terça-feira, 3 de março de 2015

La tyrannie de la vitesse

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«Nos sociétés ont accéléré la cadence. Accélération technique, accélération des rythmes de vie, accélération des changements sociaux. Comment en sommes-nous arrivés là ? Et si on prenait le temps de penser nos vies…

Des journées trop chargées, à se dépêcher, à courir, pour tenter d’effectuer ce qui, en se couchant, restera à faire. À terminer demain. « Il faudrait allonger les journées ! », dit une collègue. « Le temps passe trop vite ! », se plaint l’autre. « On vit comme des dingues », renchérit la troisième.

« Vous les Occidentaux, vous courez vers la mort ou quoi ? », m’a un jour demandé un Sénégalais. Avant de me conseiller, en wolof : « Danke, danke » (« doucement, doucement »). « Être affamé de temps ne provoque pas la mort, rassurent John Robinson et Geoffrey Godbey, mais, comme l’avaient observé les philosophes antiques, empêche de commencer à vivre (1). » L’existence pleine a besoin de temps pour se déployer.


Depuis quelques années, des ouvrages de sciences sociales aux titres évocateurs ont envahi les tables des libraires : Accélération (2) du sociologue allemand Harmut Rosa, Le Grand Accélérateur (3) du philosophe Paul Virilio, le dossier de la revue Esprit « Le monde à l’ère de la vitesse » (4), La Dictature de l’urgence (5) de l’essayiste Gilles Finchelstein, et d’autres encore. Le phénomène est pourtant ancien : le sentiment d’une accélération est exprimé dès le XIXe siècle avec l’apparition du chemin de fer et se concrétise, dans une multitude d’expériences, au cours de la révolution industrielle. Pourtant, de nombreux penseurs tiennent le phénomène comme caractéristique de notre époque récente, qu’ils appellent la « postmodernité », la « seconde modernité » ou la « modernité tardive ».


Mais que recouvre cette expression d’« accélération du temps », si répandue ? La formule est à prendre avec précaution, laissant entendre que le temps lui-même s’accélère. Or personne ne dira voir les aiguilles de sa montre tourner plus vite. Donc, le temps que l’on appelle objectif, c’est-à-dire mesuré par des instruments – tels que les chronomètres, montres, horloges –, est stable et ne s’accélère pas. En revanche, l’accélération des rythmes de vie provoque « un sentiment que le temps passe plus vite », selon les mots d’H. Rosa.


Où est passé le temps libre ?


Cette modification perceptive du temps est fondée. Les faits témoignent indéniablement d’une « accélération technique » – la plus visible et documentée : l’augmentation de la vitesse de déplacement, de transmission de l’information et de production. Dans ces domaines, la technique nous permet d’effectuer, par rapport à nos grands-parents, les mêmes actions dans un temps beaucoup plus court. L’histoire de la vitesse de transport – de la marche à pied au navire à vapeur, au vélo, à l’automobile, au train à grande vitesse (TGV), à la fusée spatiale – montre que l’on effectue la même distance en beaucoup moins de temps. Pareil pour le transport des informations : alors qu’il fallait des semaines aux messagers à cheval et aux pigeons voyageurs pour transmettre des informations, le temps requis avec Internet est celui d’un simple clic.


Pourquoi sommes-nous alors débordés, en manque de temps, alors que la technique est censée nous en avoir libéré ? Voici l’un des plus grands paradoxes : plus nous gagnons du temps, moins nous en avons. Le calcul, illogique, interpelle. Où sont alors tous ces gains de temps, ce nouveau « temps libre » généré par la technique ? Remis en circuit. Comme le souligne H. Rosa, « nous produisons plus vite mais aussi davantage », les gains de temps étant ainsi absorbés par l’augmentation de la croissance. Voilà le problème : l’homme moderne est si gourmand qu’il veut parcourir, transmettre, produire trois fois plus (de distance, d’informations, de choses) alors même que la technique lui permet d’aller seulement deux fois plus vite. Si bien qu’il en vient à avoir moins de temps que son congénère en avait au siècle dernier.


Par conséquent, un sentiment d’urgence, anxiogène, pousse à accélérer la cadence. Ce qui entraîne, selon H. Rosa, une « accélération du rythme de vie », qualifiée de « densification » ou « intensification du temps quotidien », dans le but d’effectuer plus d’actions dans une même unité de temps. Selon l’auteur, l’homme use de deux stratégies pour y arriver.


La première consiste à augmenter immédiatement la vitesse d’action, consacrant ainsi moins de temps qu’auparavant à une même activité. À cet égard, les enquêtes de l’Institut national du sommeil et de la vigilance révèlent en effet que les Français dorment une heure et demie de moins que dans les années 1950 et deux de moins qu’au début du XXe siècle. On passerait également moins de temps à cuisiner. Selon l’Insee (Institut national de la statistique et des études économiques), la part des dépenses de repas en conserves et en produits surgelés a presque été quadruplée depuis 1960. Un ménage sur deux pratique le plateau-repas au moins une fois par semaine, sans compter l’essor du fast-food.


La seconde stratégie consiste à effectuer plusieurs activités en même temps, de façon à optimiser le temps présent. Ce que les Américains appellent le multitasking (le multitâches), comme travailler durant le temps d’un transport en train, plutôt que de discuter avec son voisin ou contempler le paysage. Ou bien faire réciter les devoirs de son enfant pendant que l’on lave la vaisselle. Ces tâches que nous effectuions auparavant moins vite et l’une après l’autre, c’est-à-dire successivement, s’effectuent aujourd’hui plus vite et en même temps, c’est-à-dire simultanément.


