«Qu’entendent les économistes lorsqu’ils parlent d’efficience des marchés
financiers ? La crise financière doit-elle sonner le glas de cette
« hypothèse » ? Guillaume Vuillemey répond à ces questions en insistant
sur le statut épistémologique particulier de la théorie économique.
L’un des éléments conceptuels fondamentaux de la théorie financière
contemporaine est l’hypothèse dite d’ « efficience des marchés
financiers ». Non seulement celle-ci est à la base de très nombreuses
publications universitaires chaque année, mais il en est aussi fait un
usage courant, explicite ou implicite, au sein du secteur financier,
lorsqu’elle intègre des modèles de détermination des prix des actifs.
Son importance considérable pour la théorie financière a été reconnue
par l’attribution en 2013 du prix Nobel d’économie à Eugene Fama, l’un
de ses pères.
Si elle demeure très populaire parmi les théoriciens de la finance,
l’hypothèse d’efficience des marchés a été, depuis sa formulation
initiale et jusqu’à aujourd’hui, l’objet de critiques vigoureuses. La
crise financière de 2008, pour un certain nombre d’économistes ou de
commentateurs, aurait dû sonner le glas de l’hypothèse d’efficience et
ouvrir la porte à une reformulation de la théorie financière sur
d’autres bases.
Par ailleurs, l’hypothèse d’efficience des marchés intéresse bien
au-delà de la discipline économique. Ainsi, les sociologues font un
usage courant de l’hypothèse d’efficience pour illustrer la
« performativité » des théories économiques, c’est-à-dire le fait que
l’énonciation d’une théorie affecte la pratique des agents économiques,
si bien que la théorie se trouve in fine cohérente avec les faits qu’elle entend expliquer [1].
Dans les lignes qui suivent, nous entendons d’abord exposer
l’hypothèse d’efficience des marchés de manière à dissiper un certain
nombre de confusions ou de malentendus qu’instillent des discussions
souvent trop passionnées. En particulier, il nous faudra rappeler que
l’assertion selon laquelle les marchés sont efficients (au sens de Fama)
n’implique pas qu’il n’y ait pas de crises. Dans un second temps, nous
montrerons qu’il est vain de vouloir affirmer, de manière simple, que
l’hypothèse d’efficience est empiriquement « validée » ou « falsifiée ».
Au contraire, l’hypothèse d’efficience doit être entendue comme faisant
partie d’un paradigme théorique plus vaste et non directement
falsifiable [2].
Qu’est-ce que l’hypothèse d’efficience des marchés ?
L’hypothèse d’efficience affirme que les prix sur les marchés
financiers reflètent toute l’information disponible. Étant donné un
ensemble d’informations présentes à un moment donné, le prix d’un titre
est égal à sa « valeur fondamentale » et les mouvements de prix futurs
(ajustés par le risque) sont aussi probables à la hausse qu’à la baisse.
En un mot, les prix suivent des processus aléatoires, non prévisibles
car leur variation dépend à chaque fois d’une nouvelle information
elle-même non prévisible (et donc non préalablement incorporée dans le
prix).
Intuitivement, l’idée peut se résumer ainsi : s’il existait certaines
informations publiques pertinentes non incorporées dans les prix
présents des actifs, alors les prix futurs seraient prévisibles dans une
certaine mesure. En effet, au fur et à mesure que l’information
intégrera les prix, ceux-ci monteront ou baisseront d’une manière qui
aurait été prévisible dès l’instant où l’information a été révélée. Si
les prix futurs sont prévisibles, même imparfaitement, il s’ensuit qu’il
est possible de réaliser, en espérance (c’est-à-dire en moyenne sur
plusieurs périodes futures), un profit positif. Si l’information non
reflétée dans les prix est bonne – par exemple une information positive
sur l’état des comptes d’une société –, ce profit est réalisé en
achetant un titre aujourd’hui, et en attendant que son cours monte. Si
l’information est mauvaise, ce même profit sera réalisé en vendant à
découvert (ce qui implique que l’on gagne de l’argent quand le prix d’un
actif baisse). À titre d’exemple, le prix de l’action d’un groupe
industriel doit baisser si ses ventes sont moins importantes
qu’anticipées. Si une information négative sur les ventes d’une
entreprise n’est encore pas reflétée dans les prix actuels, alors la
vente à découvert d’actions de ce groupe permet de bénéficier de la
baisse prévisible du prix des titres en question.
