«L’Union européenne à vingt-huit États périra si elle reste à
mi-chemin. Et avec elle la zone euro, dont l’imbrication avec les
mécanismes de l’Union est inextricable.
La monnaie unique doit tout à la volonté politique. Le paradoxe
d’aujourd’hui est qu’elle doit tout à la finance – c’est elle qui
compense le recul de l’intégration économique entre les États. Il n’y a
plus que la BCE pour tenir à bout de bras le mécano de l'euro. C’est
pour cette raison que les marchés financiers ne bronchent pas ; entre
gens du même milieu on se fait confiance. Ce deal aurait tout pour durer
si le soubassement indispensable à la zone euro, l’Union européenne,
n’était en train de se lézarder. Le danger arrive d’où on ne l’attendait
pas.
Les deux blocages de l’UE
Au moment où la finance pensait avoir mis entre parenthèses la
question politique, celle-ci revient en quelque sorte par le sous-sol.
On ne se débarrasse pas facilement des défaillances institutionnelles.
Pourtant, le banquier central croyait en sa martingale. D’un côté, il
incite les politiques à bouger en répétant sans cesse que “la politique
monétaire ne peut pas tout”. De l’autre, grâce à la distribution
mensuelle de 60 milliards d'euros dans les circuits bancaires, la BCE
accorde du “temps” à la zone euro. Avec ce dispositif, même une faillite
grecque peut être absorbée sans trop de dégâts ! Las, le blocage est à
deux niveaux.
“Ce deal aurait tout pour durer si le
soubassement indispensable à la zone euro, l’Union européenne, n’était
en train de se lézarder.”
Le premier était prévisible. Les leaders européens, le Français en
tête, préfèrent se congratuler en écoutant la brise de la reprise plutôt
que d’avancer les pions vers une forme ou une autre de solidarité. Même
si les analystes sont unanimes : sans la création d’une capacité
budgétaire autonome de l’ordre de 10 % du PIB corrigeant les
déséquilibres entre zones géographiques, il sera impossible d’éviter à
plus ou moins long terme l’explosion de l'euro. Chacun le sait, mais
chacun redoute dans son pays le réflexe souverainiste.
Le deuxième blocage a tout du tsunami. Les fondements de l’Union
européenne sont ébranlés à la suite d’une série d’événements encore
souterrains. Il y a un possible départ de l’Angleterre et une
immigration non maîtrisée qui va relancer le vote populiste. Il y a
surtout la compréhension que sans la création d’un État-nation
réellement européen, en tout cas sans un vrai fédéralisme, la légitimité
démocratique ne fonctionne pas. L’Union européenne à vingt-huit États
périra si elle reste à mi-chemin. Et avec elle la zone euro, dont
l’imbrication avec les mécanismes de l’Union est inextricable.
Les succès de l’intégration financière
Pourquoi “la finance” sauve actuellement l'euro ? Parce que son
action masque l’accroissement des divergences économiques au sein de la
zone. La meilleure preuve en est que les taux d’intérêt sur les dettes
publiques des 18 États membres (Athènes mis à part) sont fortement
resserrés. Une fois encore, les pays périphériques bénéficient sur les
marchés d’un coût de l’argent sans commune mesure avec leur situation
réelle. Les gouvernements grecs en leur temps avaient utilisé ce crédit
bon marché – celui du Bund – pour emprunter et embaucher à tour de bras
des clientèles de fonctionnaires. On connaît la suite. Aujourd’hui, il
n’y a rien de naturel à ce que le prix de l’argent pour la dette
publique de l’Espagne, de l’Italie ou du Portugal soit inférieur au taux
d’intérêt payé par les États-Unis pour leurs propres bons du Trésor. Le
“quantitative Easing” de la BCE (déversement de liquidités par achat de
dettes souveraines auprès des banques) y est bien sûr pour beaucoup.
La zone euro “côté finance” aligne aussi d’autres instruments à
vocation fédérale. Le MES (Mécanisme européen de stabilité) est doté
d’une force de frappe de quelque 500 milliards d'euros qui peut jouer au
pompier volant en cas de mouvements erratiques sur le front des dettes
publiques – même si les modalités d’intervention mériteraient d’être
clarifiées. L’Union bancaire, qui prévoit à la fois la surveillance des
grandes banques et des procédures coupe-feu dans l’hypothèse de
faillites, est également un outil puissant qui monte graduellement en
action. C’est de la dissuasion intelligente face à une spéculation
ponctuelle, mais pas face à une crise systémique.
