«De Mossoul à Nimroud, les islamistes détruisent les
antiquités. Pourquoi s'attaquer à la culture ? L'historien Pierre-Jean
Luizard répond à nos questions. En Irak, les antiquités assyriennes sont
massacrées par l'Etat islamique. Pourquoi ? Les réponses de l'historien
Pierre-Jean Luizard (que l'on retrouve dans Télérama mercredi prochain), qui vient de publier Le Piège Daech. Pourquoi ces nouvelles destructions à Nimroud (l'antique cité assyrienne Kahlu), après celles du musée de Mossoul ?
Ces destructions ont d'abord une fonction de provocation à l'égard des
pays occidentaux, afin de les piéger dans l'urgence, sous le coup de
l'émotion, de déclencher une réaction militaire. C'est la même politique
du pire que l'on retrouve dans toutes les actions médiatisées de l'Etat
islamique, qu'il s'agisse d'horreur humaine – les décapitations des
vingt et un coptes en Libye – ou culturelle – la mise à sac du musée de
Mossoul.
Ces destructions veulent aussi réaffirmer l'idée répandue, dans les
courants musulmans radicaux, selon laquelle l'archéologie est l'enfant
du colonialisme. C'est une idée que l'on retrouve en Egypte, en Syrie,
en Irak, et même au Liban, pays riches d'une antiquité pré-islamique.
Ils entendent faire le procès de l'appropriation d'un passé
anté-islamique par la Grande-Bretagne, la France, l'Allemagne, l'Italie,
qui ont été les principaux promoteurs de l'Egyptologie, de
l'Assyriologie et de toutes les disciplines concernant l'Antiquité
mésopotamienne.
Ils pointent le fait que l'histoire des musées, à Bagdad, comme au
Caire ou à Mossoul, est directement liée à la domination coloniale,
notamment britannique. La mise en valeur de ce patrimoine serait de la
part des puissances occidentales une façon de nier l'islam, ou du moins
d'opposer l'Antiquité à l'islam…
Les islamistes veulent aussi détruire les idoles, non ?
L'iconoclasme du courant salafiste est effectivement porté à son paroxysme par l'Etat islamique qui entend interdire tout objet d'adoration. Cet iconoclasme a visé essentiellement des tombeaux de prophètes comme le tombeau de Jonas à Mossoul, et des tombeaux de saints soufis. Tout ce qui peut être susceptible d'adoration à la place d'Allah.
L'iconoclasme du courant salafiste est effectivement porté à son paroxysme par l'Etat islamique qui entend interdire tout objet d'adoration. Cet iconoclasme a visé essentiellement des tombeaux de prophètes comme le tombeau de Jonas à Mossoul, et des tombeaux de saints soufis. Tout ce qui peut être susceptible d'adoration à la place d'Allah.
Sur les sites archéologiques, c'est différent. Certes, à Nimroud, les
bas-reliefs ne représentent pas que des rois et des guerriers, mais
aussi des prêtres assyriens. Mais ce n'est pas tellement la valeur
religieuse qui compte, puisque les islamistes sont en général très
ignorants. Leur importe seulement la valeur que les Occidentaux leur
prêtent.
Il y a évidemment chez eux une très grande part de mauvaise foi,
puisqu'aujourd'hui personne ne va se prosterner devant les bas-reliefs
de Nimroud ou de Ninive. C'est juste une façon de dire que la
civilisation est née avec l'islam et non pas avec l'Antiquité comme les
Occidentaux voudraient le faire croire…
A dessein de choquer, n'exagèrent-ils par la quantité des destructions ?
On ne le saura pas avant d'aller sur le terrain. Au musée de Mossoul, il y a eu des destructions filmées, on ne sait pas exactement quoi, puisqu'une partie des statues et des bas-reliefs étaient des reproductions dans les sous-sols du musée.
On ne le saura pas avant d'aller sur le terrain. Au musée de Mossoul, il y a eu des destructions filmées, on ne sait pas exactement quoi, puisqu'une partie des statues et des bas-reliefs étaient des reproductions dans les sous-sols du musée.
Je ne suis pas certain que les islamistes soient à même de faire la
différence entre les deux… Pour Nimroud, il y a à la fois un patrimoine
architectural et des bas-reliefs, il semble qu'ils se sont
particulièrement acharnés sur les représentations humaines.
Ces destructions à Nimroud se sont produites au moment où se
déploie l'offensive de l'armée de Bagdad vers le nord, sur Tikrit. Y
a-t-il un lien ?
