segunda-feira, 16 de março de 2015

Les Etats du Moyen-Orient seront-ils bientôt rayés de la carte ?

 
«Pour l’historien Pierre-Jean Luizard, l’Etat islamique progresse parce que les populations ne veulent plus subir l’ordre postcolonial.

Des monstres, des nazis… En France, on ne manque pas de qualificatifs pour les islamistes de Daech, qui semblent de leur côté tout mettre en œuvre pour révulser les opinions publiques occidentales. Mais comment expliquer leur expansion fulgurante, en à peine un an, sur un territoire sunnite qui abolit la frontière Syrie-Irak tracée en 1920, à la conférence de San Remo, par ces mêmes Occidentaux ? Comment expliquer que ces « monstres » aient été accueillis en libérateurs à Mossoul (2 millions d’habitants) ?

A rebours de nombre de commentateurs, l’historien Pierre-Jean Luizard décrit dans son dernier essai, Le Piège Daech, les logiques à l’œuvre depuis un siècle, et en conclut que les Etats du Moyen-Orient n’ont plus d’avenir. Il est urgent pour les Occidentaux de repenser leurs stratégies diplomatique et militaire et de s’impliquer politiquement pour sortir du piège que leur tend Daech.

Quand on referme votre livre on a le sentiment que l’Occident est à l’origine du chaos proche-oriental : d’abord, il y a un siècle, en « inventant » le Liban, la Syrie et l’Irak, ensuite en s’impliquant dans trois guerres en Irak…

Il est rare que les torts soient d’un seul côté, et je me méfie du militantisme culpabilisateur… Ces Etats ont certes été créés unilatéralement en 1920 par l’Angleterre et la France, qui avaient mobilisé les tribus arabes pour venir à bout de l’Empire ottoman. Mais si ces Etats ont tenu près d’un siècle, c’est bien parce que les discours émancipateurs des Français et des Anglais – le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes – rencontraient un écho local.

Comme la légitimité de l’Empire ottoman reposait sur l’allégeance religieuse au sultan d’Istanbul, il était de bonne guerre pour les Alliés de susciter des nationalismes ethniques pour miner les fondements de cet empire. La France et l’Angleterre ont donc fait des promesses tous azimuts, aux Arabes sunnites mais aussi aux minorités – chrétiens, Arméniens, Assyro-Chaldéens…



Pourquoi ces promesses ?

Il est toujours plus facile pour une puissance coloniale de gouverner un pays en s’appuyant sur une minorité, et non sur la majorité. D’ailleurs, en 2003, quand les Américains, après avoir éliminé le « minoritaire » sunnite Saddam Hussein, ont essayé de reconstruire l’Etat irakien avec les majorités chiites et kurdes, ils ont précipité le pays dans le chaos.

En Syrie, ce sont des théoriciens originaires des minorités chrétiennes, druzes, ismaéliennes, alaouites, qui ont créé en 1947 le parti nationaliste Baas, toujours au pouvoir. Ils ont transcendé leur statut minoritaire dans l’islam, dans le cadre plus large d’une identité arabe.

Les trois guerres irakiennes ont rompu ce fragile équilibre ?

Des Etats dits « mandataires » (1), l’Irak a été le plus féroce contre sa société, réprimant les Kurdes et les chiites. Les Américains ont tout de même sauvé Saddam Hussein deux fois : en considérant l’armée irakienne comme leur bras armé pour contenir la révolution islamique en Iran. Puis en le maintenant au pouvoir en 1991, avec des sanctions et un embargo qui leur permettaient de manipuler les cours du pétrole dans leur intérêt, sans empêcher Saddam de réprimer sa population chiite. Il n’y a pas eu de troisième sauvetage, puisque la guerre de 2003, totalement irrationnelle du point de vue américain, a entraîné la désintégration de l’Irak.

La fulgurante avancée de l’Etat islamique démarre en janvier 2014 par la prise de la ville sunnite de Falloujah, à 60 kilomètres à l’ouest de Bagdad. Cette ville avait beaucoup souffert des guerres américaines…

Oui, à Falloujah, comme à Tikrit, que l’armée régulière de Bagdad essaie aujourd’hui de reconquérir avec les milices chiites et l’aide de l’Iran, les insurrections de 2003-2004 ont été violemment réprimées par le gouvernement chiite d’Al-Maliki, soutenu par les Américains. Par la suite, quand les habitants sunnites de ces villes ont participé aux élections, et que des ténors de leur communauté ont rallié le nouveau système politique, ils ont vite compris que le gouvernement d’Al-Maliki ne leur ferait aucune place. A partir de 2012, un mouvement pacifique sunnite se développe, en reprenant les slogans du Printemps arabe ; mais l’armée irakienne bombarde les manifestants à Mossoul, Tikrit, Falloujah, provoquant un basculement de la communauté sunnite vers Daech.

Personne ne parlait de la répression subie par cette communauté, y compris en France. Pourquoi ?

