marie dans la dernière saison, et on voit Monica et Chandler acheter une maison en banlieue pour y élever les enfants qu’ils viennent d’adopter. Arrivée à l’âge adulte, la génération X peut « se fondre dans la société dominante » .

 
Le retour à la banlieue est particulièrement lourd de sens, car la ville est un cadre majeur de la série. Même si la série a été entièrement tournée en studios, New York est omniprésente, dès le générique ; et l’auteure sait notamment montrer que le 11 septembre 2001, apparemment absent de la série, ne cesse en fait de hanter les dernières saisons, des drapeaux américains qui décorent les lieux de l’action aux tee-shirts en l’honneur des pompiers de New York que portent les héros. Selon l’auteure, il faut attendre Sex and the City pour voir une autre série qui sait créer un lien à ce point fondamental entre la ville et l’identité des héros . Dans Friends, en effet, les six héros sont tous venus vivre à New York, et il y a un lien fondamental entre le cadre parental et la banlieue (les suburbs américains). Il s’agit d’échapper aux deux en venant vivre en ville. Or, comme l’auteure le pointe, on trouve aux Etats-Unis un discours qui traditionnellement se méfie de la ville, pensée comme corruptrice, dangereuse. C’est, pour prendre une autre œuvre majeure de l’imaginaire américain, la Gotham de Batman et la Métropolis de Superman. Au contraire, la New York de Friends est un espace de possibles, dont les différents dangers (voyous, embouteillages, loyers trop chers) sont systématiquement parodiés par la série. Espace de possibles, où l’on peut croiser à la fois des partenaires sexuels ou amoureux et des stars du cinéma (jouées par elles-mêmes, de Jean-Claude Van Damme à Al Pacino). Espace de libertés, à tous les niveaux, en particulier professionnel, les héros choisissent leurs emplois, n’hésitant pas à se reconvertir : Chandler quitte son emploi d’informaticien pour se lancer dans la publicité, Rachel renonce à son poste de serveuse pour faire carrière dans la mode, Joey s’obstine dans sa carrière d’acteur raté jusqu’à ce que le succès vienne le récompenser. Comme D. Andréolle le précise, la génération X a été la première à pouvoir faire ce choix de l’épanouissement personnel . Cette génération X est la génération du choix : choisir sa sexualité, son emploi, sa famille, même son prénom – Chandler pense en changer à un moment donné. Et c’est la ville qui permet ces choix multiples, en multipliant les possibilités de rencontres. Non seulement les héros de Friends sont des héros urbains, mais surtout la série propose un lien fondamental entre la jeunesse et l’urbanité.


Cette émancipation est, enfin, sexuelle : les héros de Friends enchaînent les partenaires. Monica peut sortir avec un jeune lycéen de dix ans moins âgé qu’elle, avant d’entamer une relation de longue durée avec Richard, de trente ans son aîné. Si ses amis savent se moquer d’elle, il n’y a pas de jugement ni de critique. Ce que Friends ne cesse de dépeindre, c’est la totale liberté de choix. Liberté de parole, aussi, pour une série engagée sur le plan politique ; Friends a été l’une des toutes premières séries à représenter un mariage homosexuel, donnant, qui plus est, le rôle de l’officiant à Candace Gingrich, activiste LGBT célèbre et demi-sœur d’un homme politique conservateur défendant des positions anti-gays très dures. La série tient ainsi un discours complexe sur le genre, inspiré, selon l’auteure, par les théories de Judith Butler . Friends joue en effet sur le brouillage des frontières sexuelles. Les blagues récurrentes sur l’homosexualité de Chandler – renforcées par le fait que son père est un transsexuel – en sont le meilleur exemple. Entre des filles qui s’assument économiquement, sexuellement et socialement – Rachel décide d’avoir un bébé et de l’élever toute seule – et des garçons qui ne cessent de jouer avec leur part de féminité – du rouge à lèvres bleu de Joey à la chemise saumon de Ross – on peut en effet affirmer que « Friends reste particulièrement progressiste dans sa manière de dépeindre les relations sexuelles et les rapports entre hommes et femmes » . Et c’est au final dans la structure même du groupe que ce discours progressiste se voit le mieux. Même si plusieurs des Friends couchent ensemble au fil des dix saisons, la série présente néanmoins le modèle d’une relation durable d’amitié filles-garçons. C’est sûrement l’une des raisons du succès de la série, cette capacité à tenir, sur le long terme, un discours complexe, jamais simplificateur, renvoyant sans idéalisme aux complexités des identités sexuelles dans la société contemporaine.


