quinta-feira, 14 de maio de 2015

Le prix de la respectabilité | FN, la dédiabolisation, jusqu’où ?

«De l’art de séduire politiquement quand on a économiquement tort.
FN
Pour un parti anti-système, la normalisation est une entreprise périlleuse. Se séparer des oripeaux antisémites et pétainistes de l’ancien dirigeant du Front national est une chose, vouloir prendre le pouvoir et acquérir un statut de parti de gouvernement en est une autre. Rien que le vocabulaire, “dédiabolisation”, témoigne de l’étrange spécificité du FN. Le dilemme est violent. Sortir de la radicalité idéologique sur l’immigration ou la priorité nationale, c’est tuer le fonds de commerce. Amender le programme économique en parlant de monnaie commune plutôt que de retour direct au franc, c’est commencer à se tirer une balle dans le pied. La négociation avec nos partenaires de la zone euro serait pour le moins délicate. Dédiaboliser, c’est entrer dans la complexité. Ce n’est pas le point fort de Marine Le Pen.
La mode médiatique est en ce moment de faire la courte échelle au parti de Marine Le Pen dans son entreprise de normalisation. La fin de la diabolisation serait proche ! Tel journaliste du “Grand Rendez-Vous Europe 1” invite la présidente du Front National à aller visiter le camp d’extermination d’Auschwitz pour tirer définitivement un trait sur le “détail de l’histoire” du père. Tel autre de BFM TV dira que les soupçons de corruption sur le financement du FN sont une preuve de sa banalisation. Jusqu’au président de la République qui affirme que “Marine Le Pen parle comme un tract du Parti communiste des années 70”, ce qui par ricochet inscrit le FN dans l’héritage standard du pays.

Le “Euréka” des bandes dessinées

Difficile il est vrai de rejeter hors de la communauté un socle électoral de quelque six millions de Français. Mais qu’en est-il des fondamentaux du FN ? Au plan politique, les marqueurs d’extrême droite sont toujours présents. Au plan économique, le programme porte toujours la marque de l’extravagance. Comment alors expliquer que des sondages placent Marine Le Pen en tête d’un premier tour de présidentielle et que le FN ait été aux européennes le premier parti de France ? Eh bien le Front national fait figure de recours face à “l’échec” de la gauche comme de la droite.
Ce parti aspire les mécontents en leur présentant une solution anti-système jamais essayée. C’est le “Eureka !” des bandes dessinées. Dans cette optique, le FN prend un grand risque en cherchant à se détacher de ses racines “nationales” (lepénistes) pour gagner en respectabilité. Il peut certes attirer davantage de bulletins de vote en se dédiabolisant. Mais en contrepartie, il sera en pleine lumière et pourrait y perdre l’avantage de la différenciation avec l’establishment.
À l’approche du pouvoir suprême, le FN apparaîtra pour ce qu’il est : une petite PME spécialisée dans la communication politique. Ses ailes pourraient vite tomber en vrille face au poids d’un trop-plein d’électeurs et face aux anticipations négatives provoquées par un programme anti-économique. Depuis son éviction du parti, à sa façon tonitruante, Jean-Marie Le Pen le clame haut et fort à la face de sa fille et de sa garde rapprochée.

Les brèves de bistrot

En fait, depuis de longs mois, le FN assimile à un rythme soutenu les rites de passage à la normalité. Son arme fatale, ce sont les brèves de bistrots. C’est facile à comprendre et c’est séduisant. Inlassablement, ce parti dénonce les dérèglements de la société française. Immigration envahissante, insécurité galopante, grande distribution qui enfonce le petit commerce, Bruxelles qui impose l’austérité… “Nous avons eu raison sur tout”, clament les caciques. Il faudra mesurer l’impact de la “formation” Jean-Marie Le Pen qui jouera à la corde de rappel idéologique.
Le talent des scripteurs du FN est grand. Ses communiqués sur l’actualité quotidienne sont un modèle du genre version bon sens au coin de la rue. Exemple daté du 28 avril. Le “député français au Parlement européen” Bernard Monot moque GDF-Suez rebaptisé Engie : “il faut supprimer toute racine ou référence historique à la France pour offrir le visage lisse et aseptisé qui sied à l’économie mondialisée. Messieurs les dirigeants, quand allez-vous également débaptiser Air France ou EDF et supprimer ce mot qui semble pour vous plus un handicap qu’un motif de fierté ?” Le discours répétitif, prononcé sur le ton de l’évidence, favorise le sentiment de proximité et l’empathie avec les thèses frontistes.
À chaque fois, un bouc émissaire est désigné, et fort logiquement il faut une protection maximum contre tous ces dangers qui pour l’essentiel viennent de l’étranger. Pour ce faire il faut notamment rebâtir des frontières et retrouver une monnaie bien française qui remplace cet euro apatride et destructeur d’emplois. Imparable !

Le grand dilemme de Marine Le Pen

Les groupes sociaux qui subissent de plein fouet les fermetures d’usines, les salariés détachés venus de l’Est, le travail au noir des clandestins, tous reçoivent cinq sur cinq le message. Selon les études de sociologie, en France, les précaires représentent 17 millions de personnes, soit près d’un tiers de la population. C’est environ la moitié des ouvriers et des petits commerçants, et près de 40 % des employés. Pas étonnant que le FN soit devenu le premier parti ouvrier de France.
Toutes les accusations récurrentes sur la nature idéologique du FN – raciste, antisémite, antimusulman, non républicain – n’ont pas de prise sur cette population. C’est un vote qui, selon les sondages, se solidifie. L’élimination du fondateur, Jean-Marie Le Pen, a pour but d’attraper un nouvel électorat rebuté par les dérapages. “Il s’agit de créer les conditions d’une dynamique majoritaire”, est-il précisé à l’issue du Bureau exécutif du 4 mai. Les 62 conseillers départementaux issus de la dernière élection en seraient l’avant-garde…
Tout cela a un goût d’inachevé. Pas d’abjuration solennelle des thèses d’extrême droite, comme a pu le faire en son temps le parti néofasciste italien de Gianfranco Fini. Pas de départ en masse des compagnons du vieux chef. Pas de changement de logiciel sur l’immigration. Pas de suppression de la “priorité nationale” qui est contraire aux principes de la République : le ciblage de listes entre les uns et les autres conduit vite à des enchaînements funestes. Le parti reste ancré par construction dans la radicalité idéologique et économique. S’il en sort, il perd son âme et peut-être sa raison d’être. C’est le grand dilemme de Marine Le Pen, qui se retrouve dans une impasse.

