«Au lendemain de la Conférence de Lima sur le climat, les résultats de la
coopération internationale en matière d’environnement sont décevants.
Les États-Unis et la Chine étant peu disposés à réduire leurs émissions
de gaz à effet de serre avant 2030, les perspectives futures, et
notamment la Conférence de Paris en décembre 2015, ne sont guère plus
réconfortantes.
« Tout écroulement porte en soi des désordres intellectuels et moraux. Il faut créer des hommes sobres, patients qui ne se désespèrent pas devant les pires horreurs et ne s’exaltent pas pour chaque ânerie. Pessimisme de l’intelligence, optimisme de la volonté ». Antonio Gramsci, Cahier de prison n° 28.
L’année 2014 a connu une actualité climatique intense. Parmi les
nombreux événements institutionnels en relation avec le sujet on citera
la remise du cinquième rapport du GIEC (Groupe d’experts
intergouvernemental sur l’évolution du climat) [1]
qui semble avoir, pour une fois, laissé sans voix les
« climato-sceptiques », le sommet extraordinaire de l’ONU sur le climat
qui s’est tenu à New York le 23 septembre et a réuni plus de 120 chefs
d’État, l’annonce sino-américaine sur le climat effectuée le 12 novembre
en marge du sommet de l’APEC (Asia-Pacific Economic Cooperation) et,
enfin, la Conférence de Lima qui s’est tenue du 1er au 14 décembre.
Quels enseignements tirer de ces événements ? Et en particulier des deux
derniers présentés comme devant contribuer à l’édification du futur
régime climatique mondial censé voir le jour lors de la COP 21 [2] qui va se tenir à Paris à la fin de l’année.
Répondre à cette question exige de s’abstraire de l’actualité
immédiate afin de replacer ces événements dans une certaine profondeur
historique. En effet, en matière de lutte contre le changement
climatique, l’enjeu central réside, depuis le début des négociations au
seuil des années 1990, à trouver une règle acceptable de répartition du
poids financier des décisions destinées à réduire les émissions de gaz à
effet de serre (GES) et à s’adapter à la hausse des températures en
cours. Depuis 1992 – année de l’ouverture à la signature de la
Convention-cadre des Nations unies sur le changement climatique (CCNUCC)
– les négociations climatiques entrecroisent des questions de justice
internationale (quels critères de répartition adopter entre pays ?) et
de realpolitik (comment chaque pays tente de faire peser sur les
autres la plus grande part possible du fardeau ?). Dit autrement,
comment diviser le poids du fardeau entre les pays riches et les pays
pauvres ainsi qu’entre la génération présente et les générations
futures ? Et comme si cette question n’était pas suffisamment
compliquée, il faut y intégrer le fait que certains pays pauvres d’hier –
la Chine par exemple – sont devenus des nations riches tandis que
d’autres – comme l’Inde – sont en passe de le devenir.
Régime climatique, responsabilités passées et… futures
Le régime climatique actuel se compose de deux textes : la
Convention-cadre des Nation unies sur le changement climatique (CCNUCC)
de 1992 et le Protocole de Kyoto de 1997. Le premier texte, entré en
application en mars 1994, vise à « stabiliser […] les concentrations de
gaz à effet de serre dans l’atmosphère à un niveau qui empêche toute
perturbation anthropique dangereuse du système climatique » (art. 2).
Les parties à la Convention, « tenant compte de leurs responsabilités
communes mais différenciées » (art. 4) s’engagent – en particulier les
pays classés dans l’ « Annexe I » (pour faire vite les pays
industrialisés, voir encadré) – à mettre en œuvre un certain nombre de
mesures (non contraignantes). Le Protocole de Kyoto, quant à lui, qui
est entré en application en 2005, avait pour principal objectif de
parvenir à ce que les émissions de GES des pays industrialisés (dont la
liste est établie dans l’ « Annexe B », voir encadré) réduisent, pour
2012, d’un peu plus de 5% leurs émissions de GES par rapport à leurs
niveaux de 1990. Cet objectif a été très largement atteint et, en
attendant l’adoption d’un nouveau cadre institutionnel, les participants
à la Conférence de Doha (COP 18) de 2012 ont décidé de prolonger le
Protocole de Kyoto jusqu’au 31 décembre 2020.
