«Le décrochage des étudiants à l’Université ne peut être séparé du
décrochage de l’Université elle-même, et de sa segmentation au sein d’un
enseignement supérieur et d’un monde de la recherche en pleine
mutation.
« À l’université, les cas de souffrance au travail se multiplient » (Le Monde, 29.09.14, Isabelle Rey-Lefebvre ), « Université de Bordeaux : le burn-out après la fusion ? » (Rue 89,
2.04.14, Jonathan Guérin ), « Le burn-out des labos » (Le Monde,
17.2.14, Camille Thomine). Le malaise des universitaires s’affiche dans
la presse. Témoignant d’un mécanisme dorénavant classique de
psychologisation des rapports sociaux de travail , on emprunte le
vocabulaire de la psychologie pour relater les difficultés vécues par
des travailleurs. Tentant d’objectiver ce phénomène, la presse et les
organisations syndicales lancent des sondages sur les conditions de
travail des personnels de l’enseignement supérieur. Dans l’enquête en
ligne réalisée par Educpros, on peut lire un mécontentement profond lié
aux réformes successives de l’université et au sentiment que les
mouvements de 2003-2004 (Mouvement d’opposition à la loi d’orientation
et de programmation pour la recherche et l’innovation) et de 2007-2009
(Mouvement d’opposition à la loi relative aux libertés et
responsabilités des universités et à la modification du statut des
enseignants-chercheurs) n’ont pas été entendus par les responsables
politiques . Le baromètre Educpros permet de saisir différentes lignes
de clivage au sein des personnels de l’université. Tout d’abord, les
personnels administratifs subissent les premiers la précarité et disent
rencontrer des difficultés à faire leur travail dans des conditions
matérielles qui se détériorent. Comme dans les autres secteurs
d’activité, l’instabilité ne fait pas que pénaliser les titulaires de
contrats courts, elle désorganise les services et empêche les agents de
produire un service de qualité .
Ce « travail empêché » s’observe également du côté des
enseignants-chercheurs, qui se retrouvent confrontés à une injonction
paradoxale. En effet, ils assistent d’une part à une politique de
développement de l’ « excellence scientifique » portée par la
multiplication des « Labex » [1] , « Idex » [2] , « Equipex » [3],
la création de l’Agence Nationale pour la Recherche (ANR) et un décret
qui prévoit de « sanctionner » les enseignants-chercheurs qui ne
publieraient pas assez d’articles scientifiques en augmentant leur
charge d’enseignement. D’autre part, on enjoint Maîtres de conférences
et Professeurs d’université à participer à la « professionnalisation »
des cursus, à être attentifs à l’insertion professionnelle, à développer
l’apprentissage, à se rendre dans les établissements d’enseignement
secondaire pour y présenter leur formation, à lutter contre le
« décrochage »… À cette double contrainte s’ajoute le sentiment que les
moyens manquent et que les enseignants-chercheurs sont mis dans
l’obligation de prendre en charge des activités qui ne relèvent pas de
leurs attributions (réaliser les emplois du temps, faire le suivi
administratif des recrutements des enseignants vacataires, assurer
l’accompagnement social d’étudiants en difficultés…).
Il nous semble impossible de livrer une analyse d’un élément de la
politique universitaire comme celui concernant le « décrochage » en
passant sous silence la mise à l’épreuve du sens du métier
d’universitaire , tant cela pèse sur l’ensemble des décisions et la
possibilité de leur mise en œuvre. En bref, la question du décrochage
des étudiants à l’Université ne peut être séparée de celle du décrochage
de l’Université et de sa segmentation dans le paysage en mutations de
l’enseignement supérieur et de la recherche.