Si l’ouvrage est intéressant, on reste cependant sur sa faim. Tout d’abord, le livre est très court (130 pages seulement), et les principaux enjeux ne sont donc qu’effleurés. D’autres sont à peine soulignés alors qu’ils auraient pu être à la source d’études très intéressantes. D. Andréolle précise ainsi au début de l’ouvrage que, dans les traductions de la série, un processus de censure s’est très souvent appliqué, gommant notamment les références à l’homosexualité ou les blagues à connotation sexuelle. C’est là un point stimulant sur lequel on aurait aimé en savoir plus : cette censure renvoie de toute évidence à un décalage entre la culture américaine et la culture française, et on peut dès lors s’interroger sur les conditions de réception de la série hors de son contexte de production. Qui regardait Friends lorsque la série était diffusée ? Dans quelle mesure la génération suivante a-t-elle compris cette série ? Faute d’une solide analyse sur ce point, qui aurait pu se nourrir des travaux de Jauss sur l’esthétique de la réception , on a du mal à saisir véritablement à quel point la série parlait à ses contemporains.


L’auteure oscille souvent entre une analyse proprement sociologique de la série et une analyse davantage littéraire, soulignant les jeux de miroirs, les références intertextuelles (renvoient à d’autres séries ou à d’autres éléments constitutifs de la culture de la génération X) ; ce balancement tourne parfois à l’hésitation, et nuit à la cohérence du discours global. De plus, l’auteure passe une grande partie de ces trop courtes pages à raconter les événements qui sous-tendent son analyse. On trouve ainsi de longues pages détaillant les péripéties de la relation entre Ross et Rachel . Si ces pages sont probablement nécessaires pour un lecteur qui ne connaîtrait pas la série, elles peuvent sembler bien redondantes pour un lecteur familier de l’univers – et on peut se demander si ce n’est pas seulement ce deuxième type de lecteur qui est susceptible de lire l’ouvrage. Et, si l’auteure écrit pour les fans, elle écrit également clairement en tant que fan. Sa sympathie avouée pour la série transparaît dans les notes de bas de page, dans les longs développements qui reprennent des histoires de la série, dans les anecdotes sur les acteurs ou les créateurs – qui tournent parfois, il faut bien l’avouer, aux « secrets de tournage ».[...]»

Ler mais...

segunda-feira, 1 de junho de 2015

Aplicación de la Teoría de juegos a las Ciencias Sociales

«En la primera parte de este artículo, se hizo mención sobre la relación que tiene la teoría de juegos con algunas ciencias; sin embargo, en esta segunda parte se pretende profundizar un poco más en cada ejemplificación.

En “Economía” la teoría de juegos suele ser relacionada a los oligopolios por las estrategias que las empresas utilizan debido a la competencia que existe entre éstas para vender sus productos. Tanto en el mundo económico como en el mundo social impera el más fuerte quien es el que sobrevive. Generalmente el que domina, hace uso de estrategias que son implementadas para obtener el máximo beneficio. Es decir, implica actuar y entablar relaciones mediadas por el interés, en donde se sabe que quien utilice la estrategia más efectiva será el que mayor cantidad de clientes conseguirá, derribando de esta manera a sus opositores o al menos “sacándolos” o “alejándolos” por un tiempo de la jugada. En este sentido, el juego consiste en descubrir las debilidades de otras empresas competidoras para aprovechar esos puntos débiles y sacar de ellos el mejor provecho.

