«L’« État islamique » (ou Daesh) réunit et radicalise deux conceptions du jihad :
l’islam privatisé d’Abdallah Azzam,
et le jihad mondialisé d’Oussama Ben Laden.
Avant d’être un appel à la lutte contre un ennemi extérieur à l’islam, le jihad – « combat sacré dans la voie de Dieu »
– a d’abord été la principale arme conceptuelle utilisée par les
docteurs de la loi contre le pouvoir califal à partir du 8e siècle. La
question était alors de savoir qui pouvait prétendre parler au nom de la
collectivité des croyants. Après leur accession au pouvoir en 750, les
Abbassides considéraient qu’ils étaient les dépositaires exclusifs de la
légitimité religieuse. À ce titre, il leur incombait de déclarer la
guerre et de définir l’ennemi.
À la même période, des savants religieux construisirent la notion de « communauté des croyants » (oumma) pour exciper du droit de parler, eux aussi, au nom de la religion. Ces « oulémas » (docteurs de la loi) se mirent à compiler les paroles, actes et attitudes du Prophète (hadith) pour constituer une tradition (sunna) élevée par eux à la même dignité que le Coran. La loi religieuse (charî’a)
était désormais composée d’une nouvelle couche de normes, tirée de
l’exemplarité du Prophète, à laquelle s’ajoutera celle de ses compagnons
et de leurs épigones.
La notion de jihad militaire souda cette conception de la communauté. Une partie des oulémas en vint à concevoir le « combat sacré dans la voie de Dieu » comme une attribution organique de la oumma.
Selon eux, ce combat constituait un devoir communautaire et non une
prérogative laissée à l’arbitraire du pouvoir politique. Les dirigeants
politiques ne devaient pas entraver sa mise à exécution, car, face au jihad, princes et croyants étaient placés sur un pied d’égalité.
Une tradition minoritaire
Les oulémas du châm (Grande Syrie géographique) ont joué un rôle privilégié dans la mise en avant d’une conception armée du jihad. Victorieux de l’Empire sassanide à l’est, les soldats de l’islam piétinaient face à Byzance, et durent admettre plusieurs défaites militaires, au sol comme sur les mers. Une théologie militaire vit le jour dans cette atmosphère de veillée d’armes, avec des villes-garnisons (ribât) établies aux avant-postes. Alors que les oulémas de Médine et d’Irak ne voyaient dans le jihad qu’une action à caractère surérogatoire, les oulémas du châm multipliaient les témoignages prêtés au Prophète et à ses compagnons sur le caractère sacré du jihad militaire en tant que « devoir individuel ». Quitter sa résidence pour prendre la défense de l’islam était comparable à la hijra de Mohammed lorsqu’il quitta La Mecque pour Médine en 622. Cette tradition, certes minoritaire, n’a jamais disparu dans l’histoire de l’islam. En 1300, Ibn Taymiyya en fit usage contre les Mongols, dont la conversion à l’islam était jugée superficielle et inauthentique. Au 20e siècle, ce précédent inspira dans les années 1960 un intellectuel islamiste égyptien, Sayyid Qotb, issu du mouvement islamiste des Frères musulmans. Celui-ci considérait que le jihad devait prendre pour cible les dirigeants musulmans qui, à l’instar des Mongols vitupérés par Ibn Taymiyya, « ne gouvernaient pas selon la Loi de Dieu ». Il fut pendu par Gamal Abdel Nasser en 1966, mais ses disciples parvinrent à assassiner Anouar el-Sadate en 1981. [...]»
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