La stratégie, vue par son fondateur, d'un groupe qui se veut l'illustration de la presse de demain
«Pascal Chevalier revient à peine d’une visite des
bureaux du groupe à Barcelone. L’occasion d’un séminaire dans la
capitale catalane. “En tant qu’actionnaire et patron, c’est aussi mon
rôle de réunir les équipes pour faire le point sur la stratégie et les
objectifs. Autant faire ça dans un endroit sympa et dans la bonne
humeur.” D’emblée, l’homme détonne. Dans les murs de Reworld Media à
Boulogne-Billancourt, à quelques encablures des locaux de TBWA, Pascal
Chevalier n’a apparemment pas la même vision du secteur de la presse que
la plupart des observateurs. L’entrepreneur du digital est tout en
confiance sur l’avenir.
À coups d’acquisition, le quadra a bâti un groupe de presse significatif épaulé par l’expérimenté homme de média Gauthier Normand. Leur objectif ? Dépoussiérer des marques médias –comme la vénérable Marie-France, Be ou Auto-Moto, rachetées au groupe Lagardère – et transformer leur notoriété en valeur économique. Et pourquoi pas ? Encore en phase d’investissement, le groupe n’entend pas s’arrêter là. “Dans les 2 ou 3 ans, le paysage des groupes du secteur aura dès lors complètement changé.” Une évidence. La question : avec ou sans Reworld Media ?
À coups d’acquisition, le quadra a bâti un groupe de presse significatif épaulé par l’expérimenté homme de média Gauthier Normand. Leur objectif ? Dépoussiérer des marques médias –comme la vénérable Marie-France, Be ou Auto-Moto, rachetées au groupe Lagardère – et transformer leur notoriété en valeur économique. Et pourquoi pas ? Encore en phase d’investissement, le groupe n’entend pas s’arrêter là. “Dans les 2 ou 3 ans, le paysage des groupes du secteur aura dès lors complètement changé.” Une évidence. La question : avec ou sans Reworld Media ?
Reworld
Media est un groupe média qui résulte d’un “build-up” de titres. Depuis
2012, nous avons racheté diverses marques média : Marie France, Be,
AutoMoto etc. À ce jour, Reworld Media est composé de 15 marques
déclinées sur l’ensemble des leviers de diffusion, en France et à
l’international. La dernière acquisition est un peu différente. En mars
dernier, nous sommes devenus le premier actionnaire du spécialiste du
marketing Tradedoubler. Notre périmètre change, car Tradedoubler réalise
180 millions d’euros de chiffre d’affaires à comparer à nos propres
66 millions d’euros. Nous avons repris ce groupe il y a trois ans avec
une vraie logique, à la fois industrielle et entrepreneuriale. On a
réussi à donner un peu de jeunesse et une certaine dynamique dans un
marché des médias qui, finalement, va très bien.
Le positionnement
Notre vision est qu’un groupe de média se construit désormais autour
de la data et de sa capacité à diffuser le bon message – information ou
communication – sur le bon support, à la bonne personne et au meilleur
moment. L’enjeu est donc de connaître le lecteur et lui adresser
l’information dont il a besoin.
Premièrement, notre groupe crée de l’information de qualité pour un
lecteur, la relation de confiance reposant sur la qualité des contenus
proposés. Deuxièmement, notre groupe est aussi marchand, par la régie
qui vend de la publicité à des annonceurs. Nous visons ainsi deux
cibles : le consommateur et le lecteur. Nous gérons à peu près
55 millions de points de contact par mois. Cela comprend nos
utilisateurs, qui sont un peu plus de 10 millions, les visiteurs uniques
des sites, autour de 4 millions par mois, les téléchargements de nos
applications mobiles, autour de 2 millions, et les inscrits sur les
réseaux sociaux, avec par exemple 700 000 pour Facebook.
“Notre vision est qu’un groupe de média se
construit désormais autour de la data et de sa capacité à diffuser le
bon message – information ou communication – sur le bon support, à la
bonne personne et au meilleur moment”
À ces indicateurs s’ajoutent les 10 millions de lecteurs de nos
magazines et les personnes exposées à tous nos produits vendus dans les
caisses des supermarchés de France, autour de 20 millions. Nous sommes
un nouvel acteur dont l’objectif est de construire un groupe média
leader dans divers univers de marques : le féminin, le life style et le
divertissement. Les groupes média ont subi Internet. La plupart sont
encore dans une logique où ils poussent sur Internet du contenu issu du
print sans vraiment le changer. Idem pour la pub : ils dupliquent les
modèles de régies sur papier sur le Web. Avant, ils vendaient de la
page, maintenant ils vendent du bandeau. Ça ne peut pas marcher.
Pourquoi ? Parce qu’Internet est avant tout un univers de performance.
Le vrai concurrent publicitaire des médias, c’est aujourd’hui Google.