Le régime climatique mondial
Dans le cadre de la Convention-cadre des Nation unies sur le Changement climatique (CCNUCC) de 1992 et du Protocole de Kyoto de 1997, les pays sont classés dans des « Annexes » selon une terminologie qui peut sembler passablement confuse : pays de l’Annexe I, de l’Annexe II, de l’Annexe B ou encore pays « non-Annexe I ».
L’Annexe I est relative à la CCNUCC. Elle regroupe les pays industrialisés membres de l’OCDE en 1992 plus les pays en transition (Annexe I EIT pour Economies in Transition) tels que la Fédération de Russie, les États baltes et un certain nombre de pays d’Europe centrale et orientale. Les pays « non-Annexe I » sont des pays en développement. La Chine est un pays « non-Annexe I ». Quant à l’Annexe II, elle regroupe les membres de l’OCDE de l’Annexe I mais pas ceux de l’Annexe I EIT. Les pays de l’Annexe II doivent aider les pays en développement à mettre en œuvre des programmes de réduction d’émissions et leur transférer, ainsi qu’aux pays EIT, des technologies vertes.
L’Annexe B, quant à elle, est relative au Protocole de Kyoto. Elle regroupe les pays de l’Annexe I qui sont tenus à des engagements chiffrés de limitation ou de réduction des émissions de gaz à effet de serre.
Dans la pratique, même s’il existe quelques différences, de nombreux observateurs utilisent indifféremment Annexe I et Annexe B.
Le Protocole de Kyoto est un compromis par nature temporaire en
termes d’objectif de réduction d’émissions de GES (-5%), de pays
concernés par les obligations de réduction (Annexe B) et par les
instruments mobilisés (permis d’émissions…). En effet, il faudra aller
bien plus loin que les 5% du Protocole en même temps qu’élargir le
périmètre des pays astreints à réduire leurs émissions comme nous allons
le voir ci-dessous. En matière d’instruments, le Protocole comporte
trois types d’instruments dits « de flexibilité » pour parvenir aux
objectifs fixés. Un « marché de carbone » où s’échangent des quotas
d’émissions également nommés permis d’émissions, un « mécanisme de
développement propre » (MDP) qui permet d’échanger des investissements
sobres en carbone des pays industrialisés dans les pays pauvres contre
des crédits carbone et, enfin, un mécanisme de « mise en œuvre
conjointe » qui vise à faciliter la coopération entre pays
industrialisés et économies en transition [3].
Un tel arrangement institutionnel, qui correspond à l’état du monde au
moment de son élaboration, devra bien évidement être totalement revu
dans le cadre d’un futur accord global.
Il est donc urgent de forger de nouvelles règles reconnues au plan
international ; ces règles devant être fondées, comme le proclame la
CCNUCC, sur la prise en compte par les différents pays de leurs
« responsabilités communes mais différenciées ». Or, comme le résume
Chris Patten : « Le Protocole [de Kyoto] distingue les pays développés,
qui ont largement créé les problèmes actuels, des pays en développement,
qui ont besoin d’assistance pour ne pas créer ceux de demain » [4].
Sur ce point, la lecture des chiffres – que ceux-ci portent sur les
émissions passées ou sur celles prévues – est sans appel. S’agissant du
passé, il est clair que la responsabilité historique des différents
pays n’est pas identique, celle des anciennes nations industrialisées
étant bien évidemment plus élevée que celle des pays émergents. Ainsi,
pour ne prendre qu’un exemple concernant deux économies sur lesquelles
nous reviendrons, entre 1900 et 2004, les États-Unis ont contribué à
30 % des émissions mondiales cumulées de CO2 contre 9 % pour la Chine [5].
