«Une affirmation inaugure le livre d’U. Rudolph, La philosophie islamique.
Le titre de l’ouvrage est posé, et l’association du religieux à la
philosophie semble aller de soi. La possibilité d’une autonomie du
philosophique dans les pays arabes et perses n’est pas questionnée, ou
du moins pas avant le XXe siècle, comme le soulignent les dernières
pages du livre .
L’auteur présente progressivement, dans une galerie de portraits, ceux qu’il nomme sans hésiter des « philosophes musulmans » soulignant ainsi une rencontre entre la raison et la foi et l’absence de doute quant à la dimension philosophique de leurs travaux. Optimisme de la pensée qui tient ensemble ce que l’obscurantisme sépare, ou oubli d’une tradition qui les sépare, considérant la nécessité d’une distinction, inaugurée par Al-Razi au IXe-Xe siècle, mais dont le portrait qu’en dresse U. Rudolph montre finalement qu’il se sépare peu du questionnement religieux . Un philosophe qualifié d’ « hérétique » ne se tient pas nécessairement en dehors du religieux. Contrarier un dogme peut être fait au nom d’un autre dogme.
À moins que ce livre ne se lise autrement. Peut-être est-il à comprendre comme la généalogie de la séparation de la religion et de la philosophie.
Dans le chapitre 1, « La réception des sciences de l’Antiquité », U. Rudolph insiste sur le fait que les philosophes musulmans ne sont pas que les traducteurs des philosophes grecs de l’Antiquité, dans une réception purement passive. La philosophie islamique, dont l’association religion-philosophie est en revanche peu problématisée, comme nous le soulignions, serait aussi porteuse de questions qui lui sont tout à fait spécifiques. La rencontre avec la Grèce va conduire à modifier, et le questionnement hellène, et le questionnement musulman dans un échange qui suit l’ordre de la raison. Mouvement interne à toute réflexion qui dépasse le moment de la confrontation. L’historien Henri Corbin est un des premiers à avoir voulu donner à la philosophie islamique toute son autonomie, négligeant peut-être un peu trop ses liens à la Grèce et la tradition. Son autorité est aujourd’hui questionnée. Une philosophie qui n’est donc ni répétition ni surgissement du néant.
L’auteur présente progressivement, dans une galerie de portraits, ceux qu’il nomme sans hésiter des « philosophes musulmans » soulignant ainsi une rencontre entre la raison et la foi et l’absence de doute quant à la dimension philosophique de leurs travaux. Optimisme de la pensée qui tient ensemble ce que l’obscurantisme sépare, ou oubli d’une tradition qui les sépare, considérant la nécessité d’une distinction, inaugurée par Al-Razi au IXe-Xe siècle, mais dont le portrait qu’en dresse U. Rudolph montre finalement qu’il se sépare peu du questionnement religieux . Un philosophe qualifié d’ « hérétique » ne se tient pas nécessairement en dehors du religieux. Contrarier un dogme peut être fait au nom d’un autre dogme.
À moins que ce livre ne se lise autrement. Peut-être est-il à comprendre comme la généalogie de la séparation de la religion et de la philosophie.
Dans le chapitre 1, « La réception des sciences de l’Antiquité », U. Rudolph insiste sur le fait que les philosophes musulmans ne sont pas que les traducteurs des philosophes grecs de l’Antiquité, dans une réception purement passive. La philosophie islamique, dont l’association religion-philosophie est en revanche peu problématisée, comme nous le soulignions, serait aussi porteuse de questions qui lui sont tout à fait spécifiques. La rencontre avec la Grèce va conduire à modifier, et le questionnement hellène, et le questionnement musulman dans un échange qui suit l’ordre de la raison. Mouvement interne à toute réflexion qui dépasse le moment de la confrontation. L’historien Henri Corbin est un des premiers à avoir voulu donner à la philosophie islamique toute son autonomie, négligeant peut-être un peu trop ses liens à la Grèce et la tradition. Son autorité est aujourd’hui questionnée. Une philosophie qui n’est donc ni répétition ni surgissement du néant.