La France s’était opposée à la guerre en 2003, et a tenté de le faire oublier en courtisant le nouveau gouvernement chiito-kurde en place à Bagdad. Aujourd’hui encore, le ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius, dit qu’il faut aider le gouvernement de Bagdad à recouvrer sa souveraineté sur tout le territoire irakien, alors que c’est la dernière chose que souhaitent les habitants sunnites de Mossoul et de Tikrit ! Ils ne veulent en aucun cas retourner sous la houlette d’un gouvernement chiite, d’autant que les quelques localités reprises par l’armée et les milices chiites à l’Etat islamique ont subi des massacres.



Vous affirmez même que l’Etat islamique a été considéré par les sunnites comme une armée de libération…

Parce que l’armée irakienne, en fait chiite, se comportait en armée d’occupation ! Corruption aux check-points, exécutions extrajudiciaires. Sur le papier, à Mossoul, il y avait trente mille soldats pour défendre la ville, mais chaque soldat laissait la moitié de sa solde à son supérieur pour ne pas être sur le terrain. C’était une armée fantôme, qui avant de s’évanouir a quand même mis la ville sous la coupe de clans locaux, qui organisaient la corruption à une échelle invraisemblable.

D’ailleurs, quand l’Etat islamique a décapité et crucifié quelques corrompus, la population a pu constater que la pénurie alimentaire avait disparu. Les marchés étaient de nouveau approvisionnés, les prix divisés par deux. La population de Mossoul n’était pas salafiste. Mais sa passivité s’est vite transformée en adhésion à un Etat de droit islamique qui remplaçait un Etat de non-droit. Je ne légitime pas les islamistes, mais, en diabolisant un ennemi, on se prive de comprendre son succès.

Pourquoi la France soutient-elle l’armée irakienne par des bombardements ?

Les diplomaties sont conservatrices par définition. Le Quai d’Orsay a toujours eu des relations avec les Etats arabes, quels qu’ils soient. L’Etat irakien étant à un stade d’effondrement avancé, la France s’est sentie obligée d’intervenir, le déclic ayant été le sort réservé par les islamistes aux minorités yézidies et chrétiennes.

Pourquoi bombarder l’Irak et pas la Syrie ?

Bombarder l’Etat islamique en Syrie serait reconnaître que cette création coloniale française s’effondre. L’enlèvement récent par les islamistes de deux cent vingt Assyriens vise d’ailleurs à pousser la France à réagir. L’Etat islamique, qui pratique toujours la politique du pire, souhaite des bombardements français.



En manifestant sa solidarité avec le gouvernement de Damas, la France montrerait qu’elle a toujours favorisé les minorités, au détriment des sunnites. Que des parlementaires français rencontrent l’Alaouite Bachar donne d’ailleurs raison aux islamistes, puisque les crimes de Bachar sont au moins aussi graves que ceux de l’Etat islamique. Simplement, il n’en fait pas la publicité…



Pourquoi l’Etat islamique, lui, médiatise-t-il ses crimes ?

Les islamistes semblent avoir listé tout ce qui peut révulser les Occidentaux. C’est une provocation permanente pour que les armées « croisées » s’engagent contre ce qu’ils veulent présenter comme « l’armée des musulmans » !

Mais, en Syrie, l’Etat islamique est loin d’avoir rallié tous les sunnites.

Contrairement à l’Irak, composé de trois blocs homogènes – un pays chiite au sud jusqu’à Bagdad, un kurde au nord, et des sunnites entre les deux –, la Syrie, pays très majoritairement sunnite, est une peau de léopard. Un sunnite syrien des rives de l’Euphrate est plus proche de son voisin irakien que d’un bourgeois cultivé de Damas ou d’Alep. La bourgeoisie sunnite des grandes villes continue à soutenir Bachar par peur du chaos, avec l’illusion que l’Etat est le garant de l’unité du pays, alors qu’il en est le principal facteur de division. A cette division sunnite s’ajoutent les multiples minorités, chrétiennes, druzes, alaouites, une quinzaine en tout !

Un Etat transfrontalier peut-il tenir sur des fondements islamistes ?

La frontière entre la Syrie et l’Irak, artificielle, a coupé la vallée de l’Euphrate. Les tribus shamar sont des deux côtés de la frontière. Aujourd’hui, seul l’islam peut réunir ces populations, qui ont été divisées artificiellement et placées de façon autoritaire sous la houlette d’Etats qui ne se sont pas ouverts au plus grand nombre. Symboliquement, une des premières actions de l’Etat islamique a d’ailleurs été de fonder une « province de l’Euphrate ».

L’Irak et la Syrie vont-ils disparaître ?

Bagdad ne sera plus jamais légitime à Mossoul, Damas ne réoccupera pas Raqqa, actuelle « capitale » de l’Etat islamique. C’est irréversible, car les frontières sont remises en cause par les populations locales. Je comprends que ce soit angoissant pour les diplomates d’entériner l’effondrement de ces Etats. Mais nous ne pouvons pas oublier qu’ils ont été construits sur la violation des promesses faites en 1916 par les Alliés aux populations sunnites du Moyen-Orient d’un « grand royaume arabe ». Il faut remplacer cette légitimité perdue par une légitimité populaire.[...]»

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