Oui, parce que l'offensive sur Tikrit est menée par l'armée irakienne avec le soutien des milices chiites, directement formées par les Iraniens, voire sous la direction de pasdarans iraniens. Or, les salafistes ont toujours dit que le chiisme était une version moderne du paganisme iranien, zoroastrisme et mazdéisme. Et effectivement, les Iraniens sont immensément respectueux de leur passé pré-islamique, ils considèrent comme un véritable trésor national les antiquités achéménides et sassanides de la Perse.
Oui, parce que l'offensive sur Tikrit est menée par l'armée irakienne avec le soutien des milices chiites, directement formées par les Iraniens, voire sous la direction de pasdarans iraniens. Or, les salafistes ont toujours dit que le chiisme était une version moderne du paganisme iranien, zoroastrisme et mazdéisme. Et effectivement, les Iraniens sont immensément respectueux de leur passé pré-islamique, ils considèrent comme un véritable trésor national les antiquités achéménides et sassanides de la Perse.
Durant la révolution islamique, il n'y a eu aucune destruction, au
contraire, la République islamique a rivalisé avec le régime du Shah
pour préserver et mettre en valeur les richesses pré-islamiques. Aux
yeux des salafistes irakiens, c'est la preuve que le chiisme iranien
n'est qu'une version du paganisme. Et par ces destructions, ils veulent
signifier qu'ils représentent le véritable islam, qui commence avec la
rupture de la révélation du prophète. Avant, il n'y avait pas de
civilisation…
Ces destructions interviennent aussi où moment de la réouverture du musée de Bagdad…
Il n'y a plus que des chiites à Bagdad… Les islamistes veulent assimiler les chiites d'Irak à l'Iran, donc à l'idolâtrie. C'est une vieille histoire : le sunnite Saddam Hussein accusait déjà de façon récurrente les ayatollahs d'être des mages, comme à l'époque zoroastrienne. C'est de la mauvaise foi car en Irak, le rapport des chiites à l'Antiquité babylonnienne, qui les concerne directement, n'est pas aussi affirmé que le rapport des Iraniens à l'Antiquité achéménide et sassanide…
Il n'y a plus que des chiites à Bagdad… Les islamistes veulent assimiler les chiites d'Irak à l'Iran, donc à l'idolâtrie. C'est une vieille histoire : le sunnite Saddam Hussein accusait déjà de façon récurrente les ayatollahs d'être des mages, comme à l'époque zoroastrienne. C'est de la mauvaise foi car en Irak, le rapport des chiites à l'Antiquité babylonnienne, qui les concerne directement, n'est pas aussi affirmé que le rapport des Iraniens à l'Antiquité achéménide et sassanide…
On a lu dans la presse française que les Irakiens étaient fiers de la réouverture du musée de Bagdad…
Les Irakiens, en l'occurence les chiites de Bagdad, ont, hélas, d'autres soucis que la réouverture du musée. Ils vivent au jour le jour une situation chaotique et d'urgence qui est leur lot depuis plusieurs décennies. Ils ne vont pas passer leur vendredi à visiter le musée national.
Les Irakiens, en l'occurence les chiites de Bagdad, ont, hélas, d'autres soucis que la réouverture du musée. Ils vivent au jour le jour une situation chaotique et d'urgence qui est leur lot depuis plusieurs décennies. Ils ne vont pas passer leur vendredi à visiter le musée national.
Mais il y a aujourd'hui une prise en otage des antiquités par les
deux camps qui s'affrontent. Et même si les chiites irakiens n'ont pas
ce rapport à l'histoire nationale qu'ont les chiites iraniens, la
réouverture de ce musée côté chiite, comme la destruction des antiquité
côté sunnite, deviennent des emblèmes confessionnels.
Quel impact ont ces destructions sur la communauté sunnite ?
Difficile de le savoir… C'est vrai que les antiquités assyriennes sont davantage liées à la communauté sunnite, alors que les antiquités babyloniennes sont le fait de la communauté chiite.
Difficile de le savoir… C'est vrai que les antiquités assyriennes sont davantage liées à la communauté sunnite, alors que les antiquités babyloniennes sont le fait de la communauté chiite.
C'est vrai aussi qu'il y avait une grande fierté autour du musée de
Mossoul, que des générations d'archéologues irakiens avaient travaillé
sur les sites de Nimroud et Ninive. Mais l'attitude générale, c'est
l'indifférence ou la passivité, car les élites cultivées de Mossoul, qui
pouvaient trouver un prix à ce passé, sont réfugiées au Kurdistan ou à
Bagdad.[...]»
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