Entre 1990 et 2012, les rejets mondiaux de CO2 dus à la combustion de
ressources fossiles sont passés de 20,9 à 31,7 Gt (gigatonnes ou
milliards de tonnes), soit une augmentation de plus de 51%. Au cours de
cette même période, les émissions des pays ayant ratifié le Protocole de
Kyoto sont descendues de 8,3 à 7,1 Gt, soit une diminution de plus de
14%. Mais, dans le même temps, les émissions de nombreux autres pays ont
littéralement explosé. La différence entre l’évolution des émissions
des pays de l’OCDE et des pays non membres de l’OCDE est, à ce titre,
particulièrement frappante (Tableau 1) et tout porte à croire que les
émissions des pays en transition vont continuer à croître fortement.
Ainsi, dans son « scénario de référence », l’AIE (Agence internationale
de l’énergie) estime que les émissions de CO2 liées à l’utilisation de
l’énergie, qui étaient de 28,8 Gt en 2007, devraient passer à 34,5 Gt en
2020 et 40,2 Gt en 2030, autrement dit connaître une croissance
annuelle de 1,5 %. L’AIE précise que les pays non membres de l’OCDE sont
à l’origine de la totalité de cette augmentation prévue (11,4 Gt) et
que les trois quarts de cette augmentation proviendront de Chine [6].
Source : International Energy Agency, CO2 Emissions from fuel combustion. Highlights (2014 Edition), 2014.
C’est dans ce contexte que se déroulent les négociations et les COP
qui, depuis celle de Copenhague en 2009, sont censées forger le régime
climatique « post-Kyoto ». La dernière COP en date, la vingtième, s’est
déroulée à Lima à la fin de 2014.
La Conférence de Lima : une dernière étape décevante avant la Conférence de Paris
La Conférence de Varsovie (COP 19) – qui s’était tenue en novembre
2013 – avait tenté de fixer une feuille de route en vue de la Conférence
de Paris (prévue pour fin 2015) où devrait être finalisé un accord
international destiné à entrer en application en 2020. La Conférence de
Lima a donc été la dernière COP avant celle de Paris. Dans les premiers
jours, l’optimisme semblait de mise. L’ambassadrice française pour les
négociations climatiques, Laurence Tubiana, déclarait : « Pour
l’instant, le processus de négociation fonctionne. Je ne rencontre aucun
pays qui ne veuille pas parvenir à un accord ». Mais elle précisait
toutefois que : « La différence de traitement entre les pays développés
et les pays en développement ne peut être résolue ici, c’est une
question trop politique ».
Nuance pour le moins importante dans la mesure où il s’agit d’un point de blocage essentiel non seulement depuis la Conférence de Bali (COP 13) qui avait lancé en 2007 le processus d’élaboration d’un régime « post-Kyoto » mais encore depuis le début même des négociations climatiques. On rappellera en effet qu’en mars 2001, le président Bush avait rejeté le Protocole de Kyoto notamment au motif qu’il exemptait la Chine de toute obligation de réduction de ses émissions de GES. Or, en 1990 [7], la Chine rejetait moitié moins de CO2 que les États-Unis, aujourd’hui, elle en rejette deux fois plus (Tableau 2).
Nuance pour le moins importante dans la mesure où il s’agit d’un point de blocage essentiel non seulement depuis la Conférence de Bali (COP 13) qui avait lancé en 2007 le processus d’élaboration d’un régime « post-Kyoto » mais encore depuis le début même des négociations climatiques. On rappellera en effet qu’en mars 2001, le président Bush avait rejeté le Protocole de Kyoto notamment au motif qu’il exemptait la Chine de toute obligation de réduction de ses émissions de GES. Or, en 1990 [7], la Chine rejetait moitié moins de CO2 que les États-Unis, aujourd’hui, elle en rejette deux fois plus (Tableau 2).