C’est dans ce contexte que la thématique du « décrochage » à
l’université et de la nécessaire lutte contre ce phénomène ont été
affichées comme une priorité des gouvernements successifs. Cette
priorité s’est d’abord manifestée par la mise en œuvre du « plan pour la
réussite à licence » porté par Valérie Pécresse en 2007. Le Fond
d’expérimentation pour la jeunesse a dans le même temps financé 15
projets visant à endiguer le « décrochage universitaire ». Une mission
parlementaire a été confiée à Christian Demuynck et un rapport a été
remis . Au cours de son bref passage au Ministère de l’Enseignement
supérieur et de la recherche, Laurent Wauquiez a placé son action dans
les pas de sa prédécesseure . Dès sa prise de fonction, Geneviève
Fioraso indique également que la réussite des étudiants, en particulier
en premier cycle était un des objectifs prioritaires assignés aux
Assises de l’enseignement supérieur et de la recherche :
« La réussite de tous les étudiants sera la première priorité avec une attention spécifique portée à la réussite en premier cycle, à l’orientation et l’insertion professionnelle, à l’innovation pédagogique et la formation des enseignants. »
Elle critique le « plan réussite en licence », parce qu’il est jugé
coûteux et inefficace. La ministre propose d’affecter les 1000 postes
par an consacrés à l’enseignement supérieur sur les 60 000 postes
annoncés par François Hollande lors de la campagne présidentielle , à la
réussite en Licence en 2013 . Depuis, elle rappelle régulièrement cet
engagement . Il s’agit dans les lignes qui suivent d’analyser la portée
de cet engagement. En préalable, il convient de revenir sur le
phénomène, de décrire les parcours des supposés « décrocheurs », afin de
réfléchir au sens et à la possibilité d’une telle politique.
Décrire le phénomène
Définir et mesurer
Décrire un phénomène suppose d’en construire une définition et une méthodologie permettant concomitamment d’en rendre compte. À la suite de travaux menés conjointement par le Céreq et l’Observatoire de la Vie Etudiante, on considère que 90 000 jeunes sortent de l’université sans y avoir obtenu un diplôme , soit 20% des inscrits en 2004 . Dans cette enquête, la définition retenue est celle « d’individus sortis de l’université sans diplôme et non réinscrits l’année suivante au moins » [4]. En interrogeant des individus entre un et quatre ans après leur dernière inscription, les auteurs se donnent la possibilité d’analyser le processus complet qui mènent des étudiants à s’inscrire dans une filière, puis in fine à arrêter leurs études en ayant parfois fait le choix de se réorienter au cours de leur parcours. Cette méthode permet en outre de mesurer le phénomène à l’aide des grandes enquêtes statistiques du Céreq [5].
Décrire un phénomène suppose d’en construire une définition et une méthodologie permettant concomitamment d’en rendre compte. À la suite de travaux menés conjointement par le Céreq et l’Observatoire de la Vie Etudiante, on considère que 90 000 jeunes sortent de l’université sans y avoir obtenu un diplôme , soit 20% des inscrits en 2004 . Dans cette enquête, la définition retenue est celle « d’individus sortis de l’université sans diplôme et non réinscrits l’année suivante au moins » [4]. En interrogeant des individus entre un et quatre ans après leur dernière inscription, les auteurs se donnent la possibilité d’analyser le processus complet qui mènent des étudiants à s’inscrire dans une filière, puis in fine à arrêter leurs études en ayant parfois fait le choix de se réorienter au cours de leur parcours. Cette méthode permet en outre de mesurer le phénomène à l’aide des grandes enquêtes statistiques du Céreq [5].
Toutefois, interroger des étudiants quelques années après leur
abandon des études supérieures ne permet pas de saisir les expériences
au moment où elles se vivent. Nous avons pour notre part, mené des
travaux par entretiens semi-directifs et par suivi longitudinal auprès
de jeunes inscrits à l’université ayant arrêté de se rendre en cours,
n’ayant pas passé les examens et ayant été ou non repérés par les
acteurs d’un dispositif de lutte contre le « décrochage à
l’université ». Si, contrairement aux travaux mentionnés plus haut,
notre méthode ne permet pas de rendre compte des éventuelles
réorientations et des possibles obtentions ultérieures de diplômes, elle
a l’avantage de se dérouler dans la même temporalité que celle du
processus qu’elle observe. En outre, elle se situe au moment même où les
acteurs publics agissent ; ce qui autorise à formuler une analyse de
l’adéquation entre problème posé et solution envisagée.
Rompre avec les fausses impressions
Qu’il s’agisse des intéressés eux-mêmes, de leurs parents, des professionnels de l’enseignement supérieur, ou des observateurs du secteur, on considère souvent le décrochage à l’université comme le résultat d’une mauvaise orientation. Arriver à l’université et mettre un terme à sa présence s’explique alors par le peu d’intérêt du jeune concerné par la filière dans laquelle il est inscrit. Sur ce point, nos observations nous amènent à douter de la pertinence de l’analyse. En interrogeant les principaux intéressés sur leur parcours scolaire et sur l’ensemble du processus d’orientation, on est amené à prendre acte de l’amélioration des dispositifs d’information mis à disposition des lycéens au moment où ils sont amenés à énoncer leurs choix. Que ce soit sur internet, dans les salons dédiés, au cours des journées portes ouvertes réalisées par les établissements, dans des échanges avec leurs enseignants au lycée et avec leurs camarades, les jeunes que nous avons rencontrés ont pris le temps de chercher des informations et de réfléchir à leur orientation . Mais, parce que leur candidature n’a souvent pas été retenue dans les filières dans lesquelles ils souhaitaient initialement étudier, ils s’inscrivent dans les formations qui relèvent de leur troisième ou quatrième « choix » . Dans ce cas précis, la notion de choix paraît toute relative et on doit moins parler de défaut d’orientation que d’orientation par défaut pour caractériser les parcours des dits « décrocheurs ».