Ainsi, remettre frontalement en cause l’hypothèse d’efficience
revient à affirmer qu’il y aurait en permanence des opportunités de
profit sur les marchés qui ne seraient pas exploitées. Une explication
possible de cette remise en cause peut tenir au fait que les agents
économiques ne sont pas parfaitement rationnels. C’est ainsi que
beaucoup des critiques de l’hypothèse d’efficience comportent des
assertions comportementalistes, lesquelles rejettent les hypothèses
usuelles de rationalité parfaite des acteurs économiques (les biais
cognitifs de ces agents pouvant ainsi expliquer que ces derniers
n’exploitent pas les opportunités de profit que la prédictibilité des
rendements fait naître). L’un des deux autres lauréats du prix Nobel
2013, Robert Shiller, est ainsi un partisan de ce type de méthodologie.
L’hypothèse d’efficience peut, par ailleurs, être décrite de manière
alternative comme affirmant l’absence de possibilités d’arbitrage sur
les marchés. Dans un sens traditionnel, on désigne comme une opportunité
d’arbitrage la possibilité d’exploiter des incohérences temporaires de
la structure des prix en réalisant des profits sans risque. Par exemple,
si la même obligation se vend à deux prix différents sur deux marchés
distincts, alors un profit sans risque peut être réalisé en achetant le
titre là où il est le moins cher et en le revendant immédiatement là où
son prix est plus élevé. Si de telles opportunités d’arbitrage
persistaient, alors il deviendrait théoriquement possible de devenir
infiniment riche de manière certaine.
Quel rapport entre l’arbitrage et l’efficience des marchés ? Cette
notion simple d’arbitrage a progressivement été étendue pour désigner la
possibilité de réaliser des profits, soit de manière certaine, soit en
espérance, en exploitant les éléments prédictibles de la structure des
prix. Ainsi, si la structure des prix sur les marchés est telle que
certains éléments prédictibles des prix futurs ne sont pas reflétés dans
les prix actuels, alors il devient possible de réaliser, en espérance,
un profit sans investissement initial, i.e. d’exploiter une opportunité
d’arbitrage en achetant certains actifs et en en vendant d’autres. Sous
l’hypothèse d’efficience des marchés, de telles opportunités d’arbitrage
ne sont pas possibles.
Illustrons cet argument important par un exemple simple. Si l’on
considère deux entreprises identiques, A et B, produisant les mêmes
biens et ayant les mêmes perspectives futures, alors les prix de leurs
actions doivent être les mêmes (l’hypothèse selon laquelle deux
entreprises sont parfaitement identiques est évidemment simplificatrice,
car deux firmes ne sont jamais strictement les mêmes). Si, désormais,
les perspectives d’une seule de ces entreprises (disons A) se dégradent,
la structure des prix présente – i.e. le fait que les prix des deux
actions soient les mêmes – ménage une possibilité d’arbitrage : deux
actifs ont le même prix mais des rendements anticipés différents. Si le
prix de l’action A ne baisse pas, alors il est possible de réaliser, en
espérance, un profit en vendant ce titre à découvert. Ce n’est que
lorsque le prix de l’action A aura baissé, c’est-à-dire lorsque
l’information aura été incorporée, que de telles possibilités
d’arbitrage ne seront plus possible. Il y a ainsi un lien fondamental
entre l’hypothèse d’efficience – c’est-à-dire le fait que l’information
soit intégrée aux prix – et l’absence d’arbitrage sur les marchés.
