«Idée reçue n°1 : L'émigration nuit au développement des pays de départ
Un médecin syrien exerçant dans un hôpital d’Île-de-France, un
ingénieur en informatique sud-africain employé par une entreprise de la
Silicon Valley. Ces exemples alimentent le mythe du brain drain,
la fuite des cerveaux, qui voit dans la migration le transfert des
compétences et des connaissances vers les pays du Nord, au détriment du
développement des pays du Sud. Un mythe que relativisent aujourd’hui les
économistes, pointant des effets de seuil. L’expatriation, montre ainsi
l’économiste El Mouhoub Mouhoud, n’est dommageable au pays d’origine
que si elle excède 15 à 20 % de la population. En dessous de ce seuil,
l’exil d’une partie de sa population est profitable au pays d’origine.
La notion de « brain drain » est alors supplantée par celle de « brain gain » ou de « brain circulation
» (circulation des cerveaux). Les migrants qualifiés ne « fuient » plus,
ils circulent. Ils s’enrichissent de nouvelles compétences, forment des
réseaux, et retournent parfois dans leur pays d’origine pour y créer
des entreprises innovantes.
Certains pays comme la Chine n’hésitent pas à encourager les
migrations. Elles constituent une stratégie de régulation des tensions
sur le plan politique. Elles permettent aussi d’apporter au pays
l’argent nécessaire à son développement à la faveur des transferts de
fonds. Ces derniers, estimés à l’échelle mondiale à 100 milliards de
dollars en 1995, ont triplé sur une période de vingt ans. En 2011, les
transferts de fonds ont atteint 351 milliards de dollars, soit plus du
triple de l’aide publique mondiale au développement. Ils devraient
croître de 7,9 % en 2013 et de 8,4 % en 2014, selon les prévisions. La
diaspora malienne en est un bon exemple. Les Maliens vivant en France
envoient chaque année près de 180 millions d’euros au Mali. L’économiste
Claire Lebarz explique : « Dans un pays dont trois ressortissants
sur quatre ont un parent direct à l’étranger, la diaspora est en charge
de pans entiers de certaines questions sociales, surtout en milieu
rural : adduction d’eau, dispensaires, salles de classe, etc. »
Idée reçue n°2 : Plus un pays se developpe, moins ses habitants partent
Il n’y a aucune raison de partir d’un pays s’il se développe,
serions-nous tentés de croire. L’histoire accrédite cette hypothèse,
puisque les pays d’Europe du Sud – Italie, Espagne, Grèce et Portugal –
ont vu leurs flux migratoires en direction du Nord de l’Europe décliner à
mesure que leurs économies respectives se développaient. Au point que
ces pays voient aujourd’hui affluer les immigrés en provenance du
Maghreb. Pourtant, le développement d’un pays ne freine pas
nécessairement les migrations. À court terme, il les accélère. En effet,
le développement économique d’un pays entraîne généralement un
déplacement de la population vers les villes. Plus urbanisée et
scolarisée, une frange de la population nourrit l’espoir d’une vie
meilleure, espoir qui alimente à son tour un désir d’exil. Apprendre une
langue étrangère comme l’anglais, connaître les réseaux qui permettent
l’accès aux pays d’accueil, prendre conscience des différences de
niveaux de vie favorisent et facilitent alors le départ de nouveaux
migrants. Ce n’est qu’à long terme, une fois de nouvelles perspectives
ouvertes, que l’expatriation se tarit. Beaucoup de pays en
développement, commente Catherine Wihtol de Wenden, « sont
confrontés à la situation de l’Europe du XIXe siècle, où le décollage
économique a provoqué un exode rural et une urbanisation massive, qui
s’est souvent soldée par la migration à l’étranger (Italie, Royaume-Uni,
Allemagne) ».
Si la migration et le développement économique s’autoentretiennent à
court terme, ils ne sont pourtant pas la solution miracle l’un de
l’autre. Seule la migration d’un pays du Sud vers un pays du Nord
permet, par la différence des salaires, de tirer profit des transferts
de fonds. Mais, rappelle C. Wihtol de Wenden, comme 60 % des flux
migratoires ont lieu du Sud vers le Sud, ils n’entraînent aucun profit
pour l’économie du pays d’origine.
Idée reçue n°3 : L'immigration coûte cher au pays d'accueil
Responsable de la montée du chômage, l’immigration engendrerait la
baisse des salaires et grèverait les budgets sociaux de l’État. Ces
inquiétudes agitées comme un chiffon rouge par certains politiques
sont-elles justifiées ? Pour les économistes Xavier Chojnicki et Lionel
Ragot, l’immigration n’a que peu d’effets sur les salaires et la courbe
du chômage. « L’arrivée de nouveaux immigrés ne se traduit pas par
un partage du travail entre autochtones et immigrés, comme on
partagerait un gâteau en parts d’autant plus petites que le nombre de
convives est grand », expliquent-ils. En effet, l’immigration
n’augmente pas seulement le nombre de travailleurs sur le marché
national, mais également le nombre de consommateurs de biens et de
services, ce qui contribue à créer de l’emploi. Par ailleurs, les
secteurs d’activité où sont employés les immigrés – bâtiment, nettoyage,
restauration – sont distincts de ceux qu’occupent les nationaux. Les
uns ne se substituent donc pas aux autres, mais se complètent. Si
concurrence il y a, « elle s’exerce davantage entre anciennes et nouvelles vagues de migrants qu’entre migrants et natifs, précise El Mouhoub Mouhoud. Ainsi, dans les cités (françaises),
un certain ressentiment pointe contre les “blédards”, Maghrébins
récemment immigrés et en moyenne plus qualifiés que la seconde
génération issue de la vague d’immigration précédente ». Une autre
idée reçue consiste à considérer les immigrés comme des familles
nombreuses de travailleurs peu qualifiés, qui alourdiraient les budgets
sociaux en bénéficiant de nombreuses prestations sociales.[...]»
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