«1L’histoire des idées
politiques a longtemps souffert en France du discrédit porté plus
généralement sur l’histoire politique, notamment en raison de
l’influence de l’école des Annales. Elle connaît toutefois depuis
quelques décennies un véritable regain d’intérêt, dont témoignent bien
les travaux de P. Rosanvallon, aujourd’hui professeur au Collège de
France. Ce n’est cependant pas dans notre pays mais au Royaume-Uni qu’a
commencé le renouvellement historiographique qu’A. Skornicki et
J. Tournadre se proposent de décrire.
2Jusqu’aux
années 1970, l’histoire des idées politiques était principalement
centrée sur l’étude des textes canoniques, écrits par un certain nombre
de grands penseurs retenus par la postérité et abordant des valeurs
considérées comme universelles et intemporelles (la liberté, l’égalité,
etc.). C’est en rupture avec cette conception qu’est née la « nouvelle
histoire des idées politiques ».
3« Nouvelle »,
cette histoire l’est surtout par comparaison avec l’ancienne histoire
des idées politiques contre laquelle elle s’est construite : les
premiers travaux auxquels se réfèrent A. Skornicki et J. Tournadre ont
en effet maintenant une quarantaine d’années. Cette histoire constitue
cependant un champ qui est aujourd’hui encore l’objet d’importants
renouvellements, notamment à l’étranger. Là se trouve d’ailleurs l’un
des principaux intérêts de l’ouvrage. À travers celui-ci, ses deux
auteurs visent en effet à faire connaître au public francophone des
travaux qui, n’ayant pas toujours été traduits, restent pour certains
peu connus dans notre pays.
4Comme
tous les ouvrages de la collection « Repères », le livre s’adresse à un
public large d’étudiants et de chercheurs en sciences sociales. En cinq
chapitres, ponctués de quelques encadrés détaillant avec une certaine
précision tel ou tel point, il cherche à rendre compte des principales
tendances qui composent la nouvelle histoire des idées politiques. Une
telle histoire est caractérisée par une grande diversité, aussi bien
dans ses interrogations que dans ses objets. En fonction de ces
différences, les auteurs distinguent cinq grandes tendances, auxquelles
ils consacrent les cinq chapitres de leur ouvrage.
5Le
premier chapitre est consacré à l’école de Cambridge, qui incarne une
première rupture avec l’histoire des idées traditionnelle. Sa
spécificité tient à l’attention particulière qu’elle porte au contexte
rhétorique et intellectuel des textes qu’elle étudie. Pour des
historiens comme J. Pocock et Q. Skinner, il s’agit en effet de se
défaire à la fois de la tradition idéaliste, qui étudie les textes pour
eux-mêmes, sans prendre suffisamment en considération leurs lieux et
leurs époques de production, et de la tradition marxiste, qui prête
attention au contexte économique et social mais oublie le contexte
politique, comme si les œuvres pouvaient être comprises sans que l’on
prenne en compte les hommes et idées contre lesquels elles ont été
écrites.
6Le
deuxième chapitre de l’ouvrage est quant à lui consacré à ce
qu’A. Skornicki et J. Tournadre qualifient d’histoire des concepts
politiques, expression qui renvoie à des approches très diverses. Une
attention particulière est portée ici aux travaux de R. Koselleck et à
la sémantique historique, à ceux de M. Foucault ainsi qu’à ceux de
G. Stedman-Jones. Figure centrale du tournant linguistique, ce dernier a
été marqué dans son approche historique par la théorie non
référentielle du langage, selon laquelle les discours ne renvoient pas
directement à une expérience mais nécessitent d’être compris dans leur
cohérence interne. Son étude du chartisme, dépassant la traditionnelle
analyse socio-économique pour s’intéresser au langage particulier de ce
mouvement, lui a ainsi permis de montrer que celui-ci était moins tourné
contre le capitalisme (ce qui avait longtemps été l’interprétation
dominante) que contre un État dont les chartistes critiquaient le
caractère aristocratique ainsi que l’importante fiscalité qu’il faisait
peser sur le peuple.
7L’apport
des sciences sociales, et notamment de la sociologie, est fortement
souligné à partir du troisième chapitre. A ainsi émergé une histoire
sociale des idées politiques qui vise à rendre toute son importance au
contexte social dans lequel sont élaborées les idées politiques.
Celle-ci s’attache notamment à étudier les milieux sociaux dans lesquels
évoluent les penseurs et intellectuels. C’est par exemple ce que font
les époux Wood, qui étudient la pensée politique moderne entre le XIVe et le XVIe
siècle en insistant sur l’influence jouée par les évolutions
socio-économiques de la période, qui ont touché la distribution des
terres, les relations entre seigneurs et paysans ou encore le poids des
villes dans la société.
8Dans
une approche différente, la nouvelle histoire des idéologies
(chapitre 4) porte son attention sur la production et la diffusion de
celles-ci, en cherchant à dépasser l’étude des seuls penseurs
professionnels. La publication par D. Roche de la biographie de
Jacques-Louis Ménétra, compagnon vitrier parisien à la fin de l’Ancien
Régime, illustre bien une telle préoccupation, l’auteur y montrant ce
qu’ont pu être les rapports d’un homme du peuple avec les idées
politiques de son temps.
9Enfin,
un dernier chapitre concerne la mise en politique des idées,
c’est-à-dire la manière dont celles-ci quittent leurs milieux
d’élaboration initiale pour être intégrées dans des discours politiques,
qu’il s’agisse de ceux des hommes politiques ou de ceux des militants.
Une telle approche pousse notamment à étudier les transformations que
subissent inévitablement les idées en changeant de milieux, à travers
des processus de sélection et de reconfiguration.
10La
nouvelle histoire des idées politiques est ainsi caractérisée par sa
grande hétérogénéité. Son unité se fait principalement dans le rejet de
l’ancienne histoire des idées, à laquelle est reprochée une approche
anhistorique, et dans une attention plus grande portée au contexte de
production, de diffusion et de réception des idées. Ce terme de contexte
n’est cependant pas appréhendé de la même manière par les différents
auteurs : si l’école de Cambridge porte avant tout son attention sur le
contexte politique et rhétorique dans lequel les textes politiques sont
écrits, au risque de négliger le rôle des facteurs socio-économiques,
l’histoire sociale des théories politiques telle qu’elle est pratiquée
par les époux Wood adopte une démarche inverse.[...]»
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