C’est là que l’hypothèse d’efficience s’intègre dans la pratique
quotidienne des institutions financières. Elle est en effet fondamentale
pour valoriser des actifs sur les marchés. Imaginons une structure
donnée des prix actuels et un nouvel actif, par exemple une action, dont
les caractéristiques (e. g. le flux de dividendes espérés) sont
connues. Sous l’hypothèse qu’un prix « fondamental » doit empêcher toute
possibilité d’arbitrage, alors il n’y a qu’un seul prix possible pour
ce nouvel actif. Tout autre prix que ce prix « d’équilibre » ouvrirait
des possibilités d’arbitrage avec des actifs existants. À l’inverse, si
l’on n’accepte point l’hypothèse d’efficience et si l’on admet la
possibilité d’arbitrages sur les marchés, alors ce nouvel actif peut
avoir n’importe quel prix possible. En clair, il devient impossible de
déterminer son prix. Une grande part du succès et de la popularité de
l’hypothèse d’efficience de marchés vient précisément de ce qu’elle a
donné naissance au domaine très fécond de l’ valorisation des actifs
(asset pricing). Tant pour les universitaires que pour les institutions
financières, la détermination du prix théorique d’un actif est
essentielle, au moins à titre de référence. Sans faire l’hypothèse
d’absence d’arbitrage sur les marchés, la valorisation des actifs,
nécessaire à nombreuses fins, devient une gageure. Bien que de nombreux
acteurs sur les marchés aient conscience des limites de l’hypothèse
d’efficience (par exemple du fait qu’il puisse y avoir des bulles),
celle-ci est un point de départ indispensable pour obtenir des
prédictions en première approximation. De même, les économistes
utilisant des paradigmes alternatifs (en finance comportementale, par
exemple) peuvent difficilement se passer de l’hypothèse d’efficience
comme point de repère vis-à-vis duquel comparer leurs propres
prédictions.
Crise financière et efficience des marchés
La crise financière récente doit-elle nous amener à reconsidérer la
place ou la validité de l’hypothèse d’efficience dans la théorie
financière contemporaine ? À ce stade, il nous faut dissiper certains
malentendus fréquents qui obscurcissent nombre de discussions au sujet
de l’efficience des marchés. La question de la validité empirique de
l’hypothèse sera discutée plus longuement ci-dessous.
L’idée spécieuse la plus répandue qu’il convient de rectifier est
celle selon laquelle l’efficience des marchés, telle que définie par
Fama, impliquerait qu’il n’y ait pas de crises financières. Si tel était
le cas, alors une succession de krachs boursiers condamnerait de
manière évidente et sans appel l’hypothèse d’efficience.
Telle que définie ci-dessus, l’hypothèse d’efficience n’implique pas
qu’il n’y ait pas de crise. A toute date, une fois que toute
l’information pertinente a été intégrée dans les prix des actifs,
l’information future demeure incertaine. L’arrivée de l’information
étant aléatoire, une série de très mauvaises informations est tout à
fait possible. Quand cette information nouvelle intègre les prix,
ceux-ci baissent fortement, ce que l’on peut interpréter comme une
crise. Ainsi, la possibilité d’une crise n’est en rien antagoniste avec
l’affirmation de l’efficience des marchés.
En revanche, et c’est là un point capital, l’hypothèse d’efficience implique une manière particulière de concevoir les crises financières.
Les crises, pour qui admet l’hypothèse d’efficience, ne peuvent être
dus qu’à des chocs extrêmes, exogènes et imprévisibles. Statistiquement,
ce sont donc des événements rares. Cette vision des crises exclut de
très nombreuses autres interprétations des crises financières. Par
exemple, il n’est plus possible de penser les crises comme résultant de
la fragilisation progressive d’un système économique, dont un choc même
de faible amplitude peut entraîner la dislocation. Une telle
compréhension des crises se retrouve chez des auteurs aussi différents
que Keynes, Hayek ou Minsky, et insiste sur les causes structurelles des
crises (par exemple, un financement par la dette trop important en
période de bulle, ce qui fragilise progressivement les structures
productives) à la différence de l’hypothèse d’efficience des marchés
financiers.
Un autre exemple peut permettre d’illustrer ces deux visions antagonistes des crises [3].
Si l’on accepte l’efficience des marchés, alors les prix des actifs
sont toujours égaux à leur « valeur fondamentale ». Ce concept de
« valeur fondamentale » n’est évidemment pas dénué d’ambiguïtés, car
celle-ci n’est jamais directement observable. Intuitivement – car il
n’est pas possible dans ces lignes de pousser la discussion vers des
détails théoriques trop abstrus – le lecteur comprendra que cette
équivalence nécessaire du prix et de la valeur fondamentale exclut
immédiatement par incompatibilité un certain nombre d’idées fréquemment
répandues au sujet de la manière dont les crises surviennent. Ainsi, si
l’on admet que les marchés sont efficients, il n’y a rien de tel qu’un
actif fondamentalement surévalué ou sous-évalué. L’idée qu’un actif est
« trop cher » par rapport à sa rentabilité fondamentale n’est pas non
plus compatible avec l’affirmation de l’efficience des marchés. Ainsi,
la possibilité de bulles irrationnelles sur les marchés financiers n’est
pas admise. Tout cela, rappelons-le une fois encore, n’implique pas
qu’il n’y ait pas de crise ; seulement que l’interprétation des
crises sera différente. L’hypothèse d’efficience n’est pas compatible
avec une vision structurelle des crises, selon laquelle un enchaînement
clair de causes et d’effets peut mener au krach, et requiert au
contraire une vision purement statistique et aléatoire des crises.
