«1Ce numéro coordonné
par François Perea et Marie Anne Paveau constitue un point important
dans l’histoire de l’étude de la pornographie comme objet scientifique,
notamment en France. Il s’inscrit dans la lignée du courant des porn studies,
même si l’article d’Emilie Landais montre bien qu’il existe des
spécificités et des logiques différentes dans l’approche française des
études pornographiques. Ce numéro rassemble donc différentes études et
mises au point sur ce courant, dont l’émergence est encore restreinte,
mais qui constitue un carrefour disciplinaire et méthodologique. Le
champ scientifique devrait se développer davantage dans les années
futures, tant l’emprise pornographique dans les discours et
représentations dépasse de plus en plus les marges de la société pour
devenir constituante de la culture. Cela implique par conséquent des
questions stratégiques, mais aussi militantes dans la mesure où il
s’agit de rapprocher les études pornographiques des problématiques de
genre, tant la pornographie peut façonner des discours mais aussi des
comportements, notamment intimes. Les études pornographiques dépassent
par conséquent le jugement de valeur pour s’inscrire dans une lignée
féministe et pour mettre au jour les éléments de pouvoir, de domination
et de représentation que peut véhiculer la pornographie, dont il est
rappelé que l’étymologie désigne en fait les écrits (graphein) sur les prostituées (pornê).
On lira donc avec attention l’article introductif de François Perea et
de Marie-Anne Paveau ainsi que l’article d’Emilie Landais, qui resituent
bien la question pornographique dans le champ de sciences humaines et
sociales.
2L’article
de Béatrice Damian-Gaillard montre une évolution du vocabulaire dans la
presse pornographique masculine et hétérosexuelle qui suit les
tendances du moment. La presse pornographique participe ainsi à
l’évolution des comportements et influe sur les pratiques corporelles et
sexuelles dans une logique de marchandisation des désirs, tant il
s’agit pour les lecteurs de correspondre aux normes pour mieux parvenir à
attirer des partenaires sexuels partageant les mêmes idéaux. Cette
question des représentations se retrouve dans l’article sur la revue Brazil sex magazine
qui s’efforce de représenter l’exotisme brésilien pour cultiver un
imaginaire érotique influencé par les discours coloniaux, et qui
construit une représentation de la femme brésilienne, négligeant la
présence des Noires au profit d’une vision « brune rougeâtre » ou
« couleur café ».
3François
Perea revient sur la question des discours dans les vidéos
pornographiques sur les sites gratuits en ligne et montre que les mises
en scènes et discours privilégient le saisissement du spectateur plutôt
que la construction narrative. Dès lors, il s’agit de susciter l’émotion
de façon pathémique à la fois par la scène et par les
manifestations orales. On retrouve comme une volonté de démontrer le
caractère naturel de la pornographie, ce que met bien avant l’article de
Dominique Maingueneau sur le casting filmé, dont l’objectif est de
dissimuler une construction redondante qui vise à légitimer la pratique
du casting pornographique en le montrant comme un moment d’expression
des désirs des participants. Seulement, l’œil avisé perçoit les effets
de la mise en scène, et ce d’autant que si le discours est celui de
l’amateurisme, le recours fréquent à des professionnelles n’est en fait
pas rare ce qui est oublié dans l’article. L’article Sluts and goddesses
de Marie-Anne Paveau revient sur les représentations de l’expertise
sexuelle féminine de manière historique, pour mieux nous faire
comprendre les enjeux actuels autour de dispositifs numériques plus
interactifs.
4L’angle
d’étude choisi dans ce numéro s’oriente essentiellement sur l’analyse
des discours. À ce titre, le numéro réussit plutôt bien son entreprise
et apparaît comme une production essentielle pour quiconque souhaiterait
mieux saisir le champ et poursuivre des études dans le domaine. On ne
peut que saluer l’initiative, car il est souhaitable que ce travail
d’études se poursuive notamment en élargissant les perspectives bien
au-delà des discours. En effet, se placer principalement du côté des
discours réduit trop fortement selon nous la portée des études
pornographiques, même si Stéphanie Kunert évoque le concept de
métadiscours pornographiques, notamment en évoquant les discours
féministes sur la pornographie. La métapornographie féministe est
porteuse d’une vision plus riche et plus complexe qui interroge les
codes de la pornographie courante, et notamment masculine, pour
revisiter la question du désir. Seulement, on aurait aimé justement voir
davantage, dans ces aspects « méta », la question des dispositifs
techniques mais aussi des métadonnées. La revue étant une revue
considérée dans le champ communicationnel, c’est-à-dire de la section
des sciences de l’information et de la communication, on pouvait
s’attendre à une présence plus forte de ces sciences, en termes
méthodologiques, pour mieux comprendre les stratégies informationnelles
et communicationnelles mobilisées. Les dispositifs analysés notamment
numériques négligent quelque peu les aspects médiatiques et techniques
qui sont tout autant essentiels et qui sont justement vecteurs de
pouvoir. Il nous semble opportun en effet de mieux observer les
dispositifs techniques et médiatiques, car comme le dit justement
François-Ronan Dubois dans son article sur les blogs de photographies
explicites, il existe un continuum pornographique qui repose sur des
possibilités virales de diffusion et rediffusion
5Après
la lecture de ce numéro essentiel, il semble dorénavant souhaitable de
prolonger l’étude des discours par une étude des usages et des usagers
de la pornographie, et celle de leurs pratiques, notamment dans un
contexte numérique. C’est clairement, l’occasion d’envisager une
meilleure identification des acteurs, des actants et des dispositifs. On
ne peut donc que souhaiter une longue vie aux études pornographiques en
encourageant une diversité de méthodes et de secteurs d’analyse que ce
numéro a contribué à impulser.
6Le
numéro comporte quelques varias, notamment un article sur les rapports
entre l’école et les valeurs de la République d’Anne Hélène Le Cornec
Ubertini, qui analyse les textes de loi principaux concernant
l’éducation et met en avant les manques et les failles du système pour
préserver l’égalité des chances.[...]»
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