Il n’est donc pas étonnant dans ces conditions que le résultat de la
Conférence de Lima se soit révélé particulièrement décevant. L’accord
final rappelle en effet que la COP 21 (Paris, 2015) est censée aboutir à
l’adoption « d’un protocole, d’un autre instrument légal ou d’un
résultat convenu ayant force légale dans le cadre de la Convention
applicable à l’ensemble des parties » (art. 1). Il est naturellement
précisé que cet « accord ambitieux » doit « refléter le principe de
responsabilités communes mais différenciées et des capacités respectives
à la lumière de circonstances nationales différentes » (art. 2). Dit
autrement, rien de ferme n’a été acté ni sur le statut juridique du
texte à venir ni sur le niveau des réductions d’émission.
Et c’est ainsi que les Parties devront communiquer au cours du
premier trimestre 2015 leurs engagements de réduction de GES (art. 13).
Ces engagements seront déterminés par les pays eux-mêmes et devront
aller au-delà des actions déjà entreprises (art. 9 et 10). Au 1er
novembre un rapport sera publié qui fera la synthèse des engagements
présentés avant … le 1er octobre [8]
(art. 16, b) ! Tout cela ne sera à l’évidence pas trop contraignant
puisque l’article 14 indique que les documents d’engagement fournis par
les pays peuvent inclure, « afin de faciliter la clarté, la
transparence et la compréhension », des « informations quantifiables sur
le point de référence (année de référence), les cadres temporels et/ou
les périodes de mise en œuvre, […] les hypothèses et approches
méthodologiques y compris celles destinées à estimer et à mesurer les
émissions de gaz anthropique ».
À la lecture de ces différentes clauses, une conclusion s’impose : il
aurait fallu faire preuve d’une remarquable mauvaise volonté pour ne
pas réussir à se mettre d’accord sur un texte qui permet à chacun de
fixer ses propres réductions d’émissions sans avoir forcément à fournir
de base de calcul (et donc de vérification) à ces dernières. Comme le
dit à juste titre une ambassadrice européenne : « Il n’y a rien, aucune
avancée. Tout est reporté sur le Sommet de Paris. C’est déprimant, car
on aurait pu avancer. On préfère jouer avec le feu. […] Si on ne délivre
pas un accord dans un an, le processus de l’ONU est mort, Dead, fini » [9]. Le résultat de Lima est en apparence
d’autant plus surprenant qu’un mois auparavant la Chine et les
États-Unis semblaient s’être impliqués dans la lutte contre le
réchauffement climatique lors d’une déclaration conjointe faite en marge
du sommet de l’APEC. Cette « séquence » avait, selon Laurence Tubiana,
fait naître « un grand sentiment de possibilité » [10].
Toutefois, en matière de relations internationales, les « sentiments »
sont souvent trompeurs et, à coup sûr, moins fiables que les analyses.
La déclaration sino-américaine de Pékin : comment les États-Unis et la Chine réaffirment leur totale souveraineté
Le mercredi 12 novembre 2014, à Pékin, en marge du forum de
Coopération économique de l’Asie-Pacifique, Barack Obama et Xi Jinping
se sont en effet engagés à prendre des mesures afin de réduire les
émissions de GES de leurs pays respectifs. Cette décision – saluée en
France comme un « accord décisif sino-américain sur le climat » [11] quand le site de la Maison Blanche se contentait de parler d’une « annonce commune » (joint announcement)
– mérite d’être analysée de près. On notera tout d’abord que cette
annonce conjointe avait été négociée pendant neuf mois dans le plus
grand secret, ce qui en dit long sur la véritable volonté de coopération
de la Chine et des États-Unis dans le domaine du climat (comme dans
bien d’autres d’ailleurs) avec leurs autres partenaires.
Que dit exactement le document approuvé par Pékin et Washington ?
« Aujourd’hui, les présidents des États-Unis et de la Chine ont annoncé
leurs actions respectives en matière de changement climatique pour après
2020. […] Les États-Unis ont l’intention de réduire d’ici 2025 leurs
émissions de 25 à 28% par rapport à leur niveau de 2005 et de faire
tous les efforts possibles pour parvenir à 28%. La Chine a l’intention
de parvenir à son pic d’émissions de CO2 autour de 2030 et de faire tous
les efforts possibles pour l’atteindre avant. Elle a aussi l’intention
d’augmenter la part des énergies non fossiles dans la consommation
d’énergie primaire à environ 20% d’ici 2030. Les deux parties ont
l’intention de continuer à œuvrer afin d’accroitre leurs ambitions au
cours du temps » [12].