Tester l’efficience des marchés ?
Tester l’efficience des marchés ?
Une fois clarifié le sens de l’hypothèse d’efficience des marchés,
est-il possible d’en tester la validité empirique ? En dépit d’une
abondante littérature discutant du bien-fondé empirique de l’hypothèse
d’efficience, nous entendons montrer que celle-ci n’est pas directement
testable, et préciser la manière dont elle doit, à nos yeux, être
comprise.
Un tel argument peut paraître surprenant au premier abord. Si, ainsi
que nous l’avons dit, l’hypothèse d’efficience affirme l’impossibilité
de bulles irrationnelles, ou d’actifs surévalués ou sous-évalués, ne
suffit-il pas d’identifier quelques exemples de tels phénomènes pour
conclure que l’hypothèse d’efficience est falsifiée et doit être
abandonnée. Si tel était le cas, la crise financière récente pourrait en
effet permettre une remise en cause fondamentale de l’hypothèse
d’efficience des marchés.
La question, cependant, est bien plus compliquée que cela, et
soulève une question méthodologique qui traverse la théorie économique
dans son ensemble. De quoi s’agit-il ? En physique, la falsification des
théories, bien que n’étant pas exempte de difficultés épistémologiques
(notamment de ce que l’on nomme le problème de Duhem-Quine selon lequel
une hypothèse ne peut être testée de manière isolée à l’aide d’une
expérience cruciale), est rendue possible par le fait que, sauf dans
l’infiniment grand ou l’infiniment petit, les objets ou phénomènes
décrits ont des caractéristiques objectivables, de sorte que la
discussion peut se concentrer sur les propriétés de ces objets. Ce n’est
pas le cas en économie, ou les objets fondamentaux de la théorie ne
sont pas définis de manière objective, mais toujours dans la cadre d’un
modèle ou d’un système de définitions plus vaste.
Qu’est-ce à dire ? Il est utile de prendre un exemple relatif à
notre sujet. Est-il possible, par exemple, de tester empiriquement la
proposition selon laquelle le prix d’un actif est toujours égal à sa
valeur fondamentale ? Ici, il est crucial de remarquer qu’il n’existe
rien de tel dans le monde sensible qu’une « valeur fondamentale »
observable de manière objective pour tout économiste. La valeur
fondamentale d’un actif est toujours définie dans le cadre d’un modèle.
Ce fait même rend impossible toute velléité simple de falsification
empirique de la proposition considérée. Si le prix d’un actif et sa
valeur fondamentale, calculée dans le cadre d’un modèle, divergent, il
est impossible d’en conclure que cet actif est sous-évalué ou
sur-évalué, donc que l’hypothèse d’efficience est falsifiée. Il est
aussi possible que le modèle utilisé pour calculer la valeur
fondamentale de cet actif soit faux. Tout test de l’hypothèse
d’efficience est donc aussi, de manière jointe, le test d’un modèle
particulier. Comme il n’y a pas de « vrai modèle » donné à tout
économiste, tout fait empirique et tout prix d’actif sont
potentiellement compatibles avec l’hypothèse d’efficience, dès lors que
l’on fait usage, dans le même temps, du modèle de valorisation qui
permet de rationaliser les prix observés.
Prenons encore deux autres exemples, liés de manière tout aussi
directe à notre sujet. Est-il possible de tester la proposition selon
laquelle « toute information pertinente est incorporée dans le prix d’un
actif » ? On peut bien évidemment observer de manière systématique le
mouvement des prix quand des annonces importantes sont rendues publiques
(des centaines de travaux académiques sont construits sur cette base).
Mais de tels tests sont vains. Tout d’abord, il n’existe rien de tel que
des « informations pertinentes » observables de manière objectives, et
qui peuvent être distinguées de simples « nouvelles » non pertinentes.
