Les premiers épisodes de vie
dont nous nous souvenons datent en général de l’école maternelle. De
l’époque d’avant, il persiste parfois de simples images difficiles à
dater. Ce phénomène nommé « amnésie infantile » préoccupe depuis fort
longtemps les psychologues de tous bords. Si, pour Sigmund Freud, ce
voile noir sur nos premières années de vie permettait surtout de
dissimuler une sexualité qualifiée de débridée chez le petit enfant, les
chercheurs évoquent désormais la maturation tardive des fonctions
cognitives.
Lorsque le bébé vient au monde et qu’on lui présente une musique
qu’il a entendue dans le ventre de sa mère, il réagit plus fortement que
lorsqu’on lui fait écouter des sons qu’il ne connaît pas. Dès la
naissance, le bébé a donc déjà une forme de mémoire de reconnaissance.
Très vite, il développe la mémoire procédurale, le « savoir comment »,
qui consiste à se rappeler des gestes utiles pour réussir un jeu ou
apprendre à marcher. À partir de 8 ou 9 mois, l’enfant peut aller
chercher des œufs de Pâques dans le jardin. Il a donc en mémoire une
représentation de ce qui l’attend. Autour de 2 ans, il développe le
langage, donc une mémoire des mots et de la syntaxe. Puis, il acquiert
des savoirs sur le monde et développe sa mémoire dite sémantique.
L’enfant n’a de cesse de questionner son entourage. Par ce biais, il
accumule de nombreuses connaissances en peu de temps. Néanmoins, la
mémoire autobiographique, celle qui concerne les événements dans
lesquels il est personnellement impliqué peine à se mettre en place.
Jusqu’à 3 ans, les petits ont du mal à conserver des souvenirs
d’événements vécus, même s’il s’agit de faits marquants, comme la
naissance d’un frère ou d’une sœur ou d’un anniversaire.
Des souvenirs flous devenant progressivement plus solides
Une des raisons principales de la fragilité des premiers souvenirs
tient au fait de l’immaturité du système nerveux central du petit
enfant. Celle-ci rend aléatoire les connexions neuronales assurant la
stabilité de la trace mnésique. Car pour qu’un souvenir persiste, il
doit être perceptible et racontable : l’enfant doit être en mesure
d’adopter un point de vue extérieur à la situation qui lui permette d’en
saisir le sens. Or, ces compétences ne se mettent en place que très
progressivement. C’est seulement à 2 ans que l’enfant commence à
développer une représentation de soi. Les tout premiers souvenirs
rapportés semblent d’ailleurs correspondre à cette période où l’enfant
commence à se percevoir comme un être unique. Pour le psychologue
Patrick Perret, « ce n’est que lorsque cette représentation
explicite de soi est pleinement constituée que l’enfant est en mesure
d’organiser sa mémoire des événements dont il a fait personnellement
l’expérience (1) ».
Le souvenir doit aussi être racontable, ce qui suppose, d’un côté,
l’acquisition du langage, de l’autre, la possibilité de le partager avec
d’autres. Le langage se développe à peu près en même temps que la
conscience de soi, c’est-à-dire aux alentours des 2 ans, les compétences
sociales un peu plus tard, essentiellement à partir de l’entrée à
l’école maternelle. La mémoire autobiographique apparaît au fur et à
mesure que l’enfant apprend à investir le langage pour relater ses
expériences. C’est en racontant aux autres ce qui lui arrive que la
trace mnésique du souvenir va se consolider afin de persister parfois
jusqu’aux dernières années de la vie. Jusqu’à l’âge de 3 ans, les
enfants ont besoin de se remettre dans le même contexte, de retrouver
des objets ou personnes présents à l’époque pour se rappeler un
événement. Puis avec les années, ils apprennent à mémoriser de plus en
plus vite avec de plus en plus de détails. Ils peuvent alors se
remémorer des souvenirs indépendamment du contexte dans lequel ils se
trouvent.
Les petits oublient
Pour la psychologue américaine Patricia Bauer, qui a mené une enquête récente sur le sujet (2),
l’amnésie infantile s’explique aussi par un phénomène d’oubli fréquent
chez les enfants jusqu’à l’âge de 7 ans. Comme évoqué plus haut, les
premiers souvenirs rapportés par des adultes se situent en général aux
alentours de 3 ans et demi. Or, en demandant à des enfants de 5 ans de
se souvenir de leurs premiers faits et gestes, la psychologue s’est
aperçue que ceux-ci rapportent des souvenirs bien antérieurs. Ils
arrivent à remonter jusqu’à la période des 18 mois. Seulement, ces
premiers souvenirs souffrent d’imprécisions en ce qui concerne les
personnes présentes, les lieux et les relations de causalité. Par
conséquent, ces toutes premières images ont tendance à s’effacer avec
l’âge. Lorsque l’on réinterroge les mêmes enfants aux alentours de 8 ou 9
ans, la plupart ont en effet oublié ces premiers souvenirs. Ils
remontent moins loin dans le temps, mais leurs récits comportent plus de
détails et sont mieux construits. Leurs souvenirs laissent donc une
trace plus solide.
[...]»
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