L’étude des mémoires animales nous montre qu’il n’y a pas, dans l’espèce humaine, une seule, mais des mémoires (encadré).
La mémoire humaine est une sorte de mosaïque de capacités très
différentes, apparues au cours de l’évolution chez nos ancêtres animaux (1).
Ces différents types de mémoire peuvent donner aux individus, à
l’intérieur même d’une famille, des profils mnésiques particuliers et
variés.
Inné et acquis
Comme la plupart des phénomènes biologiques, les mémoires comprennent
des bases innées et des processus acquis. Il existe des
prédispositions, largement innées et génétiques, à certaines mémoires.
Ainsi, au sein d’une même famille, un enfant sera spontanément doté par
certaines mémoires procédurales : il se révélera, dès son jeune âge,
particulièrement adapté à des acquisitions gestuelles comme
l’apprentissage de la marche, du vélo ou d’un instrument de musique.
Tandis qu’un autre présentera des aptitudes particulières dans certaines
mémoires épisodiques, par exemple, auditives ou visuelles.
Mais il existe des éléments beaucoup plus importants que ces
prédispositions : la manière dont on éduque les enfants peut ainsi avoir
des conséquences considérables sur leurs aptitudes mnésiques et, sur
leur mode de vie ultérieur. D’une part, parce que toute mémoire
s’entraîne, se développe avec l’exercice, qui peut accroître ou, au
contraire, combattre le jeu des prédispositions. D’autre part, une
petite fille que l’on forcera à la couture ou un gaucher de naissance
que l’on obligera à écrire avec la main droite en subiront, dans leur
vie ultérieure, de grandes influences. Si elles s’appuient sur des
prédispositions, les mémoires humaines sont donc largement du domaine de
l’acquis : on parle alors de modifications « épigénétiques ».
L’aptitude à acquérir des conditionnements ou des empreintes, à
mémoriser des règles ou des épisodes de vie est au départ génétique,
mais ce que l’on apprend ou ce de quoi l’on s’imprègne (pour
l’empreinte) reste épigénétique, donc acquis.
Au sein d’une même famille, les parents peuvent ainsi modifier les
différentes mémoires de leurs enfants, davantage pousser un enfant vers
le sport ou vers les études, donnant ainsi volontairement plus de poids
aux mémoires procédurales ou déclaratives. D’autres parents insisteront
sur des mémoires différentes. Mozart avait sans doute des
prédispositions à la mémoire musicale, mais le fait d’avoir grandi dans
une famille très portée sur la musique a certainement eu une influence
considérable.
Un cerveau toujours juvénile pour jouer encore
L’aspect acquis, épigénétique, des mémoires est d’autant plus
important dans l’espèce humaine que l’homme conserve, durant toute sa
vie, des caractères juvéniles, non seulement dans son corps de singe nu
aux grands yeux (2),
mais aussi dans la très grande plasticité juvénile de son cerveau, qui
lui permet d’apprendre, de manière considérable jusqu’à un âge avancé,
grâce à ses cent mille milliards de connexions neuronales. Ces capacités
extrêmes de mémorisation se manifestent notamment dans l’importance du
jeu.
La plupart des animaux jouent seulement quand ils sont jeunes, afin
de mettre au point et de mémoriser leurs comportements ultérieurs
d’adultes. Les hommes, eux, jouent tout le temps. Que l’on songe à
l’importance des jeux sportifs ou des jeux de hasard, mais aussi au fait
que des activités humaines essentielles, comme la création artistique,
la recherche scientifique ou l’activité sexuelle, comprennent une part
non négligeable de jeu. Les mémoires prodigieuses de l’espèce humaines
résultent donc de la combinaison des aptitudes d’un cerveau surpuissant
et de sa grande plasticité juvénile (3).
Ce caractère juvénile du cerveau humain serait pour beaucoup dans
l’extrême variété des adaptations possibles des mémoires au sein d’une
même famille, et l’extrême modification épigénétique possible des
performances mnésiques. Les mémoires humaines peuvent ainsi s’adapter à
tout. Ces effets épigénétiques pourraient même être
transgénérationnels : on peut ainsi imaginer que le mode de vie des
grands-parents puisse, par des apports culturels transmis entre
générations, affecter le mode de vie de leurs petits-enfants et leurs
aptitudes de mémoire, sans passer nécessairement par la transmission
génétique des prédispositions. Ainsi pourraient s’expliquer, de manière
épigénétique, les familles de musiciens ou de médecins.
À côté des processus innés de l’hérédité darwinienne, les mémoires
témoignent de processus culturels qui conservent, par rapport à la
transmission génétique, une relative autonomie.[...]»
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