Une information pertinente n’est définie comme telle que dans le cadre
d’un modèle ou d’une théorie économique plus englobante. Ainsi, si
l’annonce d’une information en apparence importante n’est pas suivie des
variations de prix escomptées, cela n’invalide en rien l’hypothèse
d’efficience, car il sera alors possible d’affirmer que « cette nouvelle
confirme que le prix de tel actif doit être de x », ou que « telle
nouvelle n’est en définitive pas pertinente au regard de ce que l’on
savait déjà ». A cela, on ne peut rien répondre qui soit directement
vérifiable.
Un troisième exemple concerne la distinction entre deux types de
crises, ainsi qu’esquissée plus haut. Est-il possible d’observer des
crises financières passées, est de déterminer si elles sont le fruit
statistique d’un choc très négatif, ou si elles résultent d’une
fragilisation lente et progressive du système financier, ainsi rendu
vulnérable à des chocs même de faible amplitude. Encore une fois, il n’y
a rien de tel qu’une crise observable de manière objective selon l’une
ou l’autre de ces définitions. Toute crise peut être interprétée selon
l’une ou l’autre de ces acceptions, car toute mesure antérieure à la
crise des « fragilités financières » ou de la « surévaluation des
actifs » dépend elle-même d’un modèle.
Est-ce à dire que tout effort visant à questionner l’hypothèse
d’efficience est nécessairement vain ? Ainsi que nous l’avons dit, tout
ensemble de faits observables sur les marchés financiers est
potentiellement compatible avec l’hypothèse d’efficience, dès lors que
l’on « choisit » un modèle de valorisation des actifs qui permet de
rendre pleinement rationnels les prix observés. C’est par ce second
aspect – le choix du modèle de valorisation – qu’il nous faut désormais
aborder la question.
S’il est toujours possible de modifier les modèles existants de
valorisation des actifs pour « sauver » l’hypothèse d’efficience (en
redéfinissant ainsi ce que sont la valeur fondamentale, ou des
informations pertinentes pour un actif), toutes les distorsions que l’on
fera successivement subir aux modèles standards seront plus ou moins
crédibles et satisfaisantes. C’est lorsque l’on est contraint de faire
des hypothèses ad hoc, de multiplier sans fin les hypothèses
subsidiaires ou de fuir dans une complexité mathématique toujours plus
grande que l’on peut commencer à douter du bien-fondé de l’hypothèse
d’efficience dans certaines situations. Bien sûr, il ne s’agit pas là de
falsification au sens strict, car ces modèles de valorisation peuvent
toujours être vrais et ne sont pas non plus eux-mêmes falsifiables de
manière simple. Mais les contorsions que l’on fait subir aux modèles
sont plus ou moins crédibles.
Pour en terminer avec cet argument, nous pouvons illustrer de
manière simple cet enjeu crucial de la « crédibilité » de théories
économiques concurrentes en discutant une nouvelle fois de la crise
financière de 2008. Ainsi que nous l’avons dit, la crise ne permet pas
d’affirmer de manière immédiate que l’hypothèse d’efficience est
invalidée, dans la mesure où certains actifs étaient fortement
surévalués (biens immobiliers, actifs issus de la titrisation). La crise
peut, en effet, toujours être interprétée comme un choc très négatif
dans un système où les prix de tous les actifs étaient correctement
valorisés, leur prix égalant leur valeur fondamentale. La crédibilité
d’une telle explication se pose néanmoins dès que l’on s’interroge sur
l’amplitude du choc nécessaire pour rationaliser ce que l’on a observé.
Un élément de réponse nous est fourni par une célèbre déclaration du
directeur financier de Goldman Sachs, selon laquelle les événements
subis au plus fort de la crise avaient une probabilité située « à 25
écarts-types » des variations de prix moyennes. Statistiquement, de tels
événements surviennent en moyenne une fois tous les 10 puissance 140
années, soit bien davantage que l’âge de l’univers. Il est possible de
douter qu’un tel événement puisse convenablement, de manière crédible,
expliquer le krach financier de 2008, ce qui suggérerait que les modèles
de valorisation qui prévalaient avant la crise étaient erronés dans une
certaine mesure. Alors seulement il est possible de commencer à douter
du bien-fondé de l’hypothèse d’efficience dans ce cas.[...]»
Ler mais...
Sem comentários:
Enviar um comentário