quinta-feira, 12 de fevereiro de 2015

Dynamiter ou dynamiser la démocratie ?

 Couverture Grands Dossiers Hors-série   n° 3
««Et maintenant ?», tel est l'appel pressant qui s'est fait entendre après les tueries de Charlie Hebdo et de l'Hyper Casher. Les événements de ce début d'année 2015 ont ravivé l'attention sur une dérive connue : la crise de confiance, dont sont victimes la plupart des démocraties des pays développés. Le renouveau passe-t-il par une redynamisation ou par un dynamitage du système ? 
Aujourd’hui, tout le monde ou presque se réclame de la démocratie. Pourtant, personne n’est d’accord sur ce qu’elle devrait être. Démocratie libérale ou radicale ? Démocratie participative ou représentative ? Démocratie locale ou centralisée ? Il existe aujourd’hui quantité d’analyses sur l’état de la démocratie et sur les moyens de la renouveler. Ces questionnements, qui ont connu un nouveau souffle après les attentats contre Charlie Hebdo de janvier 2015, traduisent la vitalité du débat démocratique et de la théorie politique contemporaine. Mais ils montrent également que la démocratie semble n’avoir jamais autant douté d’elle-même. Incontestable comme modèle politique, elle est incertaine sur la direction à prendre.
Le triomphe de la démocratie à la fin du XXe siècle s’est accompagné d’une perte de confiance dans sa capacité à résoudre les crises du nouveau siècle, qu’elles soient économiques, sociales ou internationales. Incapacité, d’abord, de la démocratie à exporter son propre modèle, comme le montre l’échec de la stratégie du democracy building en Afghanistan et en Irak (1). Incapacité, ensuite, à réduire les inégalités économiques et sociales, ainsi que le montrent les travaux récents sur la pauvreté (2). Incapacité, enfin, à restaurer la confiance entre gouvernants et gouvernés, comme en témoigne l’abstention et le vote sanction lors des élections. Cette dernière incapacité est peut-être la plus grave car elle englobe toutes les autres. Si crise de la démocratie il y a, c’est d’abord une crise de confiance des citoyens dans le système démocratique, qui s’exprime par le rejet des élites politiques, médiatiques et intellectuelles. Les chercheurs s’attachent ainsi à proposer des diagnostics de crise qui, s’ils sont extrêmement variés, tournent pour la plupart autour de ce problème de confiance entre le peuple et ses représentants.

Les diagnostics de crise


L’historien Pierre Rosanvallon met l’accent sur le sentiment de « défiance » qu’éprouvent les citoyens à l’égard du pouvoir politique (3). Sur la démocratie représentative se greffe désormais une « contre-démocratie », qui exerce un pouvoir d’empêchement, mais peut aussi représenter un moyen de revitaliser une vie politique moribonde. La contre-démocratie, ce n’est pas être contre la démocratie, c’est d’abord considérer qu’on peut faire de la politique autrement (dans la rue, dans les ONG, sur Internet, etc.). P. Rosanvallon explique que, contrairement aux apparences, les citoyens sont intéressés par la politique et prêts à s’y engager. Mais il souligne également qu’un réel malaise s’est installé dans l’esprit des citoyens qui considèrent la démocratie comme une aristocratie déguisée. Alain Badiou et Slavoj Zizek, dans une perspective beaucoup plus radicale, vont jusqu’à dire que la démocratie est une illusion et qu’à tout prendre, un régime ouvertement autoritaire vaut mieux qu’une démocratie « molle » et hypocrite. Préfaçant les discours de Robespierre, Zizek loue la « violence divine » de la terreur révolutionnaire, qu’il oppose au capitalisme mondialisé et au « matérialisme démocratique » (4).
Pour comprendre l’écho dont bénéficient ces thèses, il est nécessaire de tenir compte du contexte dans lequel elles s’inscrivent. Depuis l’implosion du régime soviétique au tournant des années 1990, la démocratie est d’autant plus prise pour cible par les uns qu’elle est montrée en exemple par les autres. à l’origine des nouvelles critiques de la démocratie, il y a l’idée selon laquelle l’histoire humaine se serait achevée par la victoire, en forme d’apothéose, des démocraties libérales sur les totalitarismes. Cette croyance a été de courte durée. En réalité, la disparition des ennemis historiques de la démocratie (bolchévisme et nazisme) n’a pas réglé tous ses problèmes internes. D’autres sont apparus par ailleurs, comme le constate Marcel Gauchet dans La Démocratie contre elle-même. Les démocraties actuelles ne sont plus menacées de l’extérieur par un tyran en chair et en os qui voudrait les éliminer. Elles sont désormais rongées de l’intérieur par un mal redoutable car difficile à circonscrire. Crise de la représentation ? Désertion civique ? Inégalités économiques et sociales ? Discriminations ? Tous ces phénomènes sont des symptômes plus ou moins visibles de la crise des régimes démocratiques contemporains. Il reste que les observateurs ne parviennent pas à s’entendre sur les causes profondes du mal.
Toutefois, les penseurs attachés à la tradition libérale et ceux qui prônent une démocratie « radicale » semblent s’accorder sur un point : la remise en cause des libertés fondamentales au nom de la sécurité représente un réel danger. Cette tension entre liberté et sécurité est à l’œuvre dans l’ensemble des régimes démocratiques « néolibéraux », avec des effets tout à fait concrets sur la vie sociale. Plusieurs enquêtes récentes ont en effet relevé la montée en puissance du discours sécuritaire, observable à tous les niveaux de la société, sur des problèmes graves ou en apparence anecdotiques  : que l’on pense à l’explosion des gardes à vue et des détentions provisoires, aux campagnes pour l’hygiène alimentaire («  Cinq fruits et légumes par jour  ») et pour la sécurité routière. Ainsi a-t-on sérieusement envisagé de mettre en place un couvre-feu pour empêcher les jeunes de se tuer sur la route le week-end. L’idée a été pour l’instant abandonnée, mais la régulation du risque et le principe de précaution constituent assurément des «  priorités gouvernementales  ». Comme le suggère le sociologue Ulrich Beck, les démocraties contemporaines peuvent être décrites comme des « sociétés du risque », où les citoyens cherchent à dominer leur sentiment d’insécurité (5). Dans ce contexte, le rôle de l’État est ambivalent. L’État est responsable de la sécurité des citoyens, et c’est la raison pour laquelle il est tenu de prendre en charge et de coordonner les « politiques du risque ». Mais si l’État ne parvient pas à gérer correctement la crise (comme ce fut le cas avec la crise de la vache folle et plus récemment lors de la controverse autour des téléphones portables), il ne fait alors qu’attiser le sentiment d’inquiétude des citoyens au lieu de le dissiper (6).

