«Croissance, chômage, productivité, déficit budgétaire, balance
commerciale, endettement, fiscalité, Martin Wolf dresse ici un bilan
économique en demi-teinte du gouvernement sortant.
Dans quel état le gouvernement de coalition sortant laisse-t-il l'économie britannique ?
Inutile de dire que ses ministres se battent à la veille des
élections générales du 7 mai pour prouver qu’ils ont fait un excellent
travail de sauvetage de l’économie touchée par la crise dont ils ont
hérité. Il semble, pour le moment, que cet argument ne passe pas très
bien, selon les sondages. Est-ce qu’il devrait le faire ? Quelques
chiffres et résultats.
Commençons par le plus simple : la performance économique globale et sa mesure.
Lors du dernier trimestre 2014, au Royaume-Uni, le produit intérieur
brut réel par habitant a été de 4,8 % supérieur à ce qu’il avait été au
deuxième trimestre de 2010, lorsque le gouvernement de coalition est
arrivé au pouvoir, et de 6,2 % au-dessus du creux de la “grande
récession” au troisième trimestre de 2009. Mais il était bien le même
qu’au premier trimestre de 2007 et au-dessous de son pic d’avant-crise.
Au quatrième trimestre 2014, le PIB réel par habitant était de près de
16 % inférieur à ce qu’il aurait été si la tendance 1955-2007 s’était
maintenue. Même la reprise n’a pas comblé cette fracture. Cela explique
en grande partie le mécontentement des électeurs à propos du niveau de
vie.
En outre, ce creux très profond ne peut pas être expliqué par un boom
d’avant-crise. Au contraire, l’économie était proche de sa tendance à
long terme en 2007. Les booms ont été beaucoup plus importants dans les
années 1970, à la fin des années 1970 et à la fin des années 1980. Les
données sur l’inflation racontent globalement la même histoire.
L’argument que l'économie britannique était dans un état manifestement
insoutenable en 2007 est en grande partie une rationalisation a
posteriori. Même les prix du logement se révèlent ne pas avoir été aussi
insoutenables que ça.
Ce que presque tout le monde a occulté, c’est la vulnérabilité du secteur financier britannique à une crise mondiale.
La création d’emplois a été remarquable. En février 2015, 73 % de la
population entre 16 et 65 ans occupait un emploi, légèrement au-dessus
du pic d’avant-crise. Le chômage global était de 5,6 % de la population
active. Selon Eurostat, 27 % des travailleurs du Royaume-Uni de 15 à 74
ans occupaient un emploi à temps partiel l’année dernière. On ne sait
cependant pas dans quelle mesure ce chiffre relève du sous-emploi ou du
choix volontaire de travailler à temps partiel.
“Au quatrième trimestre 2014, le PIB réel par
habitant était de près de 16 % inférieur à ce qu’il aurait été si la
tendance 1955-2007 s’était maintenue”
Pourtant, la bonne performance de l’emploi est l’image miroir de
l’effondrement de la croissance de la production par travailleur et de
la production par heure : en novembre 2014, la production par heure dans
l’économie a été de 1,7 % inférieure à ce qu’elle avait été en
février 2008. Cette longue période de stagnation semble sans précédent
depuis au moins le XIXe siècle. Récemment, le FT a révélé qu’une grande
partie de l’explication réside dans les services professionnels.
À court terme, la productivité stagnante a permis à l’économie de
combiner une faible croissance de la production globale à une bonne
performance de l’emploi. À long terme cependant, la productivité
détermine le niveau de vie. Si celle-ci stagne, il en sera de même pour
le niveau de vie. Ce qui est nécessaire est alors à la fois la
croissance rapide de la productivité et la croissance rapide de
l’emploi. Le combustible nécessaire est une demande soutenue.
Considérons maintenant la structure de l’économie. Au quatrième
trimestre de l’année dernière, la production industrielle a été de 4,9 %
inférieure au pic d’avant-crise, tandis que les services ont augmenté
de 8,1 %. Le déficit courant a augmenté à 5,5 % du PIB au dernier
trimestre de l’année dernière. Cette hausse est attribuable à une
variation importante négative du revenu net. Mais étant donné une
appréciation de 21 %, mesurée par JP Morgan, du taux de change réel
entre le début 2009 et mars 2015, le solde des échanges de biens et
services pourrait aussi se détériorer davantage.
Tournez-vous vers les finances publiques. Initialement, le
gouvernement affirmait que le principal problème était le déficit
budgétaire, et non la nécessité de soutenir la reprise naissante.
George Osborne, le chancelier de l’Échiquier, a lui-même fixé
l’objectif d’éliminer le déficit budgétaire structurel courant d’ici à
l’exercice de cette année. En fait, le déficit courant structurel sera
de 2,1 % du PIB pour cette année financière, en baisse de 3,9 % du PIB
en 2010-2011, la première année d’exercice de ce gouvernement. De même,
l’endettement net corrigé des variations conjoncturelles devraient être
de 3,7 % du PIB cette année, contre 6,5 % en 2010-2011. ‘La morsure
fiscale du gouvernement de coalition n’a pas été aussi terrible que ses
aboiements’. L’argument qu’il avançait pour donner un tour de vis plus
vite que les travaillistes l’avaient prévu était qu’il était nécessaire
de protéger le Royaume-Uni d’une crise similaire à celle qu’ont connue
des pays comme la Grèce.
Nous savons maintenant que tout cela était follement exagéré pour un
pays dans la position du Royaume-Uni. Même s’il n’a pas atteint ses
objectifs budgétaires, les taux d’intérêt sur la dette publique du
Royaume-Uni sont restés étonnamment faibles : les bons du trésor à 30
ans et 50 ans sont à 2,4 %, alors que les rendements sur les bons
indexés comparables avoisinent moins 1 %. Pourquoi tenterait-on
désespérément d’éviter un prêt gratuit ? Ce sont des emprunts favorisant
la croissance qui sont nécessaires.
Pour résumer, l'économie britannique a connu une reprise faible, mais
cependant créatrice d’emplois. La croissance de la productivité est
très mauvaise. Selon le FMI, le PIB britannique par habitant à parité de
pouvoir d’achat était de 72 % des niveaux américains en 2014, derrière
l’Allemagne, 84 %, et même la France, 74 %. La déclaration de M.
Osborne, que le Royaume-Uni pourrait être la grande économie la plus
prospère dans le monde d’ici à 2030 est un fantasme. Le risque est
qu’elle se retrouve encore plus à la traîne. En outre, les déséquilibres
de l’économie vont rendre toute croissance future plus difficile et
moins durable. Si le déficit budgétaire est éliminé, tandis que le
déficit du courant reste important, le secteur privé aurait à supporter
un important déficit financier. Voilà une éventualité effrayante.[...]»
Ler mais...
Sem comentários:
Enviar um comentário