Une première constatation s’impose : Washington et Pékin ont d’ores
et déjà décidé de ce qu’ils feront respectivement d’ici 2020 ou autour
de 2030 comme s’il était exclu que la Conférence de Paris puisse aboutir
à des demandes d’engagements plus contraignants. Certes, l’intérêt du
président américain pour la question climatique comme d’ailleurs pour le
développement des technologies vertes n’est pas nouveau.
En 2008, il avait obtenu du Congrès que 100 des 787 milliards de
dollars de son plan de relance soient consacrés à des projets
environnementaux [13].
Le 24 février 2009, il déclarait devant les deux chambres du Congrès :
« Nous savons que le pays qui parviendra à exploiter la puissance de
l’énergie propre et renouvelable conduira le XXIe siècle. Et, pour le
moment, c’est la Chine qui a lancé le plus grand effort de l’histoire
afin de rendre son économie efficiente sur le plan énergétique. […] Je
n’accepte pas un futur où les emplois et les industries de demain
prendront racine hors de nos frontières. […] Il est temps pour
l’Amérique de reprendre son leadership. […] Mais, afin de
transformer véritablement notre économie, de protéger notre sécurité et
de sauver notre planète des ravages causés par le changement climatique,
nous avons besoin de faire de l’énergie propre et renouvelable le type
d’énergie économiquement rentable ». À l’évidence, une telle déclaration
entrecroise considérations écologiques et arguments économiques, la
lutte contre le changement climatique apparaissant alors clairement
comme un élément de la stratégie géoéconomique américaine.
En janvier 2011, lors de son discours sur l’état de l’Union, il
revint sur la course à l’espace qui avait débuté, un demi-siècle plus
tôt, par le traumatisme de la mise sur orbite d’un satellite par les
Soviétiques et s’était néanmoins achevée en 1969 par la victoire
américaine dans la course à la Lune et déclara : « C’est le moment
Spoutnik pour notre génération ». « Il y a deux ans, poursuivit-il, j’ai
dit que nous avions besoin d’atteindre un niveau de recherche et de
développement que nous n’avions pas vu depuis les grandes heures de la
course à l’espace. […] Nous allons investir dans la recherche
biomédicale, la technologie de l’information, et tout spécialement dans
la technologie de l’énergie propre, un investissement qui renforcera
notre sécurité, protégera notre planète et créera d’innombrables
emplois ». Ce sera, « le programme Apollo de notre époque ». Mais pour
que des percées technologiques engendrent des créations d’emplois encore
faut-il qu’existe un marché. Et le président annonçait alors un
objectif ambitieux : d’ici 2035, 80% de l’électricité produite aux
États-Unis devrait provenir de la mise en œuvre d’énergies propres.
Plus récemment, le 25 juin 2013, Barack Obama présentait à
l’Université Georgetown son Plan national d’action pour le climat. Parmi
les principales mesures annoncées : l’Agence de protection de
l’environnement américaine (EPA) établira d’ici 2015 des normes
d’émissions de CO2 pour les centrales à charbon, les terres fédérales
devront accueillir des projets éoliens et solaires afin de fournir du
courant à six millions de foyers en 2020, 8 milliards de dollars de
prêts sur fonds publics seront alloués au développement des technologies
vertes [14].