Qu’il s’agisse des intéressés eux-mêmes, de leurs parents, des professionnels de l’enseignement supérieur, ou des observateurs du secteur, on considère souvent le décrochage à l’université comme le résultat d’une mauvaise orientation. Arriver à l’université et mettre un terme à sa présence s’explique alors par le peu d’intérêt du jeune concerné par la filière dans laquelle il est inscrit. Sur ce point, nos observations nous amènent à douter de la pertinence de l’analyse. En interrogeant les principaux intéressés sur leur parcours scolaire et sur l’ensemble du processus d’orientation, on est amené à prendre acte de l’amélioration des dispositifs d’information mis à disposition des lycéens au moment où ils sont amenés à énoncer leurs choix. Que ce soit sur internet, dans les salons dédiés, au cours des journées portes ouvertes réalisées par les établissements, dans des échanges avec leurs enseignants au lycée et avec leurs camarades, les jeunes que nous avons rencontrés ont pris le temps de chercher des informations et de réfléchir à leur orientation . Mais, parce que leur candidature n’a souvent pas été retenue dans les filières dans lesquelles ils souhaitaient initialement étudier, ils s’inscrivent dans les formations qui relèvent de leur troisième ou quatrième « choix » . Dans ce cas précis, la notion de choix paraît toute relative et on doit moins parler de défaut d’orientation que d’orientation par défaut pour caractériser les parcours des dits « décrocheurs ».
Caractériser des parcours
Si l’orientation par défaut est le point commun de l’ensemble de nos
enquêtés, on peut distinguer trois types de parcours ; ceux qui très
vite changent de filière, ceux qui choisissent l’université à la carte,
ceux qui cumulent les difficultés.
La réorientation d’office
Ces étudiants se sont inscrits en première année et ont pu se tourner vers une filière dans laquelle ils aspiraient aller. C’est le cas de toutes celles et ceux qui figuraient en liste complémentaire dans des filières sélectives, qui au gré des désistements ont la possibilité d’échapper au choix par défaut. Si ces étudiants s’éloignent de ceux qui sont pensés comme « décrocheurs » par les décideurs de l’université, ils ne figurent pas moins dans les statistiques locales tentant de décrire le phénomène. Dans la mesure où une inscription dans une section de technicien supérieur ou dans une école relevant de l’enseignement supérieur privé ne fait pas l’objet d’une déclaration dans un fichier unique, l’université considère l’étudiant comme décrocheur alors qu’il s’est réorienté souvent avant même d’avoir suivi un cours à la fac.
Ces étudiants se sont inscrits en première année et ont pu se tourner vers une filière dans laquelle ils aspiraient aller. C’est le cas de toutes celles et ceux qui figuraient en liste complémentaire dans des filières sélectives, qui au gré des désistements ont la possibilité d’échapper au choix par défaut. Si ces étudiants s’éloignent de ceux qui sont pensés comme « décrocheurs » par les décideurs de l’université, ils ne figurent pas moins dans les statistiques locales tentant de décrire le phénomène. Dans la mesure où une inscription dans une section de technicien supérieur ou dans une école relevant de l’enseignement supérieur privé ne fait pas l’objet d’une déclaration dans un fichier unique, l’université considère l’étudiant comme décrocheur alors qu’il s’est réorienté souvent avant même d’avoir suivi un cours à la fac.
