sexta-feira, 9 de janeiro de 2015

Cingolani Patrick, Révolutions précaires. Essai sur l'avenir de l'émancipation


 Révolutions précaires
«1En prenant au mot le statut et l’usage ambivalent d’une notion telle que la « précarité », le sociologue Patrick Cingolani réfléchit sur les possibilités d’une émancipation qui l’appréhendait comme point d’appui. Le contenu explicitement engagé de l’ouvrage ni ne le pose comme une sorte de manifeste, bien qu’il propose un programme et une mise en garde pour « les catastrophes qui se profilent dans les décennies à venir » (p. 11), ni ne rejette au second plan la description minutieuse des expériences subjectives et nouveaux mécanismes d’exploitation en cours dans les sociétés néolibérales. Il ne s’agit pas non plus d’une analyse localisée et restreinte, dans le sens où elle se donnerait comme unique cadre de référence un système établi et normé tel que le capitalisme actuel, où tout écart est, par essence, résorbé. Cette plasticité des structures néolibérales est bien au contraire prise en considération par le sociologue pour comprendre l’efficacité mais aussi l’exploitation des actions « précaires », notamment par le « retournement » de l’autonomie avec une « autonomie contrôlée », ou par la manière dont « la critique antibureaucratique s’est dissoute dans les nouvelles réglementation du travail et dans les pratiques de gouvernement néomanageriales » (p. 12). Cette évolution plutôt négative des mondes de travail fait que le « précariat », s’il touche les classes sociales les plus démunies, s’empare aujourd’hui des classes moyennes suivant une forme de « banalisation de normes d’emploi dégradées » (p. 13).

2C’est à partir de cet état avancé et fortement dégradé que le sociologue pose la question des possibilités de l’émancipation, à travers les quatre chapitres de l’ouvrage. Le premier chapitre introductif ouvre sur l’ambivalence sémantique du mot « précaire », dont l’usage dans l’histoire de la sociologie du travail et des mouvements sociaux retient à la fois « la stratégie d’assujettissement et d’exploitation du travailleur passant par la fragmentation et l’opacification des conditions de travail et d’emploi » et les « pratiques et des tactiques de contournement des modes d’assujettissement et d’exploitation du travail » (p. 27). Cette relecture historique de la deuxième moitié du XXe siècle, passant par les acquis des mouvements libertaires des années 1960, permet à l’auteur de souligner notamment l’évolution des régimes d’exploitation ainsi que les transformations de la question identitaire par le travail. En effet, si les écarts aux normes existent aussi bien aujourd’hui qu’au sein du monde ouvrier des périodes précédentes, les dichotomies entre travail et activité ou entre travail et loisir ont un statut singulier dans nos sociétés actuelles. Cingolani attire l’attention sur la reconfiguration de « l’éthos populaire », notamment avec l’accès des classes populaires à l’enseignement secondaire et supérieur. Se met en place un « modèle d’expérimentation », où le jeune de la fin du XXe siècle n’hérite plus comme autrefois d’une identité sociale établie mais « se construit de plus en plus par expérimentations répétées jusqu’à ce que l’individu parvienne à faire correspondre ses aspirations » avec un « statut crédible » (p. 36). Ces « nouvelles sensibilités » ne font pas disparaître la question d’identification par le travail, puisqu’il est encore un élément actuel fort en tant que « médiateur d’une dialectique par laquelle le sujet se vérifie, s’authentifie dans ce qu’il fait, dans ce qu’il accomplit » (p. 39). Le sociologue précise qu’il ne s’agit pas, dans cette recherche d’espace propre individuel, d’une adhésion naïve aux normes néolibérales : en réalité, on est au croisement d’une critique sociale héritée du mouvement ouvrier et d’une propriété anthropologique, à savoir « l’affirmation individuelle » (p. 40). En revanche, cela n’empêche pas le nouveau système managérial de s’emparer de cette question de l’autonomie pour son usage propre. L’exemple le plus frappant est donné par Cingolani concernant les industries culturelles, qui sont un « lieu d’expérimentation majeur des pratiques néomanagériales, un laboratoire des nouvelles figures du travailleur » (p. 45).

3L’analyse du déplacement dans la relation au travail et à la vie quotidienne, amorcée dans le début de l’ouvrage concernant le secteur culturel, est étayée au second chapitre, précédée par l’introduction du « principe plébéien », qui permet à la fois de comprendre la continuité, sur le plan historique, du processus d’émancipation, de poser, d’une manière anachronique, ses conditions de possibilités au sein du système socio-économique actuel, et de « comprendre nos propres paradoxes » (p. 53). Cingolani fait référence ici à un autre penseur de l’émancipation, Jacques Rancière, ainsi qu’à la lecture que propose ce dernier des textes du « philosophe plébéien » Louis Gabriel Gauny, un ouvrier parqueteur du XIXe siècle. Figure de la tension entre l’exploitation et l’émancipation, le « dispositif plébéien » trouve un écho considérable, selon le sociologue, chez les travailleurs des industries culturelles aujourd'hui. À partir des résultats d’une enquête collective réalisée en 2012 auprès de ces derniers, Cingolani souligne l’évolution de l’ambivalence des rapports au travail, qui se décline en cinq points : « l’horizon d’accomplissement », autrement dit une volonté de singularité ; la « relation au familier », où le travail se confond avec l’intime ; le rapport entre « travail, connaissance et réputation », avec la coopération interindividuelle suivant une logique « d’irrégularité relationnelle » ; la « recherche d’intensité », avec une amplification des rapports au travail à travers le stress, les délais courts, etc. ; la gratification et la frugalité, qui créent un écart avec les normes consuméristes et un autre rapport à la propriété. Ces éléments décrits, qui constituent la singularité des secteurs culturels, sont ceux qui rendent ces secteurs vulnérables. Le sociologue retient trois points qui soulignent l’aspect précaire de cette flexibilité spécifique : le rapport discontinu entre l’activité et le revenu ; la répartition inégale des ressources (familiales, personnelles, etc.) face à la précarité ; et la possible « identification à la figure entrepreneuriale » (p. 69), qui nourrit les imaginaires à travers les « représentations dominantes de l’individualisme et de la réussite » (p. 74).

4La deuxième partie de l’ouvrage tire les conséquences des processus historiques décrits et d’une compréhension plus élargie de l’activité précaire, en introduisant les nouvelles formes d’écart et de style organisationnel « au sein d’un rapport commercial dont la dissymétrie contraint le travailleur et le constitue dans une relation de dépendance » (p. 86). Cingolani revient, dans son troisième chapitre, sur la forme salariale qui a toujours été considérée comme un aboutissement, et dont l’institutionnalisation, bien qu’elle a permis une avancée considérable concernant l’assujettissement du travailleur, a limité une approche plus globale et compréhensive de « l’actualité de l’autonomie » (p. 88). En effet, une politique précaire n’est possible qu’en prenant en compte cette autonomie de travail et la « critique du rapport d’altérité au principe de l’expérience salariée » : il s’agit de « déplacer les enjeux pour élaborer un droit du travail qui soit tout à la fois au-delà de l’emploi et au-delà du salariat » (p. 90).[...]»

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