«1Le
livre de Myriam Benraad met en perspective la transition géopolitique
que subit le Moyen-Orient et en particulier l´Irak. Pour comprendre
l´émergence de l´État islamique en Irak, il importe de se référer à des
temporalités historiques différentes, l´État islamique se revendiquant
de l´époque du premier califat. En réalité, il constitue véritablement
une recomposition de différentes connivences politiques provoquées par
la chute du régime de Saddam Hussein et l´occupation américaine. Saddam
Hussein s´est longtemps présenté comme l´ultime défenseur du monde
arabo-musulman tout en affichant une vitrine laïque et
multiconfessionnelle. C´est ce double registre qui lui a permis de
maintenir son pouvoir, la révolution iranienne de 1979 l´ayant poussé à
davantage investir le langage théologico-politique. Pendant la seconde
guerre du Golfe, le dictateur s´était référé au siège de Médine de 627
et à la traîtrise d´Ibn al-Alqami, ministre chiite qui avait fomenté un
complot contre le calife Al Moutassem (833-842)1.
- 2 Myriam Benraad, Irak, la revanche de l´histoire, De l´occupation étrangère à l´État islamique, (...)
- 3 Myriam Benraad, Irak, la revanche de l´histoire, De l´occupation étrangère à l´État islamique, (...)
- 4 Myriam Benraad, Irak, la revanche de l´histoire, De l´occupation étrangère à l´État islamique, (...)
2Après
la chute de Saddam Hussein en 2003, la résistance à la présence
américaine s´est concrétisée par la complicité entre milieux baasistes
et djihadistes. Myriam Benraad met en évidence une logique d´agrégat des
résistances en évoquant également la filiation salafiste. Son livre est
truffé de portraits de leaders concurrentiels en insistant sur la
multiplicité des facteurs, géographiques, religieux et politiques. En
l´occurrence, sa thèse peut être énoncée de la manière suivante :
l´émergence de l´organisation État islamique repose sur l´échec du
fédéralisme, le retrait prématuré des troupes américaines faute d´avoir
soigné la transition et l´humiliation des sunnites après la chute de
Saddam Hussein. Le « réveil des tribus »2 sunnites
a été long, mais il s´est accéléré au début des années 2000. En outre,
la « débaasification » de l´Irak a fait surgir une pluralité d´acteurs
revendiquant une légitimité politique dans la reconstruction du pays.
Pour les Sunnites, nous trouvons par exemple le Comité des oulémas
musulmans3
formé par le cheikh sunnite Hareth Soulayman al-Dahri qui contestait la
présence des occupants américains après 2003. À l´opposé, d´autres
forces sunnites rejoignent le gouvernement transitoire avec le Parti
national démocratique de Nasser al-Chadarchi, le Mouvement des
démocrates indépendants d´Adnan al-Pachachi4 et le Parti islamique irakien. Cette partition des mouvances sunnites est au cœur des difficultés du pays.
- 5 Myriam Benraad, Irak, la revanche de l´histoire, De l´occupation étrangère à l´État islamique, (...)
- 6 Myriam Benraad, Irak, la revanche de l´histoire, De l´occupation étrangère à l´État islamique, (...)
- 7 Myriam Benraad, Irak, la revanche de l´histoire, De l´occupation étrangère à l´État islamique, (...)
3Le
siège de Fallouja est déterminant dans l´analyse des troubles en Irak.
Fallouja est une ville historique importante avec des origines
babyloniennes. « Son champ religieux se décline autour de trois grandes
tendances : des confréries soufies, une branche des Frères musulmans et
une mouvance islamiste autrefois quiétiste et aujourd´hui politisée »5.
Myriam Benraad montre d´ailleurs que c´est dans cette ville marchande
et profondément religieuse que se jouent les clivages
théologico-politiques fondamentaux. Les mouvements soufis se déclinent
autour de deux écoles de pensée : la Qaderiyya liée historiquement au théologien Abd al-Qader al-Gaylani mort à Bagdag au XIIe siècle et la Naqchbandiyya, héritière du théologien Bahaouddin Naqchband et présente en Irak depuis le XIIIe siècle. Ces deux mouvements ont participé à la résistance contre la présence des troupes américaines6.
Un Conseil des moujahidin est constitué en avril 2004 et l´émirat de
Fallouja, en tant que régime islamiste, est institué avec la terreur, la
prohibition et l´imposition de la chari´a7.
Cette ville est devenue en même temps le sanctuaire de la résistance à
l´occupation américaine et le laboratoire des réseaux djihadistes. Au
fond, en 2004 et en 2005 se joue déjà ce qui s´est produit par la suite
dans tout le pays. L´opération militaire du 4 avril 2004 (Vigilant Resolve)
s´est soldée par un échec. L´administration de Paul Bremer (gouverneur
américain transitoire de l´Irak) a peiné à contrôler cette enclave
devenue de facto martyre. L´humiliation sunnite a été à son paroxysme et s´est traduite par un fort sentiment de revanche.
- 8 Myriam Benraad, Irak, la revanche de l´histoire, De l´occupation étrangère à l´État islamique, (...)
- 9 Ibid., p. 151.
- 10 Ibid., p. 150.
4Les
élections législatives du 30 janvier 2005 ont vu la victoire des
chiites et des kurdes et une réorganisation des rapports de force
politiques en Irak. Dans le même temps, la menace salafiste s´est faite
plus pressante avec l´adoubement d´Al-Zarqawi par Al-Qaïda en 2004 et
auparavant un manifeste rédigé par deux djihadistes irakiens, Abou Fadel
al-Iraqi et Abou Islam al-Ansari. Comme le constate l´auteure, « à la
fin de l´année 2006, la salafisation du soulèvement sunnite a permis à
Al-Qaïda d´imposer son primat idéologique et militaire, tout en
enclenchant une dynamique de communautarisation parmi les populations
sunnites »8. C´est le 12 octobre 2006 qu´une alliance politique des mouvements sunnites annonça la création de l´État islamique d´Irak (Dawla al-´Iraq al-islamiyya) sous l´autorité d´Abou Omar al-Baghdadi9. Ces mouvances se réfèrent explicitement à l´époque du prophète puisqu´elles scellent une Alliance des embaumés (Hilf al-mutayibin),
« formule renvoyant au serment d´entraide qui avait été conclu entre
les membres du clan Mahomet, les Banou Hachem, et scellé par du parfum »10.
L´échec du fédéralisme a provoqué une facture communautariste très
profonde avec un risque d´élimination de certaines minorités. Le livre
offre une image géopolitique précise de la relation entre les grandes
puissances dans la région. La Turquie, l´Iran et l´Arabie Saoudite
jouent plus un rôle de déstabilisation en raison de leur concurrence.[...]»
Ler mais...
Sem comentários:
Enviar um comentário