L’université « à la carte »
Dans le cas présent, la fréquentation de l’université s’éloigne de son objectif habituel. Les étudiants n’ont pas pu aller dans la filière de leur choix et attribuent cette difficulté à un événement de leur parcours et du processus de sélection. Ils s’inscrivent alors à l’université non pas pour y suivre l’intégralité des enseignements de première année de licence et y valider une première année, mais souvent en attendant de pouvoir aller vers la formation à laquelle ils aspirent. Certains se sont vus refuser une inscription parce qu’ils n’avaient pas d’expérience « professionnelle » dans le secteur d’activité qu’ils visaient, tandis que d’autres ont raté un concours d’entrée parce que leur niveau à l’écrit était trop faible. Ils profitent alors de leur présence à l’université pour combler leurs lacunes, les uns en ayant un job étudiant, les autres en suivant en particulier les cours dans lesquels ils peuvent améliorer leurs capacités rédactionnelles. Cette inscription « en attendant mieux » est mise à profit, mais cadre mal avec les objectifs de l’institution qui dans un mouvement de rationalisation a des difficultés à reconnaître qu’on peut utiliser un outil à d’autres fins que celles initialement envisagées par ses promoteurs.
Dans le cas présent, la fréquentation de l’université s’éloigne de son objectif habituel. Les étudiants n’ont pas pu aller dans la filière de leur choix et attribuent cette difficulté à un événement de leur parcours et du processus de sélection. Ils s’inscrivent alors à l’université non pas pour y suivre l’intégralité des enseignements de première année de licence et y valider une première année, mais souvent en attendant de pouvoir aller vers la formation à laquelle ils aspirent. Certains se sont vus refuser une inscription parce qu’ils n’avaient pas d’expérience « professionnelle » dans le secteur d’activité qu’ils visaient, tandis que d’autres ont raté un concours d’entrée parce que leur niveau à l’écrit était trop faible. Ils profitent alors de leur présence à l’université pour combler leurs lacunes, les uns en ayant un job étudiant, les autres en suivant en particulier les cours dans lesquels ils peuvent améliorer leurs capacités rédactionnelles. Cette inscription « en attendant mieux » est mise à profit, mais cadre mal avec les objectifs de l’institution qui dans un mouvement de rationalisation a des difficultés à reconnaître qu’on peut utiliser un outil à d’autres fins que celles initialement envisagées par ses promoteurs.
Ceux qui cumulent les difficultés
Ce dernier type est le fait de jeunes cumulant difficultés scolaires et difficultés sociales. Hésitant à s’inscrire à l’université ou à entrer dans la vie active, ils finissent par opter pour la première solution sans y croire particulièrement. Plus souvent titulaires d’un baccalauréat professionnel ou d’un bac technologique obtenu de justesse que les précédents, ils sont également primo-bacheliers (première génération de bachelier dans leur famille). Ils évoquent un parcours scolaire non linéaire dès le collège et ont souvent « été orientés » précocement .
Ce dernier type est le fait de jeunes cumulant difficultés scolaires et difficultés sociales. Hésitant à s’inscrire à l’université ou à entrer dans la vie active, ils finissent par opter pour la première solution sans y croire particulièrement. Plus souvent titulaires d’un baccalauréat professionnel ou d’un bac technologique obtenu de justesse que les précédents, ils sont également primo-bacheliers (première génération de bachelier dans leur famille). Ils évoquent un parcours scolaire non linéaire dès le collège et ont souvent « été orientés » précocement .
Ces trois types de jeunes ont en commun de ne jamais réellement
devenir des étudiants. Éloignés du métier d’étudiant , parce qu’ils ne
se rendent pas à l’université pour y obtenir un diplôme et/ou pour y
apprendre des savoirs, leur passage à l’université n’est pas non plus
l’occasion d’une socialisation auprès de leurs pairs. Fondamentalement,
ils n’accrochent pas à l’université parce qu’ils sont et se vivent
comme étant trop éloignés de ses attentes. Si celles et ceux qui font
« l’université à la carte » se réapproprient l’institution pour leurs
propres fins, les jeunes qui « cumulent les difficultés » sont
confrontés à une violence sociale et symbolique forte. D’abord, parce
qu’ils se rendent vite compte que leurs bagages ne leur permettent pas
de suivre les enseignements théoriques et abstraits propres aux
disciplines académiques. Ils ne parlent pas la même langue que les
enseignants non seulement quand il s’agit du vocabulaire propre aux
contenus pédagogiques – ce qui est le cas des étudiants lambda et ce qui
fait partie du processus « normal » d’apprentissage – mais ils disent
ne pas comprendre toute une série d’expressions considérées comme
usuelles par le corps pédagogique. Ce processus d’infériorisation
sociale est redoublé par la proximité avec les étudiants, qui leur
manifestent avec plus ou moins de tact qu’ils ne sont pas au niveau .