“On rase gratis”

Les 12 engagements du FN pour le redressement économique et social ne vont pas donner la solution. Ils font immédiatement penser à l’inusable “on rase gratis”. Il n’y a rien d’étonnant à ce que le Front national applaudisse le parti grec Syriza. Ils ont la même idée de la relance par la distribution de pouvoir d’achat : prime de 200 euros net pour la moitié des salariés, baisse des tarifs de l’énergie, “revalo” pour les fonctionnaires, augmentation des pensions, retraite à 60 ans. Si l’on raisonne tableau de financement, la faillite est assurée. En face de toutes ces dépenses publiques soudaines, il n’y a aucune production de richesse, mais un tsunami de déficits.
Dans le cas grec, Syriza avait un objectif simplissime : faire payer les ardoises par ses partenaires de la zone euro. Dans le cas du FN, c’est un peu plus élaboré. “Sans la sortie de l’euro, je sais pas faire”, déclare souvent Marine Le Pen. Le FN a en effet sa propre boîte à outils. Toute l’astuce consiste à s’appuyer sur les critiques légitimes, de gauche ou de droite, des dysfonctionnements de l’économie française et européenne pour présenter une sorte de contre-programme qui, en prenant le contre-pied de tout, résoudra tout.
L’euro cafouille : on en sort. La Commission européenne est un monstre bureaucratique : on se sépare de l’Union. La dette pèse d’un poids excessif : on remboursera les créanciers en francs dévalués. L’immigration devient insupportable : on la stoppe. L’industrie décroche face à la concurrence mondialisée : on place un cordon protectionniste “intelligent”.

Une vision hémiplégique de l’économie

Assurément c’est une stratégie de rupture. Est-ce qu’elle peut produire de la cohérence ? Oui, si la France se transforme en une Albanie mélancolique, fermée au monde extérieur et à niveau de vie très fruste. Non, car il s’agit d’une vision hémiplégique de l’économie. Les stratèges lepénistes ne voient que la face souriante de leur action. Exemple. Dans le sillage de l’abandon de l’euro, la dévaluation qui favorise les exportations est présentée comme un nouveau veau d’or. Mais hors de question d’intégrer au raisonnement des entreprises hexagonales moins chères, des importations indispensables plus chères, ou la tourmente sur les marchés comme au “bon vieux temps” de la chute du franc. Le FN ne connaît que la colonne heureuse des gains.
Le triptyque planche à billets-dévaluation-déficit budgétaire a pourtant fait ses preuves. Il conduit tout droit au modèle argentin. La Grèce tourne autour. Alors que Syriza entend rester dans l’euro, la fuite de l’épargne grecque en euros s’accélère et assèche les fonds propres des banques du pays. Que l’on imagine alors l’effroi des épargnants français et des prêteurs internationaux à l’annonce du passage au franc. Ce serait une façon de s’éloigner encore davantage de l’équilibre budgétaire (plus excédent pour payer les dettes) et de l’équilibre des comptes courants extérieurs – les deux critères d’une réelle souveraineté.

Rétropédalage

Attention à ne pas conclure trop vite, comme les futurs “Les Républicains”, à la débâcle programmatique du FN. Marine Le Pen a déjà commencé à rétropédaler. Le 18 février, devant la presse parlementaire, elle déclarait : “l’euro monnaie commune ne nous pose pas de problème”. Ce qui serait un retour partiel vers le futur : ni tout à fait l’ex-SME, ni vraiment la suppression complète de l’euro. Ce pourrait être une zone où subsisteraient 19 monnaies ayant entre elles un taux de change fixe – ajustable par accord selon les nécessités – avec chacun sa banque centrale, mais une monnaie commune pour les transactions commerciales et bancaires internationales.
Le FN “dédiabolisé” est tout à fait capable de remettre en cause certains de ses dogmes. Ce parti a connu la phase ultralibérale, il est aujourd’hui tendance “État stratège”, il peut errer demain dans d’autres eaux. Tout en misant en ces temps d’incertitude sur une actualité décidément bonne fille. Ce que les adversaires assuraient impossible le devient brusquement ! L’essayiste François de Closets relève : “il n’y a rien d’incroyable à imaginer que la Banque de France émette les milliards de francs dont on a besoin. Ce n’est d’ailleurs pas tellement différent d’une BCE devenant un guichet d’approvisionnement en euros”. Quant à l’hypothétique sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne, ce serait un puissant réconfortant pour la posture frontiste.

Kafka

Mais il y a un hic. Quand vous chassez le naturel, il revient au galop. Marine Le Pen le 6 mai à Prague : “il y a dix ans, des millions de citoyens avaient dit non au fédéralisme européen du traité de Lisbonne”, “les dirigeants européens sont responsables de la migration clandestine en Méditerranée”, et de comparer l’Union européenne au monstrueux insecte décrit par Franz Kafka dans ‘La Métamorphose’.[...]»

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