Reste que Barack Obama a perdu les élections de mi-mandat et que les
Républicains, désormais majoritaires au Congrès, ne se sont pas privés
de dire qu’ils s’opposeraient à la mise en œuvre des mesures annoncées à
Pékin. Il faut aussi s’interroger sur le choix de 2005 comme année de
référence. En effet, en 2005, les émissions américaines de CO2
s’élevaient à 5,94 Gt. En 2013, elles étaient descendues à 5,3 Gt, soit
une diminution de 10,7%. L’une des raisons de cette diminution est bien
sûr la crise de 2008. De fait, depuis 2009, les émissions américaines
ont oscillé entre 5,5 Gt (2010) et 5,17 (en 2012) [15]. Dit autrement, plus d’un tiers de l’effort promis a été réalisé sans effort particulier.
Du côté chinois, les choses ne sont pas plus encourageantes. En
effet, Pékin s’est engagé à ce que ses émissions de CO2 cessent
d’augmenter autour de 2030, c’est-à-dire dans 15 ans. Or, même si la
croissance chinoise n’est « que » de 5% par ans au cours de cette
décennie et demie, cela suffira à l’empire du Milieu pour doubler son
PIB et ainsi dépasser les États-Unis. Dit autrement, la Chine souhaite
que rien ne lui soit demandé en matière d’émissions de CO2 tant qu’elle
ne sera pas devenue la première puissance économique mondiale.
De plus, Pékin ne s’est ni engagé sur le niveau qui sera atteint
autour de 2030 ni, bien évidemment, sur une éventuelle diminution qui
interviendrait ensuite. Or, l’évolution des émissions chinoises est
particulièrement préoccupante (Tableau 2). En effet, en 1990, les
émissions chinoises représentaient la moitié des émissions américaines.
En 2006 la Chine rattrapait les États-Unis et 7 ans après elle émettait
deux fois plus de CO2 que ces derniers !
*En milliards de tonnes. **En tonnes. ***Les chiffres entre parenthèses expriment la part mondiale de la quantité exprimée.
Source : PBL Netherlands Environnemental Assessment Agency et European Commission Joint Research Centre, Long-term trends in global CO2 emissions, 2014 Report, p. 22-23.
Certes, ce taux de progression ne peut que se ralentir. Mais il
suffirait qu’au cours des quinze prochaines années la Chine n’augmente
ses émissions « que » de 50%, ce qui est une hypothèse assez
conservatrice, pour que ces dernières atteignent 15 Gt. Or, si l’on
souhaite éviter que la température terrestre s’élève de plus de 2°C
d’ici 2100, l’espèce humaine ne devrait pas rejeter plus de 1 456 GtCO2
au cours de ce siècle, soit un budget carbone annuel de 14,5 Gt, volume à
comparer aux rejets du G2 en 2013 (Tableau 2) [16].
La population chinoise aussi devrait atteindre son maximum autour de
2030 avec 1,45 milliard d’habitants. Dans l’hypothèse d’un volume
d’émissions chinoises de 15 Gt à cette date, les rejets par tête chinois
passeraient donc de 7,5 tonnes aujourd’hui (la moyenne de l’Union
européenne est de 7,3 tonnes) à un peu plus de 10 tonnes.
En fait, l’objectif aussi lointain que vague de Pékin nécessitera peu
de sacrifices. En effet, parmi les nombreux facteurs qui vont
contribuer à stabiliser à terme les émissions chinoises il y aura par
exemple le ralentissement de l’urbanisation mais aussi la modification
de la composition du PIB (Tableau 3). En effet, une récente étude de la
Banque mondiale a mis en évidence que la part de l’emploi dans
l’industrie à toute étape du développement d’une économie a décliné au
cours du temps. En ce qui concerne les économies émergentes, cela
signifie que le pic de la contribution de l’industrie intervient plus
rapidement et à un niveau plus bas que ce ne fut le cas pour les
anciennes nations industrialisées [17].
2030 est donc pour Pékin une date idéale. À ce moment-là, selon toute
vraisemblance, la Chine sera la première puissance économique du monde,
sa population commencera à décroître et la structure de son PIB se sera
transformée sous l’effet de la montée en puissance des services. Dans
le même temps, la position chinoise dans le domaine des technologies
vertes se sera également renforcée.
Source : The Economist, Pocket World in Figures. 2010 Edition, Londres, Profile Books, 2009 et Pocket World in Figures. 2015 Edition, Londres, Profile Books, 2014.