Vers une généalogie du sujet
Cependant, que devient la philosophie lorsqu’elle se coordonne
(subordonne ?) à la Révélation ? (Qu’en est-il à l’inverse pour la
Parole révélée ?). La philosophie islamique hérite d’une tradition, la
Grèce et les savoirs coraniques, pour devenir à son tour tradition se
diffusant. Fonder une tradition et un héritage, tel est le projet
d’Ulrich Rudolph. Le choix chronologique de l’auteur peut être
contestable, au sens où la description se substituant à la
problématisation, cette succession de philosophes donne l’illusion d’un
progrès historique, à moins qu’on n’y voie une généalogie, celle de la
raison philosophique, son émancipation profane en terre d’Islam et le
surgissement du sujet. Cela change alors le sens de lecture de
l’ouvrage. C’est en fait très lentement que va se mettre en place une
autre lecture de la philosophie. Ce qui apparaît en fond, c’est, comme
l’écrit U. Rudolph, que « la particularité de l’Histoire islamique ou
arabe est d’avoir « mené à la perte du moi », pour lui substituer par la
suite le fantôme d’une identité collective, ce qui doit être
contrecarré par « la renaissance présente du je » .
Les commencements de la philosophie dans le monde islamique remontent
au IXe siècle. C’est l’époque où apparaissent les textes d’auteurs
musulmans, textes qui ne se limitent pas à un travail de simple
restitution des textes de l’Antiquité grecque ; les traductions de
Platon, Aristote… sont passage d’un lieu à un autre, chacun imprégnant
l’autre de son monde. Ainsi, ces traductions vont non seulement
contribuer à un dialogue entre la philosophie grecque et les philosophes
musulmans, mais les deux mondes vont se voir modifiés et de nouvelles
problématiques vont naître. Les débats actuels autour de la laïcité
auraient tout intérêt à se nourrir de ces premiers chapitres qui
montrent la circulation des savoirs, les interrogations communes, le
partage. Les textes grecs bousculent ou raffermissent les positions des
philosophes musulmans. Par exemple, dans son livre, La philosophie première,
Al-Kindî a écrit quatre parties. Elles sont très hétérogènes, tenant
compte au fur et à mesure de l’avancée des connaissances, liée aux
nouvelles traductions .
Mais cela permet la compréhension de la philosophie grecque et
certaines de ses apories sont réexaminées à la lumière des autres
savoirs. Ainsi les concepts aristotéliciens d’intellect agent et
d’intellect passif seront-ils réexaminés par Al-Fârâbî. La réflexion
philosophique est mouvement en retour sur soi et la tradition et non
comme dogme.
Tradition et dialogue : diffusion du savoir
« Or, ayant dessein d'employer toute ma vie à la recherche d'une
science si nécessaire, et ayant rencontré un chemin qui me semble tel
qu'on doit infailliblement la trouver, en le suivant, si ce n'est qu'on
en soit empêché, ou par la brièveté de la vie, ou par le défaut des
expériences, je jugeais qu'il n'y avait point de meilleur remède contre
ces deux empêchements que de communiquer fidèlement au public tout le
peu que j'aurais trouvé, et de convier les bons esprits à tâcher de
passer plus outre, en contribuant, chacun selon son inclination et son
pouvoir, aux expériences qu'il faudrait faire, et communiquant aussi au
public toutes les choses qu'ils apprendraient, afin que les derniers
commençant où les précédents auraient achevé, et ainsi, joignant les
vies et les travaux de plusieurs, nous allassions tous ensemble beaucoup
plus loin que chacun en particulier ne saurait faire. »
Les textes des philosophes islamiques vont être diffusés, ce qui est propre à toute œuvre philosophique, non ésotérique, mais publique et ouverte, comme le définira Descartes dans le texte cité plus haut. Ainsi le traité De l’Intellect de Al-Kindî sera-t-il reçu avec grand intérêt au Moyen Âge latin . L’œuvre est occasion de dialoguer, reprise et questionnement.
Les textes des philosophes islamiques vont être diffusés, ce qui est propre à toute œuvre philosophique, non ésotérique, mais publique et ouverte, comme le définira Descartes dans le texte cité plus haut. Ainsi le traité De l’Intellect de Al-Kindî sera-t-il reçu avec grand intérêt au Moyen Âge latin . L’œuvre est occasion de dialoguer, reprise et questionnement.
Des questions spécifiques à la philosophie islamique ?
