«Notre personnalité intervient-elle
dans notre orientation politique ? Électeurs de gauche et de droite
interprètent-ils différemment le monde qui les entoure ? Autant de
questions qui appellent des réponses complexes.
Existe-t-il des personnalités typiquement de droite ou à l’inverse typiquement de gauche ? Par exemple, les premières sont-elles plus individualistes, les secondes plus altruistes ?
Avec les caractères tels que posés, je ne le pense pas. Il peut y
avoir des individualistes ou des altruistes dans tous les camps
politiques. Néanmoins, l’idée d’un lien entre psychologie et orientation
politique n’est pas stupide, et plusieurs expériences ont mis en
évidence certaines corrélations. Dans les années 1960, Milton Rokeach a
ainsi voulu bâtir une échelle de dogmatisme, via le test « Open
and closed mind ». Mais elle n’était pas reliée aux appartenances
politiques. Il estimait pae ailleurs qu’il y avait deux orientations de
base possibles chez l’individu, l’une privilégiant la liberté, l’autre
l’égalité. La première orientation se retrouvait chez les individus
issus de mouvements proches de la droite, la seconde chez ceux des
mouvements proches de la gauche. Plus intéressant, dans les années 1980,
le psychologue Philip E. Tetlock s’est attaché à faire le lien entre
choix politique et « complexité de pensée ». Selon lui, certains d’entre
nous pensent les événements en termes assez déterminés : une cause
produit des effets. Ils estiment qu’il est possible d’intervenir sur les
effets en agissant sur la cause. D’autres individus appréhendent la
réalité en des termes plus complexes, évoquant des causes multiples,
percevant des interactions entre plusieurs phénomènes. Or, d’après
P.E. Tetlock, les individus de gauche révèlent davantage de complexité
de pensée que les individus de droite. Le bémol est que la complexité de
pensée diminue en passant de la gauche à l’extrême gauche. Autre bémol,
la complexité de pensée repérable chez les individus de gauche est
visible en matière sociale, économique, mais disparaît sur des questions
civiles, de sécurité. Les choses ne sont donc pas si simples. De
manière générale, je suis prudent quant au fait de lier personnalité et
choix politiques.
Les déterminismes du vote seraient alors davantage d’ordre sociologique que psychologique…
Oui, la sociologie montre que les conditions sociales peuvent
orienter les choix politiques. Quant à la personnalité, il faudrait voir
ce que l’on met dedans et il me semble difficile d’imaginer qu’elle
puisse à elle seule déterminer nos choix, qu’ils soient politiques,
religieux ou même professionnels. Je pense d’ailleurs que l’on pourrait
aussi envisager la question dans l’autre sens. On tend fréquemment à
conclure que ce sont les personnalités qui déterminent les choix
politiques. Pourquoi ne serait-ce pas l’inverse ? Une fois qu’un
individu a fait un choix politique, ne peut-il pas être amené à modifier
certains aspects de sa personnalité, par les fréquentations que ce
choix entraîne par exemple ? Cette personne ne serait-elle pas amenée à
adapter sa personnalité à une ambiance générale, à une attente que l’on a
d’elle dans son milieu social et politique ? La personnalité apparaît
souvent comme « figée ». Or, les personnalités peuvent évoluer selon le
contexte, les relations sociales, etc.
Électeurs de droite et électeurs de gauche interprètent-ils et expliquent-ils les faits de société, les faits divers, de la même manière ?
Des études montrent que les individus de gauche tendent à privilégier
des explications d’ordre social, en termes de détermination par le
milieu. Les personnes de droite privilégient plutôt des explications
internes, plus psychologiques, en termes de responsabilité de l’acteur.
S’agissant d’un acte de délinquance, les individus de droite auront une
interprétation de l’acte impliquant plutôt le délinquant lui-même, sa
supposée « perversion », la façon dont il a intégré ou non les normes
sociales. Les individus de gauche investiront un type d’explications
prenant en compte la condition sociale, familiale du délinquant, le
contexte immédiat de l’acte commis.
Cependant, ces façons d’expliquer les événements ne sont pas
inscrites dans la personnalité des individus. En témoigne une expérience
dans laquelle il fut demandé à des enseignants d’évaluer des élèves en
échec scolaire. Spontanément, les enseignants questionnés ont fourni des
explications appelant à la responsabilité individuelle de l’élève :
« devrait travailler plus », « ne fait pas assez d’efforts »… Mais si,
avant qu’ils procèdent à l’évaluation, il est dit aux enseignants que
leurs réponses seront consignées dans un bulletin syndical, deux types
de réponses apparaissent : certains enseignants restent sur des
explications d’ordre individuel, d’autres adoptent des explications
soulignant par exemple l’origine sociale des parents. Ainsi, dès lors
qu’il est placé dans un contexte « politique », l’individu se demande : « Vais-je être bien classé dans le bon groupe ? »
Les divers types d’explications recensés chez les individus sont en
fait inscrits dans la mémoire sociale. Si je veux être reconnu comme une
personne de gauche/de droite, je vais donc puiser dans un certain type
de vocabulaire pour bien affirmer mon appartenance politique. Les
individus mobilisent – sans les maîtriser – ces vocabulaires sociaux
pour faire jouer des processus identitaires.
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