“sans la création d’une capacité budgétaire
autonome de l’ordre de 10 % du PIB corrigeant les déséquilibres entre
zones géographiques, il sera impossible d’éviter à plus ou moins long
terme l’explosion de l’euro”
De plus, la BCE veille à alimenter les banques de la zone euro en
liquidités pour éviter les pannes de secteur. À ce jour, elle assure
toujours ce rôle à l’égard des banques grecques qui voient leurs dépôts
se réduire comme peau de chagrin. L'euro “grec” part en Allemagne !
Cette mission de la BCE, très discrète, est essentielle au maintien de
l’homogénéité de la zone euro. Le 27 avril, la BCE se délivrait
d’ailleurs un autosatisfecit : “l’intégration financière de la zone euro
a connu une amélioration régulière, atteignant un niveau proche de
celui observé avant la crise de la dette souveraine”. Heureusement.
Les revers d’une économie non coopérative
Car au plan économique, les équilibres “non coopératifs” restent la
règle. L’épargne du Nord continue de refuser d’aller s’investir au Sud.
Les immenses excédents de paiements courants allemands sont un facteur
de désordre pour l’ensemble de l’union monétaire. À la périphérie,
l’austérité budgétaire a certes permis de corriger les déficits
extérieurs les plus graves. Sauf en France, puisque Paris a laissé filer
ses déficits. Par ailleurs, la guerre des coûts salariaux, la course à
la compétitivité, a débouché sur une baisse du pouvoir d’achat des
salariés dans un jeu à somme nulle. Les parts de marché sont prises sur
le voisin sans surplus collectif. Les opinions publiques ont conclu à
l’échec. D’où les succès électoraux de Podemos en Espagne ou de Syriza
en Grèce.
“Aujourd’hui, il n’y a rien de naturel à ce que
le prix de l’argent pour la dette publique de l’Espagne, de l’Italie ou
du Portugal soit inférieur au taux d’intérêt payé par les États-Unis
pour leurs propres bons du Trésor”
Les remèdes sont connus. Dans le ‘Rapport Schuman 2015’,
Jean-Dominique Giuliani, président de la fondation éponyme, les énumère.
Relevons : “une harmonisation progressive des fiscalités et des charges
qui pèsent sur le travail créerait les conditions d’un retour de la
confiance”. Et d’ajouter : “de telles décisions exigent des leaders à la
hauteur des enjeux. Il nous reste à les trouver”. ‘Le Monde’ daté du
26 mai dévoile qu’Angela Merkel et François Hollande ont une feuille de
route qui va dans ce sens. Il s’agirait de quatre domaines d’action,
dont la convergence fiscale et sociale. À développer “dans le cadre des
traités actuels”, est-il indiqué. Aucun examen du cadre institutionnel
n’est envisagé avant fin 2016.
L’erreur de Hollande et Merkel
Une fois de plus, la tentative de rénovation européenne est tuée dans
l’œuf par erreur de construction. La Chancelière ne veut rien toucher
aux traités de peur d’officialiser un peu plus le laxisme monétaire et
budgétaire. Le président de la République ne veut pas bouger non plus de
peur de réveiller “pré-électoralement” les frondeurs de son camp.
Résultat : Berlin et Paris ferment la porte à David Cameron qui réclame,
pour garder son ancrage dans l’Union, de vraies évolutions nécessitant
de vraies modifications des traités.
C’est un égarement historique. Les Anglais ont un sens du pragmatisme
dont le camp euro pourrait tirer le plus grand bénéfice. Pas seulement
pour les propositions de Cameron sur les aides sociales ou
l’immigration. Mais parce que la survie de l’euro passe par celle d’une
Union européenne débureaucratisée et efficace.
“Berlin et Paris ferment la porte à David
Cameron qui réclame, pour garder son ancrage dans l’Union, de vraies
évolutions nécessitant de vraies modifications des traités.
C’est un égarement historique”
C’est un égarement historique”
Quelle est la situation des Vingt-Huit ? Par traité, le Danemark et
le Royaume-Uni échappent à l’obligation de rejoindre l’euro. Dix-neuf
États sont actuellement adhérents à la zone. Sept autres États, dont la
Suède et la Pologne, sont tenus par traité, selon un calendrier
variable, d’intégrer eux aussi la zone. C’est dire que pour des années
encore, le système sera bancal. Pour changer par exemple la fiscalité de
la zone euro, ce sont les règles de l’unanimité au niveau des
Vingt-Huit de l’Union qui s’appliquent. C’est ingérable.
Il y a d’autant plus urgence que les facteurs de dislocation des
Vingt-Huit se multiplient. La Hongrie de Victor Orban se détache sur le
plan des valeurs. La Grèce sur le plan financier. L’Angleterre,
peut-être, sur tous les plans. L’opinion, elle, se rapproche du camp
nationaliste dans certains pays, et de la gauche radicale dans d’autres.
Il n’y a même pas de front commun militaire contre la menace
terroriste.[...]»
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