«1Des affrontements récurrents en Palestine aux atrocités commises par
l’autoproclamé État islamique (EI), les événements du Moyen-Orient
semblent souvent se résumer à une succession de violences. Partant de ce
constat, Pierre Blanc et Jean-Paul Chagnollaud entendent proposer ici
une analyse de la violence qui frappe, depuis la fin du XIXe
siècle jusqu’à nos jours, cette région s’étendant de l’Égypte aux pays
du Golfe. Selon les deux auteurs, cette situation dramatique s’explique par la « désertion du politique » qui
caractérise les sociétés du Moyen-Orient. Définissant le politique comme
une « force régulatrice » (p. 12), un « processus de dialogue, de
construction de compromis et de référence au droit » (p 249), ils
soulignent que les différents acteurs – qu’il s’agisse des États de la
région mais aussi des divers mouvements politiques ou de la communauté
internationale – négligent le politique pour recourir à la violence. Les
deux chercheurs établissent ensuite une typologie qui distingue cinq
types de violence, chacun faisant l’objet d’un chapitre.
2La
première forme de violence concerne les territoires ; elle est liée à la
volonté de modifier le tracé des frontières. La disparition de l’Empire
ottoman après la Première Guerre mondiale permet en effet à la France
et au Royaume-Uni d’imposer des frontières, une notion « inconnue »
jusqu’alors dans la région, et de créer de nouveaux États. Ces États ne
recoupent pas de clivages ethniques ou religieux préexistants : il ne
s’agit pas d’États-nations mais d’États artificiels, « importés », selon
les auteurs. Depuis lors, les frontières ne cessent d’être remises en
cause, que ce soit par des pays expansionnistes ou irrédentistes tels
qu’Israël ou la Syrie, ou par des mouvements nationaux sans État comme
les Kurdes. Ces violences territoriales sont à l’origine, d’après P.
Blanc et J.-P. Chagnollaud, de la naissance et de la radicalisation des
grandes idéologies dominantes au Moyen-Orient, abordées dans un deuxième
chapitre, consacré à la violence idéologique. Chacun des grands
discours dominants qui ont marqué la région, le sionisme, le
nationalisme arabe et l’islamisme, se sont développés sur le rejet d’un
Autre. On aboutit ainsi au troisième type de violence, les violences
identitaires. Les pays du Moyen-Orient sont marqués pour la plupart par
une forte diversité ethnique et religieuse, et peinent à intégrer tous
leurs habitants dans une véritable citoyenneté qui transcenderait
l’appartenance communautaire. La gestion des minorités prend
principalement la forme de violences, des discriminations pratiquées
contre les sunnites dans l’Irak de Nouri al-Maliki au cas extrême du
génocide des Arméniens de 1915. On note par ailleurs que les tentatives
d’intégration citoyenne, comme au Liban, n’ont guère été couronnées de
succès. Les minorités ne sont toutefois pas les seules à souffrir des
politiques des États de la région, qui recourent à la violence pour
assurer la pérennité de leur autoritarisme. C’est le quatrième type de
violence dégagé par les deux auteurs. Celle-ci peut naturellement être
directe, à travers l’action des forces de sécurité et des services de
renseignements, mais elle se manifeste aussi par l’importance de la
corruption et la distribution sélective des ressources qui nuisent avant
tout aux plus pauvres. Dans un dernier chapitre, P. Blanc et J.-P.
Chagnollaud soulignent le mépris que professent les États du
Moyen-Orient et la communauté internationale pour le droit et la
justice : on peut penser ici aux nombreuses résolutions adoptées par
l’Organisation des Nations Unies sur le conflit israélo-palestinien, qui
demeurent totalement ignorées, ou à l’invasion de l’Irak par les
États-Unis et leurs alliés en 2003.
3Si
la présence de la violence n’est bien évidemment pas l’apanage du
Moyen-Orient, force est de constater qu’il s’agit d’une région
particulièrement conflictuelle. Tout en rejetant clairement l’idée d’une
prétendue « exception arabe » qui expliquerait cette situation, les
universitaires soulignent un certain nombre de facteurs qui exacerbent
la crise du politique. Il ne faut pas négliger en effet l’importance
stratégique de la région, du fait du canal de Suez et de ses abondantes
ressources pétrolières, ainsi que sa forte diversité ethnique et
religieuse, sans compter la présence de lieux saints des trois grandes
religions monothéistes.
4Le
pari de la collection « Nouveaux Débats », dont est issu le présent
ouvrage, de s’adresser au grand public apparaît ici parfaitement rempli.
P. Blanc et J.-P. Chagnollaud adoptent une prose très claire et
lisible, tout en proposant de nombreux exemples, aussi variés que
précis. On note par ailleurs quelques passages particulièrement inspirés
ou novateurs comme celui sur le respect du droit de l’occupation par
l’administration américaine établie en Irak en 2003-2004. La
bibliographie proposée dans les notes de bas de page s’avère de grande
qualité.
5En
revanche, l’argumentaire tend à amalgamer deux dimensions en réalité
différentes de la violence : d’une part ses motivations, à travers la
volonté de certains acteurs de modifier les frontières ou de se
maintenir au pouvoir par exemple, d’autre part les formes qu’elle revêt,
comme dans le chapitre consacré aux violations du droit international
ou dans la partie consacrée à la violence économique. Cette distinction
aurait méritée d’être explicitée et la réflexion sur les modalités de la
violence aurait même pu être à cette occasion prolongée. En effet, les
modes d’action peuvent eux-mêmes avoir un fort rôle symbolique et donc
politique. On peut penser ici à la « barbarie » de l’EI : les massacres
ou décapitations semblent opérés précisément pour obtenir un très fort
relais médiatique et la violence apparaît en définitive comme un mode de
légitimation de son action.[...]»
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