2Organisé
en quatre chapitres, l’ouvrage resitue tout d’abord la question de
l’égalité professionnelle dans son contexte, en rappelant les principaux
processus qui participent de façon combinée aux rapports sociaux de
sexe et à la production des inégalités (Chapitre 1. La construction des
inégalités : entre marché du travail, processus organisationnels et
rapports familiaux). Il explicite ensuite la chronologie des avancées
juridiques, en soulignant l’articulation d’un cadre international et
national et en montrant comment le contenu et la portée du droit de
l’égalité professionnelle ont progressivement évolué (Chapitre 2.
L’égalité professionnelle : des principes juridiques à leur mise en
œuvre). Puis, l’ouvrage analyse les principaux acteurs concernés et les
formes et degrés de leur engagement (Chapitre 3. Les acteurs et les
enjeux de l’égalité professionnelle : l’État, les entreprises, les
syndicats). Enfin, sont mis en lumière les apports et limites des
démarches en matière d’égalité professionnelle (Chapitre 4. Les
démarches de mise en œuvre de l’égalité professionnelle). Ce faisant,
l’ouvrage développe quatre idées majeures pour éclairer les processus
complexes dans lesquels la question de l’égalité professionnelle se
trouve inscrite.
3Première
idée, les mécanismes sociaux qui contribuent à produire des inégalités
entre les sexes dans le domaine professionnel sont multiples, opérant à
différents niveaux. Partant, construire l’égalité professionnelle entre
les femmes et les hommes suppose de prendre en compte et d’agir sur
différentes dimensions : la façon dont sont construites socialement les
qualifications, avec le constat d’une dévalorisation systématique des
qualifications et emplois féminins ; l’influence de normes et de
stéréotypes de genre dans les pratiques de gestion des ressources
humaines des entreprises ; les politiques sociales et familiales dont
les contenus peuvent renforcer ou au contraire atténuer la division
sexuelle du travail domestique ; les normes et stéréotypes genrés
véhiculés et reproduits dans l’éducation et l’orientation scolaire et
professionnelle, qui contribuent à maintenir une ségrégation sexuée des
métiers.
4Seconde
idée, le droit de l’égalité professionnelle entre les femmes et les
hommes est le fruit d’une longue construction. L’ouvrage revient ainsi
sur la conquête des droits des femmes en France, dans laquelle cette
construction s’inscrit. Il rappelle la chronologie des lois qui, de 1907
à 2014, marquent différentes avancées touchant la citoyenneté politique
et économique et la reconnaissance de droits en matière d’autorité
parentale, de contraception et d’avortement. Il montre également
l’influence majeure du droit européen, en soulignant les réticences
initiales des législateurs français à intégrer certaines notions
juridiques mobilisées dans les textes communautaires en matière
d’égalité professionnelle, comme par exemple celle d’« action
positive ». La prise en compte de la question de l’égalité
professionnelle par le droit français, est venue par ailleurs remettre
en cause la logique maternaliste qui prévalait depuis la fin du XIXe
siècle, et qui visait moins l’égalité, que la protection de salariées
par rapport à des conditions de travail jugées incompatibles avec leur
rôle maternel (interdiction du travail de nuit, …).
5Le
cadre juridique de l’égalité professionnelle en France s’est donc étoffé
progressivement. Evolutions successives, allant des premiers principes
affirmant une égalité formelle – « égalité des droits » - à la recherche
d’une égalité plus substantielle. Après l’affirmation de principes
d’égalité dans le préambule de la Constitution de 1946 et de l’égalité
des rémunérations pour un travail « de valeur égale » (1972), apparaît
la volonté d’une mise en œuvre concrète. Avec le vote de la loi de 1983
dite « Loi Roudy », est clairement posée la question des moyens destinés
à obtenir une égalité effective dans la sphère du travail. Par
l’introduction du principe des actions positives, la loi de 1983 va
légitimer « des mesures temporaires prises au seul bénéfice de groupes
de femmes et visant à établir leur égalité des chances » (p. 27), dans
différents domaines du travail et de l’emploi (embauche, formation,
promotion, …). Dans le prolongement de ces efforts pour une égalité
substantielle, l’arsenal législatif est ensuite complété par trois lois
successives (2001, 2006, 2014), qui renforcent les contraintes en
matière de mise en œuvre de l’égalité et instituent notamment une
obligation de négocier.
6Troisième
idée, le grand nombre d’acteurs appelés à coopérer contribue à rendre
particulièrement complexes la construction et la mise en œuvre effective
de l’égalité professionnelle. Soulignant les rôles respectifs de
l’État, des entreprises et des syndicats de salarié-e-s, J. Laufer
montre que ces acteurs ne présentent ni le même niveau de
sensibilisation à la question, ni les mêmes préoccupations. Confrontées à
des contraintes juridiques qui varient selon leur taille, les
entreprises s’avèrent diversement impliquées, la situation étant
beaucoup plus favorable pour les salariées des plus grandes structures.
7S’il
met par ailleurs en avant le rôle moteur et l’engagement de l’État en
faveur de politiques d’égalité, conduisant à évoquer l’idée d’un
« féminisme d’État », l’ouvrage relève toutefois que les arguments
invoqués par la puissance publique en faveur des politiques d’égalité
changent et se rapprochent, dans la période récente, des discours en
vigueur en entreprise. Tout en renforçant la dimension coercitive du
dispositif juridique, l’État tend ainsi à faire passer au second plan
les objectifs de justice sociale, au profit d’une rhétorique fondée sur
la performance économique.
8Quatrième
idée, l’ouvrage fait état d’un paradoxe quant aux avancées réalisées.
Tout d’abord, plusieurs éléments paraissent témoigner de la légitimité
acquise par la question de l’égalité professionnelle : la croissance du
nombre d’accords de branche et d’entreprise, l’augmentation du recours
au droit, l’usage reconnu et l’acception plus large de la notion de
discrimination qui englobe désormais les discriminations indirectes
(c’est-à-dire les mesures prises par les entreprises, qui, non
construites spécifiquement pour différencier, produisent concrètement
des inégalités entre les femmes et les hommes). De même, entrainant un
examen systématique des politiques publiques à l’aune de leurs effets en
terme d’égalité femmes/hommes, le développement du gender mainstreaming signale la reconnaissance acquise par le sujet.
- 1 Sur le concept d’intersectionnalité, on peut lire Alexandre Jaunait et Sébastien Chauvin, « Représe (...)
9Mais,
dans le même temps, les enjeux de l’égalité professionnelle semblent
être progressivement occultés par la thématique de la « diversité », qui
a connu un engouement récent extrêmement rapide. S’il a le mérite de
soulever la question de l’« intersectionnalité »1
des rapports sociaux (en particulier de sexe, d’ethnicité et d’âge), un
tel succès peut conduire à ignorer la portée générale et l’ampleur des
discriminations dont sont victimes les femmes.
10Au
total, l’ouvrage offre une synthèse précieuse pouvant intéresser un
large public d’étudiant-e-s, d’enseignant-e-s et de professionnel-le-s.
Il dresse un tableau des progrès réalisés et des étapes à venir et tire
les enseignements des obstacles qui subsistent.[...]»
Ler mais...
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