«1Sans grand risque de se tromper, on peut prédire que Du temps acheté
deviendra un livre important : la démonstration implacable livrée par
l’auteur, Wolfgang Streeck, aboutit en effet à des conclusions
alarmantes qui feront dates. Des conclusions qui, de surcroît, nous
engagent en tant que citoyens.
2Le
sociologue de l’économie allemand nous offre en effet une analyse
brillante et originale des conditions de surgissement de la crise
financière de 2007-2008. En s’appuyant sur les théoriciens de l’École de
Francfort pour avancer sa thèse, Wolfgang Streeck s’interroge plus
largement sur la logique de fonctionnement du capitalisme. Il tire de sa
réflexion des idées fortes : depuis la fin des « Trente glorieuses »
(1945-1973), l’économie capitaliste doit assumer une crise structurelle
qui ne s’est évidemment jamais réellement solutionnée ; le capitalisme
est donc voué à s’autodétruire. Dans cette perspective, la
financiarisation des économies n’aura finalement été qu’une façon de
retarder l’échéance… Et la dimension démocratique du capitalisme s’est
éteinte, particulièrement depuis la crise de 2008, notamment en Europe.
3On saisit ici que cet ouvrage, Du temps acheté,
pose au bout du compte une question fondamentale et tellement
dérangeante : le capitalisme – tel qu’il existe aujourd’hui – peut-il
encore permettre à une forme de démocratie d’exister ? On l’a déjà
compris : pour l’auteur, le politique a perdu face à l’économique et au
financier, si bien qu’il faudrait admettre l’idée que nous sommes en
« post-démocratie ». Par exemple, le niveau colossal des dettes
souveraines – les dettes des États – démontrerait définitivement que ce
ne sont plus désormais les élus qui gouvernent mais bien les marchés
financiers. Au fond, les « gens de marché » – suivant l’expression
quelque peu imprécise de l’auteur – sont devenus des « citoyens bis »
qui, condition très aggravante, se montrent bien plus puissants que les
« citoyens réels ».
4Wolfgang
Streeck met en avant trois phases dans l’histoire récente du
capitalisme pour justifier ces affirmations pour le moins
préoccupantes : l’« État fiscal » qui s’appuie sur les prélèvements
obligatoires pour financer ses dépenses publiques cède la place à un
« État débiteur », lorsque les pouvoirs publics doivent s’appuyer sur la
dette pour maintenir les réformes sociales et ainsi s’offrir un
consensus à crédit ; enfin, l’« État débiteur » qui s’est imposé une
dette consolidée, soit l’État d’aujourd’hui, celui qui ne cesse de se
refinancer sur les marchés financiers et se trouve donc dans
l’obligation de toujours donner des gages à ses prêteurs. Dès lors, les
gouvernants ne sont plus que des agents passifs qui doivent satisfaire
les exigences des « gens de marché ». Aussi, l’État démocratique est
défait : les décisions politiques ne sont plus celles de la souveraineté
populaire mais seulement celles qui permettent de conserver la
confiance des prêteurs. C’est ainsi que Wolfgang Streeck explique les
politiques publiques menées ces dernières années qui réduisent
considérablement la protection sociale et la place des services publics.
On reconnait ici la situation des économies des pays de la zone euro.
D’ailleurs, les règles qui contraignent les choix budgétaires ne sont
pas nécessairement validées à la suite d’un vote direct. Rappelons-nous,
par exemple, que les dispositions du Traité constitutionnel européen
ont été rejetées par les Français lors du référendum de 2005 pour
ensuite être tout de même ratifiées – pour l’essentiel d’entre elles –
par la voie parlementaire, en 2007, sous la forme du Traité de Lisbonne.[...]»
Ler na totalidade...
Sem comentários:
Enviar um comentário