Economía
[Imagen] Recuperada de: www.prevemedic.com.mx


En “Sociología”, la teoría de juegos se ejemplifica en el modo de operar de las “maras” o “grupos de jóvenes que se dedican a delinquir” así como en las distintas formas que éstos implementan para admitir a sus miembros. Es de conocimiento general, que existen ciertas especies de ritos de “iniciación” para aceptar a un nuevo miembro en un grupo de jóvenes que ya está conformado, ya que éste último necesita evaluar hasta qué punto el integrante potencial está dispuesto a arriesgar y usualmente los jóvenes, que son admitidos en uno de estos grupos delincuenciales, tienen un rol asignado que cumplir por lo que salen nuevamente a relucir las relaciones mediadas por el interés y el juego de cartas asignadas a cada miembro del grupo. En cuanto al modo de operar de estos grupos, conformados en su mayoría por jóvenes, se visualiza que actúan de acuerdo a sus intereses, a su beneficio.

Sociología
[Imagen] Recuperada de: www.analistasindependientes.org


Ahora bien, la relación de la teoría de juegos con la “Ciencia Política” se refleja en las campañas políticas y las estrategias utilizadas por los partidos políticos para llegar al poder. Se puede decir que los partidos políticos son como las fichas en un juego de damas, en donde cada una debe situarse en una posición estratégica y planear con cautela sus movimientos para que no sea devorada y por ende, deba abandonar la jugada. Bajo este juego, es conveniente conocer al “enemigo” o al “contrincante” para tratar de predecir sus movimientos y adelantarse a ellos ya que el propósito es elegir la mejor decisión para ganar. En las elecciones presidenciales, se observa un juego de suma cero en donde hay un ganador y un perdedor. Las relaciones de cooperación, pueden llegar a manifestarse, cuando se llega a segunda vuelta ya que muchos optan por hacer coaliciones para fortalecerse y posicionarse frente a otros partidos considerados con mayor popularidad.

Ciencia Política
[Imagen] Recuperada de: www.todanoticia.com


En cuanto a las relaciones internacionales se refiere, la teoría de juegos se hace presente en las guerras y negociaciones ya que cada país buscará obtener la mejor parte del trato. En las guerras, es importante analizar las formas de ataque como por ejemplo en la guerra fría la estrategia empleada fue la abstención del fuego, pero la utilización de un arma poderosa: “la ideología”.

Por último, y no por eso menos importante, la teoría de juegos puede servir para entender la “lucha de clases” en la “Historia”, su vinculación se puede explicar si se toma como eje central el postulado de Marx que dice: “la historia de todas las sociedades es la historia de la lucha de clases”; sin embargo, para el marxismo tanto la teoría de juegos como la teoría de la decisión racional no son útiles para analizar la lucha de clases porque en él se otorga importancia a la “colectividad” y no al “individuo” en el sentido de que éste puede tomar sus propias decisiones al actuar.
Sin embargo, mostrando una postura contraria a la anterior, el sociólogo guatemalteco Edelberto Torres Rivas afirma que la teoría de juegos sí es útil y puede ser aplicada a la “lucha de clases” puesto que las colectividades están formadas o integradas por individuos racionales capaces de tomar sus propias decisiones y actuar de acuerdo a ellas;[...]»

Ler mais...

Ssociólogos, Susan Ileana Gomez Guerra

Marie-Anne Paveau, François Perea (dir.), « La pornographie et ses discours », Questions de communication, n° 26, 2015


 La pornographie et ses discours
«1Ce numéro coordonné par François Perea et Marie Anne Paveau constitue un point important dans l’histoire de l’étude de la pornographie comme objet scientifique, notamment en France. Il s’inscrit dans la lignée du courant des porn studies, même si l’article d’Emilie Landais montre bien qu’il existe des spécificités et des logiques différentes dans l’approche française des études pornographiques. Ce numéro rassemble donc différentes études et mises au point sur ce courant, dont l’émergence est encore restreinte, mais qui constitue un carrefour disciplinaire et méthodologique. Le champ scientifique devrait se développer davantage dans les années futures, tant l’emprise pornographique dans les discours et représentations dépasse de plus en plus les marges de la société pour devenir constituante de la culture. Cela implique par conséquent des questions stratégiques, mais aussi militantes dans la mesure où il s’agit de rapprocher les études pornographiques des problématiques de genre, tant la pornographie peut façonner des discours mais aussi des comportements, notamment intimes. Les études pornographiques dépassent par conséquent le jugement de valeur pour s’inscrire dans une lignée féministe et pour mettre au jour les éléments de pouvoir, de domination et de représentation que peut véhiculer la pornographie, dont il est rappelé que l’étymologie désigne en fait les écrits (graphein) sur les prostituées (pornê). On lira donc avec attention l’article introductif de François Perea et de Marie-Anne Paveau ainsi que l’article d’Emilie Landais, qui resituent bien la question pornographique dans le champ de sciences humaines et sociales. 