Une intense mobilisation en faveur des étudiants en difficulté
Espérant endiguer le phénomène du « décrochage », de très nombreuses
initiatives ont vu le jour au cours des dernières années. Témoignant
d’une volonté d’avancer sur le sujet, le réseau des Services communs
universitaires d’information et d’orientation d’Ile-de-France publiait
récemment un document recensant plus de 60 dispositifs mis en œuvre pour
accompagner les étudiants depuis le moment de l’orientation au lycée
jusqu’aux réorientations en cours de formation. Si les moyens consacrés
demeurent relativement faibles , l’engagement des personnels de ces
services d’accompagnement est intense. Mais bonne volonté et
professionnalisme ne suffisent pas à faire (re)venir à l’université des
jeunes qui n’ont parfois pas assisté à plus de quelques jours (heures)
de cours. De la même manière, l’échec de bon nombre de dispositifs
financés par le Fond d’expérimentation pour la jeunesse s’explique moins
par la qualité de l’offre d’accompagnement à destination de ces jeunes
que par la difficulté de faire venir à l’université des individus qui
n’ont pas souhaité réellement y aller et qui y ont vécu des situations
inconfortables. On peut et on doit alors se demander pour quelles
raisons on laisse ces jeunes s’inscrire à l’université et la quitter
aussitôt ?
Laisser-faire, laisser-« décrocher »
Tout d’abord, le titre de bachelier garantit l’accès à la Licence.
Les syndicats étudiants sont divisés sur ce point. Syndicat encore
majoritaire, l’Unef est attachée à cette règle au point d’y consacrer
régulièrement un rapport.
Les organisations représentant les enseignants-chercheurs sont
également divisées. Une partie d’entre elles est attachée au système
actuel, tandis que depuis plusieurs années, Qualité de la Science
Française défend la sélection à l’entrée. Le débat agite la Conférence
des Présidents d’Université dont la commission formation a récemment
préconisé de « réserver l’entrée de droit en licence générale à certains
types de baccalauréat ».
Les ministres successifs ont régulièrement pris soin de ne pas
afficher une position tranchée. Ainsi, répondant à une question posée
par un journaliste du Point, Valérie Pécresse indique que la sélection existe déjà et qu’elle passe par l’échec en Licence.
La suite est connue, elle met en œuvre un dispositif d’ « orientation
active », dont le but est d’informer les lycéens qui envisagent de
s’inscrire dans une filière sur leurs « chances » d’y obtenir le
diplôme. Ce dispositif est coûteux en temps, parce qu’il mobilise les
responsables de première année de licence qui doivent étudier les
dossiers reçus, puis formuler des recommandations à distance, avant de
recevoir les élèves qui souhaiteraient avoir un entretien individuel.
Mais surtout, ce dispositif est peu efficace, parce qu’il vise juste à
transmettre une information à un élève, qui garde l’initiative de
s’inscrire dans la filière ou non. Interrogée sur le même point par un
journaliste du Monde, Geneviève Fioraso répond catégoriquement
« Notre objectif n’est pas d’augmenter la sélection à l’université » .
C’est également la position que vient de rappeler Najat
Vallaud-Belkacem, désormais en charge de l’enseignement supérieur, lors
de la première journée du congrès de l’Unef qui se tenait le 9 avril
dernier. Le spectre d’un grand mouvement étudiant comme celui de la fin
de l’année 1986 contre le projet de loi Devaquet (qui ouvrait la
possibilité de sélectionner à l’entrée) dissuade le personnel politique
de prendre des positions tranchées.
Des universitaires confrontés à une gestion par les nombres
Au-delà du risque politique bien réel, il serait toutefois naïf de
croire que l’on permet à ces jeunes de s’inscrire à l’université
simplement dans le but d’assurer un service public égalitaire. Parmi les
filières dites non-sélectives, certains cursus attirent en masse les
lycéens, tandis que d’autres ont vu leurs effectifs se réduire. Comme
dans le reste de la fonction publique, les universités ont construit des
indicateurs de gestion censés permettre le pilotage de l’établissement
et l’affectation optimale des ressources. Ainsi, dans les départements
dont l’avenir n’est pas menacé par la faiblesse de leurs effectifs
étudiants, il arrive que l’on organise la fuite de jeunes considérés
comme peu désirables. Tandis que d’autres filières dans lesquelles
l’avenir est conditionné au maintien d’effectifs déjà faibles et qui
jouent leur survie, les responsables pédagogiques font en sorte
d’inscrire le plus possible d’étudiants, quel que soit leur type de
baccalauréat . Pour illustrer le propos, il suffit de télécharger les
« livrets de l’étudiant de L1 » ou se rendre sur les sites internet de
certaines filières. On peut y lire des informations présentées comme
objectives sur la probabilité de réussir. L’encadré suivant reproduit le
passage d’un livret étudiant en restant fidèle à la mise en page
originale.