C’est surtout à propos de la relation « philosophie » et Islam que
les philosophes du IXe siècle sont en désaccord et vont contribuer à la
mise en place d’une réflexion toujours d’actualité. Si la Grèce a fourni
des textes nouveaux, il n’en demeure pas moins que les philosophes
islamiques avaient déjà produit des connaissances scientifiques,
juridiques et théologiques, l’apport grec consistant à déplacer ces
connaissances, ce qui donnera souvent lieu à des conflits
d’interprétation. Al-Razi, à l’appui de ces sources, refusera ainsi
d’accorder à la révélation islamique la place qu’elle réclame au niveau
épistémologique. L’accepter ce serait admettre que la science n’est
accessible qu’à quelques privilégiés, ayant reçu la révélation. Ceci lui
coûtera d’être persécuté pour cause d’impiété.
Avicenne : un nouveau paradigme ou l’abandon de la Grèce
Jusqu’à présent, les philosophes n’avaient su influer sur le grand
public et les religieux pour les convaincre de « la nécessité de ces
réflexions sur la quête de la vérité et l’obtention du bonheur » .
Avicenne va modifier en profondeur la philosophie. Prenant en charge la
question de la tâche et de la possibilité de la philosophie, il nourrit
au départ sa réflexion des œuvres d’Aristote, mais s’en détache très
vite et établit une nouvelle métaphysique distincte de celle du
philosophe : « les thèmes ne proviennent pas du Corpus Aristotelicum,
mais sont développés librement et avec une éloquence fascinante. »
Selon lui, par exemple, la nécessité ne peut appartenir qu’à l’être de
Dieu, le possible au contraire à l’être de l’homme. Reprenant l’analyse
de ses prédécesseurs, contre Al-Farabi, il établit que le bonheur dépend
de la connaissance et non de la politique, ce qui le conduit à
réexaminer les différents niveaux de la pensée et à réfuter les thèses
de Kindi et Farabi…C’est en se détachant de la tradition qu’Avicenne
autonomise la philosophie islamique. Sa philosophie reste ouverte aux
préoccupations théologiques et religieuses. Certains philosophes, comme
le marocain Muhammad Al-Gabiri (1936-2000) ont vu en lui la raison de la
stagnation scientifique de la pensée orientale .
La réaction théologique : Al-Gazali. La notion d’héritage s’élargit à la philosophie musulmane
Al-Gazali a réfuté la position philosophique d’Avicenne, mais pas sur
tous les points. Il divise la philosophie en plusieurs parties afin de
« les évaluer ensuite de manière différenciée » .
La première partie est consacrée à la logique et aux mathématiques, qu’il apprécie sans réserve. Il veut fonder la théologie et la jurisprudence sur la démonstration : « ces disciplines doivent devenir des sciences démonstratives, s’appuyant sur une exigence de démonstration intégrale » . Le second domaine renvoie à la politique et l’éthique, dont Al-Gazali juge les réflexions des philosophes peu originales n’apportant guère plus que les proverbes et traités des soufis ou les livres des prophètes. Il ne voit aucune difficulté à associer philosophie et religion dans ce cadre. La philosophie ne devient un problème que lorsque l’on se tourne vers le troisième domaine consacré à la physique et la métaphysique. Dans L’Incohérence des philosophes, Al-Gazali s’attache à démontrer dans chaque chapitre une erreur à son adversaire. La philosophie ne se voit pas attribuer le droit de discuter de Dieu.[...]»
La première partie est consacrée à la logique et aux mathématiques, qu’il apprécie sans réserve. Il veut fonder la théologie et la jurisprudence sur la démonstration : « ces disciplines doivent devenir des sciences démonstratives, s’appuyant sur une exigence de démonstration intégrale » . Le second domaine renvoie à la politique et l’éthique, dont Al-Gazali juge les réflexions des philosophes peu originales n’apportant guère plus que les proverbes et traités des soufis ou les livres des prophètes. Il ne voit aucune difficulté à associer philosophie et religion dans ce cadre. La philosophie ne devient un problème que lorsque l’on se tourne vers le troisième domaine consacré à la physique et la métaphysique. Dans L’Incohérence des philosophes, Al-Gazali s’attache à démontrer dans chaque chapitre une erreur à son adversaire. La philosophie ne se voit pas attribuer le droit de discuter de Dieu.[...]»
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