Un néolibéralisme des règles

L’accumulation des règles et la juridicisation de l’ordre politique peuvent avoir pour effet de réduire la liberté de chacun au nom de la sécurité de tous. Jusqu’où, dès lors, pousser l’impératif de sécurité sans toucher aux principes libéraux qui caractérisent la vie démocratique ? En posant cette question, un certain nombre de théoriciens du droit, comme Philippe Raynaud et Denis Salas, incitent à la vigilance, tout en suggérant que le problème est en réalité plus profond et complexe (7).
En effet, ce qu’on observe aujourd’hui dans les sociétés démocratiques, c’est une mutation des principes libéraux eux-mêmes. Le libéralisme se transforme en « néolibéralisme », ce qui affecte du même coup les démocraties. Le néolibéralisme des règles diffère sensiblement du libéralisme politique qui s’est déployé en Europe dès la fin du XVIIIe siècle à travers la forme politique nationale. Le premier est en effet fondé sur la toute-puissance de l’économie et du droit tandis que le second plaide en faveur d’une primauté du politique sur les sphères économiques et juridiques. Le danger majeur pointé par des auteurs comme Pierre Manent et M. Gauchet, dans la continuité de Tocqueville, c’est la dépolitisation des démocraties, qui s’exprime notamment par la désertion civique. Dans un régime libéral poussé à l’extrême, les citoyens renoncent à prendre en main leur destin politique pour se replier sur la sphère privée, en déléguant à l’État la planification de l’avenir. Mais dans la perspective néolibérale, l’État renonce lui aussi à une partie de ses attributions au profit du marché ou d’organisations infra et supranationales. Dès lors, qui est responsable ? Au XXIe siècle, l’enjeu essentiel selon M. Gauchet, c’est de former un régime politique démocratique capable de tenir compte du désir d’émancipation des individus et d’assurer dans le même temps le bon gouvernement de la collectivité (8). Cela n’est possible à ses yeux que si l’État et les citoyens se donnent les moyens d’agir à nouveau sur le cours des événements. Ainsi, la crise des subprimes en 2008 a mis en lumière le besoin de régulation politique de l’activité financière, par exemple par la mise en place d’un protectionnisme (9). Elle a aussi mis en avant le rôle décisif des États dans l’élaboration de politiques économiques, sociales et environnementales concertées à l’échelle régionale, voire mondiale.
Pour P. Manent, les difficultés de la démocratie, du moins en Europe, viennent davantage du discrédit de la nation (10). Ce dernier interprète le rejet de la nation comme un refus de la politique : les citoyens préfèrent être administrés par des règles de gouvernance (juridiques, morales et économiques) que par un gouvernement représentatif qu’ils considèrent comme illégitime et arbitraire en dépit de l’élection. Pour P. Manent, un régime politique ne peut de toute façon s’épanouir que s’il est associé à une forme politique idoine. Les Anciens ont réalisé la démocratie directe dans le cadre de la cité. Les Modernes ont réalisé la démocratie représentative à l’intérieur des nations. Les Européens peuvent-ils se gouverner démocratiquement sans forme politique, par le truchement des procédures de Bruxelles ? Rien n’est moins sûr selon P. Manent, rejoint sur ce point par Paul Thibaud et Jean-Pierre Le Goff. Prenant l’exemple du problème européen, ces auteurs expliquent que la contrainte extérieure, « l’adaptation » à la mondialisation ou encore l’impératif de « modernisation » sont des alibis commodes avancés par les gouvernements pour ne plus assumer leurs responsabilités politiques (11).
Pour sortir de cette impuissance organisée, doit-on compter sur un retour de la nation et du politique opéré au moyen des mécanismes traditionnels (parlement et exécutif) ou bien sur un sursaut « citoyen » issu de la société civile ? Peut-on concilier démocratie représentative et démocratie participative ? Les réponses apportées par la théorie politique pour relancer la démocratie ne nous donnent pas de sésame. Elles mettent plutôt en lumière les clivages politiques actuels.[...]»

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