«1Les attentats du 7, 8
et 9 janvier 2015 ont plongé la France dans la sidération. Un état de
choc qui n’est pas propice à l’analyse. Edgar Morin et Patrick Singaïny
tentent néanmoins de produire une réflexion visant à comprendre ce qui
s’est passé. Ils s’efforcent également de proposer des pistes pour que
cela n’arrive plus (même si le livre ne formule pas réellement de pistes
concrètes). Le plan de l’ouvrage est conforme à son titre. Son objectif
est en effet de réfléchir – rapidement – à trois « moments » qui font
les trois parties du livre : Avant, pendant et après le 11 janvier.
- 1 Edgar Morin et Patrick Singaïny, La France une et multiculturelle, Fayard, 2012.
2Il
ne s’agit donc pas d’un ouvrage rédigé à quatre mains. Chaque auteur
propose des contributions individuelles. Ainsi, dans un article de
quelques pages – 7 exactement – qui constitue, à lui seul, la partie
« Avant », Patrick Singaïny fait une mise au point : il ne sert plus à
rien de convoquer dans le débat public une France d’hier largement
mythifiée qui permettrait de distinguer « les faux et les vrais
Français » (p. 16) ; la France existe toujours, elle « n’est pas
morte », mais il existe désormais deux types de citoyens : ceux qui sont
de « culture française » et ceux qui sont de « culture composite »
(p. 17). Le programme des auteurs est connu : il s’agit de faire advenir
une France une et multiculturelle1,
ce qui n’est pas chose aisée, car comment le faire « dans une France
confrontée à la mondialisation américaine et au communautarisme ? »
(p. 19).
3La
partie suivante s’ouvre directement sur le 7 janvier 2015, et deux
articles très courts d’Edgar Morin et de Patrick Singaïny – 4 pages
chacun – refont le constat d’une « France frappée au cœur » (François
Hollande). Edgar Morin évoque bien son horreur et son écœurement face à
l’attentat mené contre Charlie Hebdo. Des sentiments qui,
cependant, ne doivent pas selon lui empêcher un travail de
contextualisation. On aperçoit ici une version du « Oui, mais » dénoncé
par les partisans stricts du droit au blasphème. Oui, cet attentat est
« immonde » mais il faut tout de même tenir compte de ce que la France
s’est lancée, au côté des États-Unis, dans des guerres au Moyen-Orient.
Effet ricochet selon Morin : le Moyen-Orient s’est désormais invité en
France au travers des attentats de Paris !
4Pour
les deux auteurs, le seul moyen de sortir par le haut de cette « crise
civilisationnelle » est de (re)construire une unité nationale
« comprenant toutes ethnies, religions et compositions politiques »
(p. 28).
5Dans la partie intitulée « L’appel du 11 janvier 215 », Edgar Morin cherche à comprendre l’attentat contre Charlie Hebdo.
Les conditions de vie dans les banlieues, qui souffrent en effet d’une
ghettoïsation croissante, sont alors mobilisées pour expliquer que de
jeunes Français se convertissent au terrorisme islamiste. N’est-ce pas
ici une façon de justifier le terrorisme ? Edgar Morin ne tombe-t-il pas
dans un sociologisme particulièrement dangereux ? Tous les Français
vivant dans les banlieues et qui sont de culture musulmane
choisissent-ils le Jihad ? Plus encore, le poids de la colonisation
encore présent, l’importance des discriminations font que des jeunes
« d’ascendance immigrée » ne peuvent être de vrais Français ; privés de
patrie, ils peuvent néanmoins devenir de vrais musulmans (p. 37). La
France est-elle donc responsable de ce qui lui est arrivé ? Bien
évidemment, le conflit israélo-palestinien est également convoqué : la
France « privilégie l’Israël colonisateur au détriment du Palestinien
colonisé », si bien que « la synagogue est respectée et honorée par les
officiels qui y mettent kippa, la mosquée est oubliée » (p. 38).
Oserions-nous avancer que le conflit israélo-palestinien est bien plus
complexe ? Que ce sont bien des Français juifs qui sont tués en France
aujourd’hui, ce qui peut aussi expliquer la mobilisation des
politiques ? Et dire que les auteurs revendiquent en quatrième de
couverture une approche en « nuance complexe ». Ils expliquent aussi
qu’« il ne suffit plus d’être indigné ». Oui, prenons-les aux mots : il
ne suffit plus de s’indigner des inégalités croissantes – bien que
réelles – en France et des conflits dans le monde pour comprendre les
attentats du 7, 8 et 9 janvier 2015.
6Pour
Patrick Singaïny, la France est entrée dans une troisième guerre
mondiale. Dans le cadre d’une lettre ouverte, il choisit de s’adresser
directement à François Hollande pour lui demander de rassembler toutes
les composantes de la Nation d’aujourd’hui ; pour garantir la sécurité
des citoyens de confession juive « mais, tout aussi urgemment, il faut
venir en aide aux citoyens de confession musulmane » (p. 50) ; et,
enfin, pour répandre les valeurs des Lumières chez tous les citoyens de
France grâce à l’école.[...]»
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