2L’article de Béatrice Damian-Gaillard montre une évolution du vocabulaire dans la presse pornographique masculine et hétérosexuelle qui suit les tendances du moment. La presse pornographique participe ainsi à l’évolution des comportements et influe sur les pratiques corporelles et sexuelles dans une logique de marchandisation des désirs, tant il s’agit pour les lecteurs de correspondre aux normes pour mieux parvenir à attirer des partenaires sexuels partageant les mêmes idéaux. Cette question des représentations se retrouve dans l’article sur la revue Brazil sex magazine qui s’efforce de représenter l’exotisme brésilien pour cultiver un imaginaire érotique influencé par les discours coloniaux, et qui construit une représentation de la femme brésilienne, négligeant la présence des Noires au profit d’une vision « brune rougeâtre » ou « couleur café ».

3François Perea revient sur la question des discours dans les vidéos pornographiques sur les sites gratuits en ligne et montre que les mises en scènes et discours privilégient le saisissement du spectateur plutôt que la construction narrative. Dès lors, il s’agit de susciter l’émotion de façon pathémique à la fois par la scène et par les manifestations orales. On retrouve comme une volonté de démontrer le caractère naturel de la pornographie, ce que met bien avant l’article de Dominique Maingueneau sur le casting filmé, dont l’objectif est de dissimuler une construction redondante qui vise à légitimer la pratique du casting pornographique en le montrant comme un moment d’expression des désirs des participants. Seulement, l’œil avisé perçoit les effets de la mise en scène, et ce d’autant que si le discours est celui de l’amateurisme, le recours fréquent à des professionnelles n’est en fait pas rare ce qui est oublié dans l’article. L’article Sluts and goddesses de Marie-Anne Paveau revient sur les représentations de l’expertise sexuelle féminine de manière historique, pour mieux nous faire comprendre les enjeux actuels autour de dispositifs numériques plus interactifs.

4L’angle d’étude choisi dans ce numéro s’oriente essentiellement sur l’analyse des discours. À ce titre, le numéro réussit plutôt bien son entreprise et apparaît comme une production essentielle pour quiconque souhaiterait mieux saisir le champ et poursuivre des études dans le domaine. On ne peut que saluer l’initiative, car il est souhaitable que ce travail d’études se poursuive notamment en élargissant les perspectives bien au-delà des discours. En effet, se placer principalement du côté des discours réduit trop fortement selon nous la portée des études pornographiques, même si Stéphanie Kunert évoque le concept de métadiscours pornographiques, notamment en évoquant les discours féministes sur la pornographie. La métapornographie féministe est porteuse d’une vision plus riche et plus complexe qui interroge les codes de la pornographie courante, et notamment masculine, pour revisiter la question du désir. Seulement, on aurait aimé justement voir davantage, dans ces aspects « méta », la question des dispositifs techniques mais aussi des métadonnées. La revue étant une revue considérée dans le champ communicationnel, c’est-à-dire de la section des sciences de l’information et de la communication, on pouvait s’attendre à une présence plus forte de ces sciences, en termes méthodologiques, pour mieux comprendre les stratégies informationnelles et communicationnelles mobilisées. Les dispositifs analysés notamment numériques négligent quelque peu les aspects médiatiques et techniques qui sont tout autant essentiels et qui sont justement vecteurs de pouvoir. Il nous semble opportun en effet de mieux observer les dispositifs techniques et médiatiques, car comme le dit justement François-Ronan Dubois dans son article sur les blogs de photographies explicites, il existe un continuum pornographique qui repose sur des possibilités virales de diffusion et rediffusion

5Après la lecture de ce numéro essentiel, il semble dorénavant souhaitable de prolonger l’étude des discours par une étude des usages et des usagers de la pornographie, et celle de leurs pratiques, notamment dans un contexte numérique. C’est clairement, l’occasion d’envisager une meilleure identification des acteurs, des actants et des dispositifs. On ne peut donc que souhaiter une longue vie aux études pornographiques en encourageant une diversité de méthodes et de secteurs d’analyse que ce numéro a contribué à impulser.
6Le numéro comporte quelques varias, notamment un article sur les rapports entre l’école et les valeurs de la République d’Anne Hélène Le Cornec Ubertini, qui analyse les textes de loi principaux concernant l’éducation et met en avant les manques et les failles du système pour préserver l’égalité des chances.[...]»

