segunda-feira, 19 de janeiro de 2015

À quoi sert le jeu ? Entretien avec Gilles Brougère

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 «Le jeu fait partie de nos vies. Mais qu’apprend-on en jouant ? 
Parfois rien, parfois beaucoup. Et lorsqu’il est programmé pour produire des apprentissages, est-ce encore un jeu ?

« Une vie vertueuse ne va pas sans effort sérieux et ne consiste pas dans un simple jeu », disait Aristote. Longtemps, le jeu, associé à la frivolité et au plaisir, a été objet de méfiance dans les sociétés occidentales. Il aura fallu attendre le XIXe siècle pour qu’il sorte du purgatoire où il était confiné, notamment par le christianisme. 


Le jeu enfantin, tout d’abord, est mis sur la sellette par le courant romantique de philosophes et de pédagogues qui, à la suite de Jean-Jacques Rousseau, y voit la manifestation de la nature pure et spontanée de l’enfant. « Le jeu est une activité sérieuse », disait de son côté le pédagogue allemand Friedrich Fröbel, inventeur des jardins d’enfants.


Au XXe siècle, les sciences sociales réhabilitent à leur tour le jeu cependant qu’émerge ce que l’on a appelé la civilisation des loisirs. Deux essais font toujours référence : Homo ludens. Essai sur la fonction sociale du jeu (1938), dans lequel l’historien néerlandais Johan Huizinga voit le jeu comme l’une des activités humaines procurant une forte dimension de plaisir, d’excitation ou de fièvre ; et Les Jeux et les Hommes (1958), où le sociologue Roger Caillois le définit comme « principe permanent de la vie sociale », en en dressant une célèbre typologie. En permettant de s’évader gratuitement des impératifs de la vie quotidienne, le jeu serait une manière de rejouer, pour un temps limité, son rapport au monde. 


Si le jeu a enfin trouvé la reconnaissance qui lui était déniée, les sociologues voient aujourd’hui les activités ludiques comme un processus culturel et social. Spécialiste de la question, le sociologue Gilles Brougère insiste sur la dimension de plaisir du jeu, même si, bien sûr, on peut apprendre en jouant, tout comme on apprend de toutes les activités de notre vie quotidienne…


Le jeu est-il un pur divertissement ?



On joue rarement pour apprendre, mais plus souvent pour se distraire ou passer le temps, comme par exemple quand on joue dans le métro avec son smartphone. 


Il faut remettre les apprentissages qui se font par le jeu dans l’ensemble des apprentissages informels. On apprend de manière informelle quand on se promène, quand on voyage, quand on regarde la télévision, quand on rencontre des amis et aussi quand on joue. Mais il arrive aussi que l’on n’apprenne rien de ces situations. Il faut sortir du mythe que le jeu est une situation exceptionnelle : comme dans toutes les activités (y compris le travail), si l’on apprend parfois, l’on n’apprend pas toujours. Parfois, on ne fait que mobiliser des connaissances déjà acquises et le seul but est de réussir. Qu’est-ce que l’on apprend quand on fait une réussite aux cartes par exemple ? Oui, le jeu peut n’être qu’un pur divertissement.


Quelles sont cependant les caractéristiques propres au jeu qui peuvent générer des apprentissages ?



D’une part, le jeu permet de faire semblant : c’est le « c’est pour de faux », ou le « comme si » des enfants. Il nous plonge dans un monde de fiction, où donc l’on peut se permettre d’échouer, de tenter des choses… C’est un espace qui permet d’expérimenter sans risque, sans la sanction de l’échec. Sur Internet par exemple, l’on peut se transformer en homme ou en femme, essayer de ressentir ce qui se passe en modifiant son identité. Les enfants jouent à se faire peur, à faire semblant d’avoir peur… Quand le jeune enfant comprend qu’il peut jouer à se faire disparaître en mettant la main sur son visage, il entre dans la fiction du jeu. Il a appris ce qu’est une activité de second degré.


Une deuxième caractéristique du jeu est qu’il initie à la décision. Jouer, c’est décider d’agir selon une règle que l’on accepte ou que l’on peut négocier collectivement en accord avec les autres joueurs. Cet espace de décision produit par le jeu est très important pour les enfants qui ont souvent, par ailleurs, un quotidien très structuré. Apprendre à décider dans le contexte d’incertitude propre au jeu (qui va gagner ? qui va perdre ? quelles épreuves vais-je devoir affronter ? etc.), peut être très formateur. Le niveau d’engagement fait que l’on va apprendre plus ou moins du jeu. 


Observation, exploration, imitation, participation sont les quatre grands vecteurs de l’apprentissage informel, stimulés par la curiosité.


On connaît le succès d’estime et l’attraction des familles pour les « jeux éducatifs ». N’y a-t-il pas un paradoxe dans l’expression elle-même ?



En fait, aucun jeu n’est éducatif en soi. Ce qui est éducatif, c’est l’expérience que le joueur va en en tirer (ou non). Si l’on maîtrise totalement le jeu, il procure juste un plaisir. Mais il peut être aussi l’occasion de s’entraîner à résoudre des problèmes, ou encore à se confronter à des défis : un défi physique dans une partie de tennis, un défi intellectuel comme dans certains jeux vidéo. Ces apprentissages peuvent être conscients ou plus implicites.


Par ailleurs, il existe aussi des jeux qui nécessitent des apprentissages préalables. Dans le cas d’un jeu de société, lorsque vous entrez sur un terrain de foot ou un court de tennis, vous devez déjà maîtriser certains savoir-faire, certaines techniques et certaines règles. Certains jeux vidéo en revanche, ont cette particularité d’avoir intégré le moment de l’apprentissage au jeu : la compréhension des mécanismes se fait en pratiquant. 


Une vieille question fait toujours polémique dans le monde scolaire. Peut-on « apprendre en jouant » à l’école ?



Le problème est de savoir si dans l’école, toute éducation doit être formelle, ou si on laisse un espace pour l’éducation informelle (loisirs, jeux pouvant occasionner des apprentissages). La question se pose notamment à la maternelle, pour les enfants de 2 à 4 ans. En France, on a tendance à très vite formaliser les apprentissages. L’éducation informelle est par contre privilégiée pour les petits dans beaucoup de pays où l’on programme les apprentissages scolaires beaucoup plus progressivement. Pour moi, la dérive française est de penser que l’on ne peut apprendre que lorsque l’on a conscience de ce que l’on apprend et que l’on a mis en place des dispositifs d’apprentissage. Lorsque le jeu est utilisé en classe, il perd alors ses caractéristiques : l’incertitude est levée par la volonté de l’enseignant d’en déterminer le but, la dimension de frivolité laisse place au sérieux éducatif et la décision du joueur est remplacée par l’intervention de l’adulte. Le jeu est instrumentalisé à des fins précises qui n’en font plus un jeu.
[...]»

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