quinta-feira, 18 de dezembro de 2014

Michel Agier (dir.), Un monde de camps


 Un monde de camps
«1Saviez-vous que 6 millions de personnes, au moins, vivent aujourd’hui dans les 450 camps de réfugiés existants dans le monde ? Et que certains de ces camps ont été mis en place il y a plusieurs décennies déjà, comme celui de Chatila au Liban en 1949 ? L’ouvrage dirigé par Michel Agier, avec la collaboration de Claire Lecadet – tous les deux anthropologues –, livre ces informations dès les premières pages. Toutefois, il ne s’agit pas ici d’explorer uniquement les camps de réfugiés, mais de les prendre en compte, tout comme les camps de déplacés internes, les camps de rétention et les camps auto-établis1. En d’autres termes, il s’agit de saisir l’« encampement » du monde : « une des formes du gouvernement du monde, une manière de gérer l’indésirable » à l’échelle planétaire (p. 11).

  • 2 Cet ouvrage, comme le rappelle Michel Agier, a été conçu à partir des échanges réalisés dans le cad (...)
2Un monde de camps compte vingt-cinq monographies, dont les auteurs proviennent de différentes disciplines : anthropologie, sociologie, science politique, architecture et géographie2. Chaque contributeur traite d’un camp ou d’un groupe de camps spécifique. Le titre de chacune des monographies commence par le nom de celui-ci, suivi par celui du pays dans lequel il se trouve. Les auteurs non seulement exposent les résultats d’enquêtes de terrain mais s’efforcent également de restituer le contexte historique de formation et de transformation des camps. Cela découle d’une volonté explicite d’inclure et d’interroger le temps long de ces espaces, en s’opposant à la lecture « urgentiste » qui préside à leur conception. Par ailleurs, les textes sont accompagnés de plusieurs photos illustrant ces territoires ainsi que les populations qui les habitent. De même, un cahier central présente plusieurs cartes, dont une – particulièrement intéressante – expose un panorama de la localisation et de la taille des camps (« Un paysage global de camps »). Il est frappant de voir comment la plupart des « camps de réfugiés » se concentre dans des pays d’Afrique subsaharienne, du Moyen-Orient et d’Asie. À l’inverse, la très grande majorité des « camps de rétention administrative » se situe dans les pays de l’Union européenne et aux États-Unis.

  • 3 Il est possible de placer ce développement théorique dans la continuité de celui de : Michel Agier, (...)
3La cohérence théorique de l’ouvrage est donnée par Michel Agier dans l’introduction3. Selon lui, une « hypothèse anthropologique forte » relie et traverse l’ensemble des contributions : on serait en train d’assister à la formation d’un « “dispositif ” de lieux de confinement ». Ainsi, au lieu d’interroger séparément les différents sens qu’ont ces espaces, Agier propose de questionner plutôt « le sens qu’ils prennent en tant que forme globale, “solution” délocalisée qui s’impose aux situations locales de crise » (p. 19). Il développe dans cette perspective la catégorie idéal-typique de « forme-camp », ayant trois caractéristiques constitutives : l’extraterritorialité (le camp est un hors-lieu, souvent non identifié sur les cartes), l’exception (le camp est soumis à une autre loi que celle de l’État dans lequel il se trouve) et l’exclusion (le camp est la forme sensible d’une altérité). L’auteur indique que les habitants des camps sont soumis – à des degrés divers – aux trois contraintes évoquées, qu’ils doivent affronter ou contourner.

4Cet ouvrage est pensé comme un projet d’ « ethnographie globale », qui essaye de saisir le déploiement du dispositif d’encampement à partir de différents terrains locaux. Ce projet est structuré en quatre parties, dont chacune réunit plusieurs monographies autour d’une même thématique ou de caractéristiques communes. Les deux premières parties ont un point en commun : elles traitent exclusivement des camps de réfugiés. Toutefois, elles se différencient en mettant chacune en avant une approche particulière pour aborder ce type de camps.

  • 4 Ce sigle désigne le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, présent sur l’ensemble d (...)
5La première partie insiste davantage sur la prise en compte du « temps long » dans l’étude des camps de réfugiés, ainsi qu’elle fait voir les effets de la permanence des populations dans ces espaces. Cette présence prolongée permet le redéploiement de pratiques antérieures à l’arrivée dans ces espaces ; elle peut également être à l’origine d’un nouvel enracinement. C’est ce que montre Simon Turner dans son étude sur Lukola (Tanzanie), camp établi en 1994 pour accueillir des réfugiés burundais hutus fuyant les Tutsis depuis les années 1970. L’auteur montre le développement d’activités politiques clandestines malgré leur interdiction par les gestionnaires humanitaires du camp (le HCR4 et des ONG). Il s’agit pour ces réfugiés de s’organiser autour de deux organisations concurrentes, interprétant, chacune à sa manière, le conflit burundais. Pour sa part, Manuel Hertz s’intéresse aux réfugiés sahraouis installés près de la commune de Tindouf (Algérie), suite à l’occupation marocaine et mauritanienne du Sahara dans les années 1970. Les camps sahraouis ont la particularité de ne pas être contrôlés par les humanitaires, ni par l’État algérien, mais par les réfugiés eux-mêmes. C’est plus précisément la « République arabe sahraouie démocratique », créée en 1976, qui gère de manière autonome l’ensemble de ces territoires. Hertz montre comment la « préfiguration » d’un État sahraoui s’est constituée progressivement, tout en devenant tangible par des constructions urbanistiques (hôpitaux, écoles, etc.).