Ler mais...

Norbert Elias et l’Utopie


 
«Connu pour ses travaux sur l’État et le processus de civilisation, Norbert Elias a également écrit sur les utopies littéraires et philosophiques, et notamment sur la célèbre œuvre de Thomas More. Une traduction de ces textes permet de s’interroger sur la place de l’utopie dans la pensée du sociologue.

À l’approche du cinquième centenaire de L’Utopie, le fameux livre que Thomas More (1478-1535) publia en latin en 1516, l’historien Quentin Deluermoz et les éditions La Découverte ont réuni et fait traduire en français les textes que le sociologue Norbert Elias a consacrés à More et au thème de l’utopie d’abord parus en allemand et en anglais entre 1982 et 1987.

La première trace d’un intérêt d’Elias pour More apparaît en 1979, avec la publication de La solitude des mourants [1]. Âgé de 82 ans, Elias y relevait que celui qui était chancelier du roi d’Angleterre Henry VIII depuis 1529 avait embrassé sur la bouche son père agonisant. Il avait tiré cette information du beau-fils du célèbre humaniste, William Roper. Sa Vie de Sir Thomas More, objet d’une édition de divulgation dans les années 1960, constituait une source attrayante pour approcher la Renaissance anglaise [2].

Depuis longtemps fasciné par l’époque de la Renaissance, Elias avait plutôt jusque-là laissé de côté l’histoire de la société anglaise. Ses recherches des années 1930 sur La société de cour [3] et sur Le processus de civilisation [4] visaient à expliquer la différence « de la mentalité nationale » [5] des Allemands et des Français et se concentraient principalement sur l’histoire de la société française. Il avait donné une large place à Érasme de Rotterdam, grand ami de More, mais aucune à More lui-même ; il avait approché la littérature utopique à partir d’un roman pastoral du début du XVIIe siècle, L’Astrée d’Honoré d’Urfé, mais pas L’Utopie.

Depuis 1978, Elias travaillait au Centre de Recherche Interdisciplinaire de l’université de Bielefeld, sorte d’utopie académique avec « la piscine, la forêt, l’atmosphère intellectuelle... » [6]. Gratifié du Prix Adorno l’année précédente, il jouissait désormais d’une reconnaissance difficilement et tardivement acquise. Durant l’année 1980-1981, il intégra le programme de recherche sur « L’histoire des fonctions des utopies littéraires à l’époque moderne », lancé cinq ans plus tôt. L’Utopie de More se trouvait évidemment au centre de l’attention de nombre des participants et Elias saisit l’occasion d’étudier ce texte classique de l’histoire de la pensée politique.

La place de l’utopie dans l’œuvre d’Elias

Sa contribution aux travaux collectifs prit pour titre « La critique de l’État chez Thomas More. Précédé de quelques réflexions pour une définition du concept d’utopie ». Dès 1982, elle était imprimée dans les Utopieforschung (Recherches sur l’utopie) dirigées par Wilhelm Voßkamp, où elle occupe une cinquantaine de pages. La même année, Elias délivra et publia la conférence : « À quoi servent les utopies scientifiques et littéraires pour l’avenir ? », où l’étude de l’œuvre de science-fiction de l’écrivain britannique H. G. Wells (1866-1946) permet à Elias de proposer une interprétation générale du phénomène littéraire utopique, en envisageant celui-ci dans la longue durée. Enfin, en 1986, il revint sur « Thomas More et l’utopie », à l’occasion d’une conférence délivrée en allemand et imprimée l’année suivante. Mais rien n’indique qu’Elias se soit engagé dans de nouveaux travaux sur L’Utopie et ce qu’il nomme, dans l’un de ses derniers écrits, « le remplacement des utopies “dorées” inaugurées par Thomas More (et sa description d’une condition humaine meilleure et désirable) par des utopies “noires” comme celles de H. G. Wells, lequel dépeignait une condition plus sombre encore que ce que pouvaient inspirer nos pires craintes » [7].