Une vie sociale en renouvellement perpétuel


H. Rosa observe également une « accélération du changement social », c’est-à-dire un changement plus rapide des rythmes de transformation eux-mêmes. Si la vie de nos grands-parents était plus ou moins stable tout au long de leur existence, les nôtres sont en perpétuel changement, bousculées par le déchaînement événementiel du monde.


D’abord, la rapidité des rythmes de transformation du monde social est en partie liée à la diffusion plus rapide des nouveautés technologiques. Chiffres à l’appui, le chercheur bruxellois Francis Heyligen démontre en effet qu’il s’écoula 175 ans entre l’invention de la machine à écrire en 1714 et sa diffusion mondiale, contre environ trente ou quarante ans pour des inventions comme le réfrigérateur et l’aspirateur au début du XXe siècle, et seulement une décennie pour que des nouvelles technologies comme les lecteurs de CD ou les magnétoscopes connaissent une diffusion de masse (6). Ce qui est significatif, c’est que leur pénétration dans le tissu social modifie la vie pratique et les orientations de l’action, et ceci plus rapidement qu’auparavant.


Au passage de plus en plus rapide des « nouveautés » technologiques, P. Virilio rapproche les renouvellements, de plus en plus fréquents, des partenaires amoureux. Les études de l’Insee révèlent qu’en France, le nombre de mariages ne cesse de baisser tandis que celui des divorces augmente. Aujourd’hui, près d’un mariage sur deux se terminera par un divorce, au bout de quatre ans en moyenne. D’où l’augmentation du nombre de pacs, depuis 2000, en partie symptomatique de l’incertitude liée à la vie de couple.

 

La dislocation de la vie quotidienne


Il n’y a pas qu’à la maison que les changements se répètent à un rythme de plus en plus rapide, la vie professionnelle est également affectée par ce que Paul-André Taguieff nomme le « bougisme ». P. Virilio rappelle en effet que « l’emploi à vie » est en passe de disparaître, d’un temps presque révolu. L’augmentation des contrats à durée déterminée (CDD), le développement du travail intérimaire et de la formation continue attestent qu’aujourd’hui une personne est amenée à occuper plusieurs emplois dans une même vie, voire à apprendre plusieurs métiers. Par ailleurs, la forte mobilité professionnelle des jeunes amène à déménager plus souvent et à se réhabituer à une nouvelle ville, voire à une autre culture. Sans parler des conséquences sur la création du lien social, amical comme amoureux.


L’accélération des rythmes du changement social chahute notre vie sociale. Dans Le Grand Accélérateur, P. Virilio met en garde contre cet excès de mouvement et voit dans l’effacement du « lieu » stable (le village, la maison, la famille, l’entreprise) une perte de repère social entraînant « la dislocation de la vie quotidienne ».


La représentation du temps, qui découle de cette inconstance de la vie quotidienne, modifie en tout cas nos actions. Trop de mouvement réduit considérablement notre horizon temporel, le passé étant déjà obsolète à peine passé tandis que le futur est difficilement prévisible. Reste une durée raccourcie, le présent, ayant encore un caractère durable et offrant un degré plus ou moins élevé de stabilité. Selon le philosophe allemand Hermann Lübbe, cette « compression du présent (7) », caractéristique de l’accélération sociale, illustre l’incertitude de notre monde et génère des hésitations au sujet des projets d’avenir.


Cependant, ces critiques à l’égard de l’accélération, et des effets qu’elle génère, sont assez récentes. Longtemps, l’accélération du progrès technique fut même très valorisée, promettant une plus grande maîtrise du monde. C’est pourquoi la société s’est investie avec autant d’énergie en faveur de la révolution industrielle. Progressivement, l’idéologie d’une modernité fondée sur l’éloge de la vitesse, la rapidité des échanges, le mouvement d’une vie animée et dynamique s’est répandue jusqu’à l’émergence du Culte de la performance, selon le titre de l’ouvrage du sociologue Alain Ehrenberg (8).


Au début des années 1980, l’éloge de la vitesse s’imposa jusqu’au corps physique avec le développement de pratiques sportives agressives destinées, comme le rappelle le sociologue Yves Travaillot, à « conquérir la forme », pour « être actifs, libres et dynamiques (9) ». « Surtout, ne vous reposez pas trop », conseillait le magazine Vital. Cependant, la vitesse semble aujourd’hui un impératif plus subi que véritablement recherché, à écouter ceux qui aimeraient bien un peu se reposer sans se sentir pour autant moins performants, peut-être même plus.


Sans doute, l’homme s’est pris à son propre piège de l’innovation technique. L’élément constitutif de la société moderne est, comme le souligne H. Rosa, sans aucun doute « l’accélération en vue de l’augmentation ». Dans la logique du capitalisme, le moteur essentiel de l’accélération est l’argent. Il écrit : «  L’augmentation de la productivité permet de marquer des points dans la compétition – tout au moins jusqu’à ce que la concurrence en fasse autant, en réduisant le temps de travail socialement nécessaire à la nouvelle norme, ce qui déclenche une spirale de l’accélération potentiellement illimitée. » D’où l’introduction de nouvelles technologies qui feront gagner du temps et une accélération également recherchée au niveau du transport et de la distribution des produits.
[...]»

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