Néanmoins, cela ne signifie nullement que Pékin ne va rien faire dans
les années qui viennent en matière de lutte contre la pollution de
l’air. Quelques jours avant le sommet de l’APEC dont nous parlions plus
haut, Xi Jinping avouait : « Ces jours-ci, la première chose que je fais
le matin, c’est de vérifier la qualité de l’air à Pékin, dans l’espoir
que la pollution n’incommode pas les hôtes étrangers » [18].
Afin que ces derniers puissent jouir d’un ciel bleu, plus d’un millier
d’usines et toutes les administrations avaient été fermées et la
circulation automobile fortement restreinte. Malheureusement pour les
Pékinois, le sommet de l’APEC ne dure pas toute l’année. La pollution de
l’air constitue un véritable fléau pour les Chinois (plus de 650 000
décès prématurés par an) [19]
et une source de mécontentement croissant de la population. La
fragilisation de la légitimité du Parti communiste qui pourrait en
résulter a conduit celui-ci à adopter un certain nombre de mesures [20].
Cette volonté s’incarne notamment dans certaines dispositions des plans
quinquennaux (Tableau 4) ou dans l’annonce faite par Pékin le 19
novembre 2014 de stabiliser sa consommation de charbon (66% de son mix
énergétique) à 4,2 milliards de tonnes en 2020, contre 3,6 aujourd’hui [21].
* Indique que l’objectif est non pas théorique mais impératif dans le 12e Plan.
** Dans les grandes villes, l’air est jugé de qualité satisfaisante quand le niveau II est dépassé plus de 292 jours par an.
Source : OCDE, Études économiques de l’OCDE. Chine 2013, Paris, Éditions OCDE, mars 2013, p. 140.
Il n’en demeure pas moins que l’absence d’engagement de la Chine
avant 2030 est susceptible d’avoir de graves répercussions sur les
négociations à venir. En effet, si la Chine dont les émissions par tête
s’élèvent à 7,5 tonnes, refuse toute limitation d’émissions au cours des
quinze prochaines années, on ne voit pas bien ce qui pourrait amener
l’Inde ou le Brésil par exemple (pour prendre deux autres BRIC) à
s’engager dans une politique vigoureuse de lutte contre le changement
climatique alors que leurs rejets par tête respectifs se situent à 1,5
et 2,2 tonnes.
L’Union Européenne, quant à elle, table toujours sur son exemplarité.
En 2009, elle avait adopté un plan dite des « 3 fois 20 » : 20% de
baisse des émissions, 20% d’énergies renouvelables et 20% d’économie
d’énergie. Ce plan court jusqu’en 2020. Cependant, le 24 octobre
dernier, les Vingt Huit sont parvenus à un accord plus ambitieux : les
émissions de GES devront diminuer d’au moins 40% d’ici à 2030 par
rapport à leur niveau de 1990, la part des énergies renouvelables devra
atteindre 27% du mix énergétique et 27% d’économie d’énergie devront
être réalisées. Cet accord n’a cependant pas été obtenu sans mal. Comme
l’a expliqué Herman Von Rompuy, certains pays « contestent l’idée que
l’Europe doive faire plus que la Chine ou les États-Unis, et ils
voulaient avoir l’assurance de pouvoir rediscuter de certains aspects de
l’accord au vu des résultats de la Conférence de Paris. Mais il ne
s’agit pas de revenir sur ces trois piliers » [22].
On rappellera à ce sujet que la part de l’UE dans les émissions de CO2
dues à la combustion d’énergies fossiles est passée de 19% en 1990 à 11%
en 2012, ce qui correspond à une diminution de 13,8%. Les peuples
d’Europe accepteront-ils de continuer longtemps à montrer la voie alors
qu’ils ne représentent qu’une partie toujours plus faible du problème ?
Si le résultat de la Conférence de Paris devait être décevant, c’est une
question qui ne pourrait continuer à être être éludée.[...]»
Ler mais...
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