Du point de vue de la sociologie historique, le phénomène de la littérature utopique suggérait l’idée d’un processus de dé-civilisation, dont les signes avant-coureurs apparurent au tournant du XXe siècle : en 1914, « la puissance de feu de l’artillerie lourde était si importante qu’elle interdisait toute percée des troupes. Un civil comme H.G. Wells [dans son ouvrage Anticipations de 1901] l’avait prévu, mais les spécialistes ne le voyaient pas » [8]. Toutefois, Elias entendait sortir la réflexion sur l’utopie d’une certaine confusion entretenue et renforcée, selon lui, par les « utopies-cauchemar » dominant la littérature utopique du XXe siècle : si cette dernière, met en évidence le recours, par des régimes autoritaires, « à un savoir technologique et scientifique », elle renforce à tort « l’idée selon laquelle les processus physiques et biologiques en eux-mêmes sont en partie ou totalement responsables du chemin pris par le développement social » (p. 117). En réponse à cette confusion, qui innerve bien des critiques de la modernité, Elias prend le parti de réconcilier culture et technique : il esquisse l’utopie d’une société où « le progrès dans le domaine des sciences physiques et de la technologie » pourrait être « soutenu par un progrès équivalent en sciences sociales » (p. 122). C’est peut-être là le principal intérêt de la réflexion d’Elias sur l’utopie : elle invite à prendre au sérieux la critique sociale et politique des techno-sciences que propose la littérature utopique du XXe siècle, sans céder au déterminisme des postures technophobes.

En réunissant les trois textes d’Elias sur le concept d’utopie, l’édition française a bénéficié de l’édition critique allemande des Gesammelte Schriften [9] et de sa version anglaise dans The Collected Works [10]. L’édition allemande organisait les essais de façon chronologique, présentant l’inconvénient d’imprimer dans deux recueils successifs les textes d’Elias sur More et l’utopie. L’édition britannique les présentait de façon thématique, rassemblant en l’occurrence l’essai et la conférence sur More, suivis de la conférence sur les utopies scientifiques et littéraires, dans un volume portant sur la sociologie du savoir et des sciences.

Les responsables de l’édition britannique soulignaient que la conférence sur More et l’utopie de 1986 – où l’on trouve une mise en cause explicite de « l’ivresse hégémonique » de « l’administration Reagan » et de « l’utopie hégémonique » du « rêve américain » – est « l’une des nombreuses pièces qu’Elias a écrites au milieu des années 1980 traitant de la globalisation et les problèmes des conflits inter-étatique à l’échelle globale » [11]. Cette préoccupation apparaissait déjà à l’ordre du jour dans la conférence de 1982, où Elias fait allusion au spectre de la guerre froide et à la crainte d’une guerre nucléaire (p. 124). Le choix de Quentin Deluermoz d’extraire les contributions d’Elias sur l’utopie et de les publier en suivant l’ordre chronologique de rédaction paraît donc judicieux.

