«1Les
bilans historiographiques et méthodologiques témoignent souvent d’un
champ de recherche arrivant à maturité. C’est précisément dans cette
dynamique que s’inscrit l’ouvrage de Jan Plamper, traduction d’une
parution en allemand Geschichte und Gefühl: Grundlagen der Emotionsgeschichte1.
Jan Plamper, professeur d’histoire à l’Université de Londres, est un
des principaux acteurs et animateurs de ce vaste champ de recherche. Il a
notamment travaillé sur le sentiment de la peur, à travers son étude
sur la peur chez les soldats de l’empire russe2,
ce qui l’a amené à co-diriger plusieurs ouvrages de synthèse sur la
question des émotions dans l’histoire. C’est donc un des spécialistes
reconnus d’une discipline très active3.
2The History of Emotions. An Introduction
est donc une tentative de proposer un premier bilan sur la question de
l’histoire des émotions. L’introduction souligne bien la complexité de
ce champ de recherche, transdisciplinaire, soulevant des problèmes
méthodologiques depuis des siècles, dans un dialogue, parfois de sourd,
entre les sciences dures comme la neurobiologie et les sciences
humaines. Cependant, Jan Plamper ne se contente pas de retracer cette
historiographie particulière (chapitres 1, 2 et 3). Il s’insère
également dans la dynamique de ces recherches, en proposant lui-même des
tentatives de définition et des pistes à approfondir (chapitre 4).
3Une
des principales difficultés des études autour des émotions, soulignée
par Jan Plamper dans son introduction, est la polarité très marquée
entre deux approches. La première, souvent développée par les
neurosciences, fait des émotions une réalité inscrite dans la nature
humaine, donnée universelle, marqueur déterminant. À l’opposé, les
sciences humaines, et l’anthropologie en particulier, ont montré depuis
la seconde moitié du XIXe siècle que les émotions pouvaient
être un phénomène culturel relatif, variant suivant les sociétés,
l’espace et le temps. Pour l’auteur, cette dualité doit être dépassée
par un dialogue transdisciplinaire.
4La
seconde difficulté est de faire émerger des définitions. Jan Plamper
fait le choix d’appréhender les émotions comme un « méta-concept »,
regroupant des réalités diverses et surtout réunissant les définitions
des nombreuses disciplines à ce sujet.
- 4 Lucien Febvre, « La sensibilité et l’histoire. Comment reconstituer la vie affective d’autrefois ? (...)
5Les
trois premiers chapitres retracent l’histoire des émotions à travers
les différentes approches scientifiques. Pour Jan Plamper, Lucien Febvre
a introduit un premier tournant dans l’étude des émotions en histoire,
en 19414.
À partir de cette date, de nombreux historiens comme Jean Delumeau,
Jack Goody, ont inclut dans leurs travaux l’étude des émotions comme
objet historique. Cependant, pour Jan Plamper, les attentats du
11 septembre 2001 ont constitué un tournant important dans un champ
scientifique désormais de plus en plus mondialisé. Cela a été un des
évènements mondiaux les plus relayés par les médias, à travers une
communication saturée par l’émotion. Cet évènement a eu des effets sur
le long terme, soulignant notamment l’incapacité du post-structuralisme
et du linguistic turn à analyser ce type d’objet, mais plaçant
également les sciences du vivant à la tête des sciences dures, dont on
attend désormais qu’elles expliquent les comportements humains. Les
travaux sur l’histoire des émotions se sont alors multipliés à partir
de 2001, principalement en Europe et Amérique du Nord.
6L’approche
constructiviste souligne depuis ses débuts la variété des émotions,
notamment grâce aux premiers anthropologues et ethnologues du XIXe siècle.
Les grands noms des sciences humaines comme Durkheim, Lévi-Strauss, ont
proposé des modèles d’analyse des émotions. Jan Plamper s’arrête
également sur les nombreux sociologues et anthropologues qui, depuis les
années 1990, produisent de plus en plus de travaux sur la question.
7Jan
Plamper consacre ensuite un chapitre à l’approche universaliste des
sciences de la vie. Cela lui permet de dialoguer avec les approches
historiques, notamment autour des questions du particulier et de
l’universel, grâce à cette ouverture. Là encore, le lecteur suit les
différents travaux scientifiques sur le sujet, de Charles Darwin
jusqu’aux neurosciences contemporaines en passant par Freud, et leurs
conséquences sur la perception des émotions dans les sociétés humaines.
- 5 William M. Reddy, The Invisible Code: Honor and Sentiment in Postrevolutionary France, 1814-1848, (...)
- 6 Monique Scheer, « Are Emotions a Kind of Practice (and Is That What Makes Them Have a History?), A (...)
8Le
dernier chapitre, peut-être le plus intéressant, sort de l’exercice du
bilan pour proposer quelques pistes de recherches. Jan Plamper insiste
sur certaines dynamiques scientifiques, à travers des exemples comme les
travaux de William M. Reddy5
qui utilisent à la fois les sciences humaines (histoire et
anthropologie) mais aussi les sciences du vivant, pour étudier notamment
le concept d’honneur dans la France postrévolutionnaire. Les travaux de
ce chercheur ont entraîné de nombreux débats, notamment autour de
l’articulation entre les régimes émotionnels et les régimes politiques
et sociaux. Son emploi partiel et partial des sciences du vivant lui a
été également reproché. Une deuxième piste se développe autour des
travaux de Monique Scheer6
sur les pratiques émotionnelles, dans une visée davantage sociologique
et ethnologique. D’autres dynamiques plus classiques sont enfin
évoquées, notamment pour l’histoire politique et sociale, et à propos du
lien entre histoire, émotion et mémoire.[...]»
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