Un livret d’étudiant actuellement en ligne
Taux de réussite en L1
L’inscription en Licence ********* est ouverte à tous titulaires d’un bac, via APB.
Cependant le taux de réussite global à la L1 n’est que de la moitié des inscrits et les trois quarts de ceux qui se présentent aux examens. L’attention des étudiants est notamment attirée sur le fait que En 2010-11, sur les 55 bacs pro, STG et STI inscrits, AUCUN n’a validé son année.
En 2011-12, sur 68 candidats, UN SEUL a validé l’année.
Les bacheliers STG et pro qui désireraient changer d’orientation pour ****, **** ou **** retireront un dossier de réorientation en scolarité.
Le message est clair, il tient autant dans le contenu de l’énoncé que
dans sa forme . Les titulaires de certains baccalauréats sont invités à
se réorienter vers d’autres filières. Ces autres filières n’ont
d’autres choix que d’accueillir des bacheliers pas toujours intéressés
par leur offre de formation. Dans l’état actuel des systèmes de gestion
des ressources dans l’université, mieux vaut inscrire des étudiants
candidats au « décrochage » que ne pas pouvoir ouvrir une filière.
Les décideurs condamnés à l’impuissance ?
Il y a donc une sorte d’accord tacite entre les acteurs pour ne pas
empêcher des bacheliers de s’inscrire dont la probabilité de réussir à
l’université est extrêmement faible. Le Ministère indique lui-même que
2,7% des titulaires de bac professionnel inscrits à l’université
décrochent une licence , soit dix fois moins que les titulaires de bac
généraux. S’arrêter à ce constat laisserait croire qu’aucune initiative
ne serait de nature à résoudre le problème. Force est de constater que
différentes mesures doivent leur existence à la discrétion avec laquelle
elles sont mises en œuvre. En matière de lutte contre le
« décrochage », le silence est d’or.
Travailler par circulaire
Ainsi, se gardant de déclarations tonitruantes, le Ministère et à sa suite les rectorats procèdent par circulaires. Plutôt que de décourager les titulaires de bacs professionnels et technologiques d’aller à l’université, on favorise leur arrivée dans les sections de techniciens supérieurs (STS) et dans les instituts universitaires de technologie (IUT) :
Ainsi, se gardant de déclarations tonitruantes, le Ministère et à sa suite les rectorats procèdent par circulaires. Plutôt que de décourager les titulaires de bacs professionnels et technologiques d’aller à l’université, on favorise leur arrivée dans les sections de techniciens supérieurs (STS) et dans les instituts universitaires de technologie (IUT) :
« Actuellement, un grand nombre de nos élèves de terminale professionnelle et technologique s’oriente par défaut vers l’université, faute d’être accueillis dans les filières STS et IUT pourtant initialement conçues pour eux. Alors qu’au niveau national le taux de réussite des bacheliers professionnels en STS est 10 fois supérieur au taux de réussite en licence et celui des bacheliers technologiques en DUT est 5 fois supérieur à leur taux de réussite en licence. », une circulaire d’un rectorat intitulé « Admission en 1ère année de STS et CPGE (Classes Préparatoires aux Grandes Écoles) à la rentrée 2013 ».
Pour ce faire, le rectorat indique que les bacheliers professionnels et
technologiques ayant obtenu une mention bien ou très bien devront être
« admis de droit dans une sts ». Des mesures techniques s’ajoutent
également pour permettre l’insertion de ces bacheliers dans ces filières
et ainsi les empêcher de rejoindre l’université. À l’abri des regards,
on envoie les « meilleurs » vers les filières sélectives. Si on peut
supposer qu’une telle mesure a tendance à accroître la part de ces
bacheliers dans les effectifs de STS et IUT au détriment des titulaires
de bacs généraux et sans doute à limiter le « décrochage », il n’en
reste pas moins qu’elle a tendance à ne pas empêcher les « moins bons »
titulaires de bacs professionnels et technologiques – ceux qui ne sont
pas admis dans ces filières – de s’inscrire à l’université.[...]»
Ler mais...
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