La stratégie
Avant de restructurer, nous procédons à une diversification. Par
exemple avec ‘Marie France’ en 2013 : la marque n’avait pas de site
Internet et ne faisait rien dans le digital. L’équipe rédactionnelle
était plutôt partante. La régie publicitaire aussi. La première chose
que l’on a faite a donc été de lancer un site avec notre méthode
d’entrepreneur digital. C’est-à-dire très rapidement. En trois semaines,
un site Web est né. Ce n’était pas parfait mais il y avait quelque
chose. Nous avons vite formé les équipes. Tout cela a permis de créer
des premières audiences et de constituer les premières bases de données.
La restructuration se fait après.
“Concernant les personnels, ceux qui avaient
envie de faire la révolution digitale sont restés. Les autres sont
partis. Tout simplement”
Elle passe par des renégociations d’accords, comme sur le coût du
papier. Concernant les personnels, ceux qui avaient envie de faire la
révolution digitale sont restés. Les autres sont partis. Tout
simplement. Je considère les activités de ce secteur comme un business.
Je vois plutôt les opportunités, pas le déclin. Dans les médias, tout le
monde me dit qu’il faut restructurer, ce à quoi je réponds qu’il faut
d’abord investir.
Le modèle économique
Notre modèle économique repose sur la monétisation d’un contenu et
d’une audience de qualité. C’est la définition de base d’un groupe
média. Il ne faut pas trahir ce modèle. Le contenu est clé, et vous ne
verrez jamais chez nous de forum qui ne crée pas de la vraie audience
qualifiée. Nous sommes en auto-financement. Nous avons levé un peu moins
de 10 millions d’euros en Bourse. Des fonds d’investissement nous
accompagnent, notamment Idinvest, très présent dans le domaine de la
technologie, et le fonds singapourien Hera Capital. Intéressant car ils
ont un réseau en Asie pour nous aider sur le développement local. Dans
l’immédiat, nous n’avons pas besoin d’argent. Je suis un épicier : je
gagne de l’argent et je réfléchis après.
“Le contenu est clé, et vous ne verrez jamais chez nous de forum qui ne crée pas de la vraie audience qualifiée.”
Nous avons une capacité à récupérer les fonds significatifs, la
société a les moyens de faire des acquisitions. Ce n’est même plus une
histoire d’argent mais c’est une histoire de temps et de priorité.
Aujourd’hui, il est plus facile de déployer une marque à l’international
que d’aller racheter une énième société en France. Gérer de la
croissance est plus aisé que gérer de la restructuration. En France,
nous regardons quand même des dossiers en presse, Internet, radio. Notre
enjeu est de continuer à innover et à surprendre sur le marché en
prenant des risques. Nous restons attachés au levier international. Nous
croyons beaucoup à l’événementiel premium. Côté contenu, la vidéo est
vraiment le support de demain. Nous investissons massivement. Nous ne
lancerons pas pour autant une chaîne de télévision. Nos sites et le
mobile demeurent les principaux supports de diffusion.
Les journalistes
Pour faire un produit de qualité, il faut avoir des gens compétents,
capable d’écrire du contenu dans des formats différents. Le métier de
journaliste évolue dans la façon de produire du contenu et de le mettre
en avant. Il est nécessaire d’avoir une population de journalistes
multisupports. Nos équipes font du média à la fois digital et print.
Ensuite, les journalistes dans le groupe ont un centre de compétence
transversal aux marques.
“Nos équipes font du média à la fois digital et
print. Ensuite, les journalistes dans le groupe ont un centre de
compétence transversal aux marques”
Par exemple, il y a une personne spécialiste de la beauté mais pour
tous les supports. Le métier consiste à se mettre en scène sur les
réseaux sociaux Twitter, Facebook etc. Ensuite, il y a l’écriture des
articles, la gestion des newsletters, et toutes les interactions avec
les lecteurs. Le sujet le plus apprécié sera publié dans le magazine du
mois. La chaîne de production des articles a complètement changé. Cela
nécessite de former et d’apporter des outils de travail digitaux. C’est
un an de travail. Nos rédactions sont organisées en pôles de
compétences. Chaque journaliste manage par ailleurs des pigistes, des
experts et des contributeurs extérieurs.
La régie publicitaire
Elle est organisée par univers de marques : le féminin, le life style
et le divertissement. Nos équipes proposent aux annonceurs des
dispositifs centrés sur une marque qui correspond à une cible de
lectorat, ou alors qui sont centrés sur une cible plus large présente
sur l’ensemble des marques. Nous sommes une régie multisupports qui
propose du “cousu main” à l’annonceur. C’est finalement une approche
orientée “opération spéciale”.