  • 5 L’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-O (...)
6Dans la partie suivante, l’étude des camps de réfugiés est réalisée au travers d’un prisme spatial. Les auteurs abordent notamment les liens du camp avec son environnement, ainsi que ses transformations urbanistiques. Bram J. Jansen montre, par exemple, que le camp de Kakuma (Kenya), mis en place en 1992 pour accueillir des réfugiés soudanais, est devenu progressivement un foyer économique pour la région dans laquelle il se situe. L’auteur rend compte du développement d’une « zone grise » commerciale dans laquelle les marchandises et les hommes transitent, en détournant les autorisations officielles. À son tour, Nicolas Puig revient sur la reconstruction du camp de Nahr al-Bared (Liban), accueillant des réfugiés palestiniens depuis 1949. Le camp a été détruit en 2007, suite aux affrontements entre l’armée libanaise et un groupe islamiste, puis a été reconstruit par l’UNRWA5 en 2009, suite à la mobilisation de ses anciens habitants – très attachés affectivement à « Bared ».

7La troisième partie s’intéresse aux camps de déplacés internes, crées suite à des catastrophes naturelles ou des crises politiques. François Gemenne examine, par exemple, la gestion par l’État japonais des déplacements causés par le tremblement de terre de 2013. Alors que les évacués du tsunami ont été relogés ou mis « à l’abri » de manière ordonnée, cela n’a pas été le cas pour les évacués de l’accident nucléaire de Fukushima. Les autorités japonaises ne s’attendaient pas à un tel accident, ce qui s’est traduit par un traitement improvisé et inégalitaire. Pour sa part, Stellio Rolland relate la situation des personnes déplacées par le « conflit interne » en Colombie, notamment à partir du campement de Paravando. Installés dès 1996 et soutenus par l’Église catholique et des ONG, les desplazados se sont mobilisés afin d’obtenir des droits territoriaux et de préserver leurs « communautés » des affrontements entre l’armée colombienne et la guérilla.

8La dernière partie réunit les camps de rétention, les camps auto-établis et les camps de travailleurs. Il s’agit de regrouper ces endroits, a priori très différents des camps de réfugiés et de déplacés mais qui permettent de penser l’encampement comme un phénomène global et caractérisé par le cantonnement des migrants. Tristan Bruslé présente son enquête portant sur le camp de travailleurs népalais au Qatar. L’auteur s’intéresse à la description de ces espaces gérés par des entreprises privées et construits dans une perspective purement fonctionnaliste, de même qu’à la gestion par ces travailleurs de leur vie quotidienne et de leur intimité dans ces lieux. Pour sa part, Louise Tassin retrace l’histoire et les transformations du « centre de rétention » de Lampedusa (Italie), existant depuis 1998, afin d’interroger la banalisation de cette forme de confinement des étrangers en situation irrégulière dans l’Union européenne. À son tour, Sara Prestianni décrit la « jungle pachtoune » de Calais, campement crée par les exilés afghans, suite à la fermeture du centre de Sangatte en 2002. Il s’agit d’un espace auto-organisé par ces exilés, qui leur sert comme refuge le temps qu’ils réussissent à passer en Angleterre. Toutefois, ces « jungles » sont menacées de destruction par la police, de manière constante. Ce dernier aspect s’apparente à celui des « campements illicites » en région parisienne. Martin Olivera revient sur l’histoire du Hamul (Saint-Denis), un bidonville de migrants « Roms », détruit en 2010 après dix ans d’existence.

 9Il faudrait également ajouter que plusieurs textes du corpus insistent sur la capacité de ces migrants (qu’ils soient réfugiés, déplacés, sans-papiers, etc.) à « habiter » ces « camps ». Autrement dit, ces textes analysent l’encampement non seulement comme un dispositif de domination, mais aussi au travers des possibilités de résistance ou d’autonomie des personnes qui peuplent ces espaces. Par ailleurs, de nombreux textes montrent que ces lieux – réunissant des migrants, des humanitaires et des agents des pays d’accueil – possèdent souvent un fort caractère « cosmopolite ». Enfin, le lecteur ne trouvera pas ici une analyse comparative entre les différents types de camps identifiés par l’auteur dans l’introduction.[...]»

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