La Futurologie et les recherches sur l’utopie

La recherche d’Elias sur L’Utopie et les transformations du genre littéraire que More a renouvelé se concentre en fait sur quelques mois de l’année académique 1980-1981, début de l’ère Reagan. À se rappeler l’étroite relation, de 1924 à 1933, entre Elias et le sociologue hongrois Karl Mannheim, qui publia Idéologie et utopie en 1929, on voudrait pouvoir inscrire la pensée d’Elias sur l’utopie dans un horizon d’interrogation plus lointain. En 1984, Elias écrivait s’être « souvent demandé si le fait que Mannheim, malgré son concept d’idéologie totale, semble attribuer une position particulière à l’utopie – qui a pourtant elle aussi le caractère d’une idéologie – pouvait s’expliquer par le fait qu’il a tenté involontairement d’éviter de réduire le socialisme à une idéologie » [12]. Pour Elias, « la critique de l’idéologie n’était qu’un moyen pour atteindre une fin, un pas en avant vers une théorie de la société qui prendrait en compte le fait qu’il existait aussi bien un savoir masquant la réalité qu’un savoir la dévoilant » [13]. Dans une note portant sur la conclusion de l’essai sur More et la critique de l’État (non reprise dans l’édition française), les éditeurs britanniques suggèrent, à partir d’allusions d’Elias, que le fil conducteur de ses trois textes sur l’utopie est resté sous-jacent. Il s’agirait d’une critique de l’idéologie à l’œuvre dans une discipline des sciences sociales qui prétendait dévoiler la réalité sociale à venir et qui avait partie liée avec le développement de la stratégie nucléaire américaine : la futurologie. Les figures les plus marquantes en étaient Herman Kahn – dont s’inspira Stanley Kubrick dans son film Docteur Folamour, auquel Elias se réfère en passant (p. 112n) –, Anthony J. Wiener et Daniel Bell [14].

Pour la seconde édition de Über den Prozess der Zivilisation, publiée en 1969, Elias avait bien consacré une note à l’ouvrage de Bell sur La fin des idéologies (1960) [15], mais on ne le voit pas, par la suite, aborder de front et développer la critique de la futurologie comme idéologie. À la lecture du préliminaire de son premier essai sur More, on pressent qu’il intervint à un moment de tension au sein du groupe interdisciplinaire de recherches sur l’utopie entre les représentants, d’une part, des études littéraires et ceux, d’autre part, des études sociologiques et historiques. Les travaux littéraires sur les utopies négligeaient alors, semble-t-il, de se demander de quoi une utopie était le symptôme, et de poser ce qu’Elias nomme « un diagnostic social précis », se condamnant ainsi à la « stérilité » (p. 39).

On peut ainsi regretter que Quentin Deluermoz, dans une préface où il souligne à raison le caractère fragmentaire, inachevé et programmatique du travail d’Elias sur le concept d’utopie, n’ait pas pris le parti de situer le sens de l’intervention du sociologue dans le cadre des enjeux des travaux de ce groupe de recherche qui auraient pu l’éclairer davantage. En prenant à son tour le célèbre ouvrage de More pour point de départ, Elias cherchait à développer une conception de l’utopie antinomique à celle qui permettait le rapprochement « entre la prévision scientifique et l’utopie littéraire, sociale ou politique » (p. 102) tout en formulant une « hypothèse de travail pour l’utilisation du concept d’utopie […] qui puisse servir de base commune aussi bien aux travaux de recherche littéraires qu’aux autres disciplines représentées » au sein du groupe de Bielefeld (p. 35).

Une étude d’histoire intellectuelle

Reste que le petit nombre des instruments dont Elias s’est doté pour approcher la pensée politique de More témoigne d’un investissement mesuré. La Vie de Thomas More par Roper est le premier pilier d’un honnête exercice d’histoire intellectuelle. Il en développe une approche critique et lucide, questionnant la représentation de More en « martyr et saint chrétien » (p. 93) promue par Roper dans une opération de « propagande et de combat » (p. 89) qui convenait encore, au 20e siècle, à Raymond W. Chambers. Le classique Thomas More de ce dernier parut en 1935, année de la canonisation de l’humaniste anglais par l’Église catholique. Le second pilier est bien sûr le texte même de L’Utopie. Elias a principalement lu l’ouvrage dans une édition allemande dotée d’une faible valeur scientifique. Il l’a occasionnellement confrontée à la traduction anglaise proposée dans l’édition de référence – dite la « Yale Utopia », qui comprend en outre le texte latin et un imposant commentaire – et il a vraisemblablement parcouru l’étude fondamentale de John H. Hexter lui servant d’introduction [16]. Pour son information générale, il a aussi puisé dans une édition anglaise de grande divulgation, tirant notamment de l’introduction une vision impressionniste des contradictions du champ de la littérature critique (p. 60). Les seuls autres écrits de More sur lesquels Elias se soit penché un tant soit peu sont ses Épigrammes latins, un recueil associé à L’Utopie à partir de la troisième édition (1518).[...]»

Ler mais...