C’est la publicité par habillage de sites Web qui fonctionne le
mieux. Les internautes viennent sur nos sites pour des informations. La
publicité autour du contenu est très efficace. La régie va trouver un
annonceur qui est cohérent avec l’écriture, et non pas l’inverse. Pas de
publireportage, mais de la publicité premium. Tous les annonceurs
voulant faire passer des valeurs de marque apprécient ces dispositifs.
“Nous ne sommes pas là pour concurrencer Carrefour, nous sommes des dénicheurs de tendances.”
Il y a aussi une partie performance pour les annonceurs voulant utiliser un espace comme la publicité avant ou après une vidéo.
Enfin, il y a toute la partie e-commerce. Nous n’avons pas de site de
vente, ni de logistique. C’est un autre métier, et nous, nous faisons
du contenu. Nous sommes éventuellement prescripteurs de bons produits à
travers certains articles. Nous proposons le concept de la box : contre
une trentaine d’euros par mois, nous nous engageons à livrer en plus du
magazine, un sac de produits sélectionnés par le pôle publishing. Avec
‘Marie-France’, le “bag” contient un produit de beauté, un accessoire de
mode, un livre, un produit de cuisine… ‘Be’ et ‘Gourmand’ proposent
aussi des coffrets. On parle de “content commerce”. Nous réalisons
1 million d’euros par an de chiffre d’affaires. Nous ne sommes pas là
pour concurrencer Carrefour, nous sommes des dénicheurs de tendances.
La presse magazine
Pour ceux qui s’appellent encore presse magazine, c’est la
catastrophe. Ils ne devraient plus s’appeler presse mais média. La
presse (papier) n’est plus qu’un support parmi d’autres. Penser de cette
façon résout le problème numéro 1 de cette industrie : la baisse de la
diffusion, et donc les surcoûts liés au prix du papier. Imprimer des
journaux va devenir de plus en plus insupportable. Cela n’a rien à voir
avec la qualité des contenus. Les usages changent et les gens, en
particulier les jeunes, lisent de moins en moins de journaux et
magazines papiers.
“Le support de diffusion papier est en crise, les medias de contenus vont au contraire très bien”
C’est comme ça. La presse doit faire face à une crise de diffusion.
Le support de diffusion papier est en crise, les medias de contenus
vont au contraire très bien. Les groupes de presse doivent investir aux
bons endroits. Investir sur le papier n’est pas dans le sens de
l’histoire. Mais pour beaucoup d’anciens éditeurs, il est difficile de
se remettre en cause.
La presse d’information politique et générale
Cette presse est confrontée à deux problématiques. Primo, le marché
de la “news” a basculé sur Internet. Les informations sont disponibles
gratuitement. Même parcellaires, ces contenus suffisent à une énorme
partie de la population. Sur ce marché, il y a une prime à la taille et à
l’investissement. BFM fait remarquablement le travail. Je pense qu’il
n’y a plus beaucoup de place pour d’autres acteurs, surtout sur
Internet.
“Il y a un vrai marché sur le traitement en
profondeur de sujets politiques et économiques. Il existe un lectorat
prêt à payer et des annonceurs prêts à investir dans des médias
éco-business qui décryptent des sujets à la fois en profondeur et dans
la durée”
En revanche, il y a un vrai marché sur le traitement en profondeur de
sujets politiques et économiques. Il existe un lectorat prêt à payer et
des annonceurs prêts à investir dans des médias éco-business qui
décryptent des sujets à la fois en profondeur et dans la durée. On est
dans un modèle de média leader d’opinion qui développe de multiples
micro-audiences sur des sujets pointus. Pour intéresser les publics, il
faut investir dans les rédactions et produire du contenu de qualité,
investir dans des commerciaux et des produits publicitaires innovants,
et enfin investir dans la technologie pour créer de l’audience et de la
valeur grâce à la data.
La consolidation des médias
En France, nous sommes entrés dans un cycle de changement
d’actionnaires. Il y a beaucoup de groupes familiaux, avec certains qui
s’intéressent au sujet et d’autres qui veulent vendre. Ce manque de
visibilité d’actionnaires forts dans les groupes de média, dans un
secteur en mutation, crée de l’instabilité. Il faut arrêter de se
plaindre : en tant qu’actionnaire et patron, mon rôle est aussi de
donner l’envie de faire. Cette crise de l’actionnariat familial
historique crée des opportunités pour des nouveaux entrants. Aujourd’hui
dans la presse, tout est à vendre !
“Aujourd’hui dans la presse, tout est à
vendre ! Les groupes où il n’y a pas de relève actionnariale, pas de
vision de la direction et pas de cohérence dans le management, seront
vendus dans les 2 ou 3 ans”
Les groupes où il n’y a pas de relève actionnariale, pas de vision de
la direction et pas de cohérence dans le management, seront vendus dans
les 2 ou 3 ans. Le paysage des groupes média aura dès lors complètement
changé.[...]»
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