quinta-feira, 30 de abril de 2015

Vu d'en haut Pascal Chevalier, Reworld Media : "Le support de diffusion papier est en crise, les medias de contenus vont au contraire très bien."

La stratégie, vue par son fondateur, d'un groupe qui se veut l'illustration de la presse de demain

pascal chevalier

«Pascal Chevalier revient à peine d’une visite des bureaux du groupe à Barcelone. L’occasion d’un séminaire dans la capitale catalane. “En tant qu’actionnaire et patron, c’est aussi mon rôle de réunir les équipes pour faire le point sur la stratégie et les objectifs. Autant faire ça dans un endroit sympa et dans la bonne humeur.” D’emblée, l’homme détonne. Dans les murs de Reworld Media à Boulogne-Billancourt, à quelques encablures des locaux de TBWA, Pascal Chevalier n’a apparemment pas la même vision du secteur de la presse que la plupart des observateurs. L’entrepreneur du digital est tout en confiance sur l’avenir.

À coups d’acquisition, le quadra a bâti un groupe de presse significatif épaulé par l’expérimenté homme de média Gauthier Normand. Leur objectif ? Dépoussiérer des marques médias –comme la vénérable Marie-France, Be ou Auto-Moto, rachetées au groupe Lagardère – et transformer leur notoriété en valeur économique. Et pourquoi pas ? Encore en phase d’investissement, le groupe n’entend pas s’arrêter là. “Dans les 2 ou 3 ans, le paysage des groupes du secteur aura dès lors complètement changé.” Une évidence. La question : avec ou sans Reworld Media ?

Reworld Media est un groupe média qui résulte d’un “build-up” de titres. Depuis 2012, nous avons racheté diverses marques média : Marie France, Be, AutoMoto etc. À ce jour, Reworld Media est composé de 15 marques déclinées sur l’ensemble des leviers de diffusion, en France et à l’international. La dernière acquisition est un peu différente. En mars dernier, nous sommes devenus le premier actionnaire du spécialiste du marketing Tradedoubler. Notre périmètre change, car Tradedoubler réalise 180 millions d’euros de chiffre d’affaires à comparer à nos propres 66 millions d’euros. Nous avons repris ce groupe il y a trois ans avec une vraie logique, à la fois industrielle et entrepreneuriale. On a réussi à donner un peu de jeunesse et une certaine dynamique dans un marché des médias qui, finalement, va très bien.

Le positionnement

Notre vision est qu’un groupe de média se construit désormais autour de la data et de sa capacité à diffuser le bon message – information ou communication – sur le bon support, à la bonne personne et au meilleur moment. L’enjeu est donc de connaître le lecteur et lui adresser l’information dont il a besoin.

Premièrement, notre groupe crée de l’information de qualité pour un lecteur, la relation de confiance reposant sur la qualité des contenus proposés. Deuxièmement, notre groupe est aussi marchand, par la régie qui vend de la publicité à des annonceurs. Nous visons ainsi deux cibles : le consommateur et le lecteur. Nous gérons à peu près 55 millions de points de contact par mois. Cela comprend nos utilisateurs, qui sont un peu plus de 10 millions, les visiteurs uniques des sites, autour de 4 millions par mois, les téléchargements de nos applications mobiles, autour de 2 millions, et les inscrits sur les réseaux sociaux, avec par exemple 700 000 pour Facebook.

“Notre vision est qu’un groupe de média se construit désormais autour de la data et de sa capacité à diffuser le bon message – information ou communication – sur le bon support, à la bonne personne et au meilleur moment”

À ces indicateurs s’ajoutent les 10 millions de lecteurs de nos magazines et les personnes exposées à tous nos produits vendus dans les caisses des supermarchés de France, autour de 20 millions. Nous sommes un nouvel acteur dont l’objectif est de construire un groupe média leader dans divers univers de marques : le féminin, le life style et le divertissement. Les groupes média ont subi Internet. La plupart sont encore dans une logique où ils poussent sur Internet du contenu issu du print sans vraiment le changer. Idem pour la pub : ils dupliquent les modèles de régies sur papier sur le Web. Avant, ils vendaient de la page, maintenant ils vendent du bandeau. Ça ne peut pas marcher. Pourquoi ? Parce qu’Internet est avant tout un univers de performance. Le vrai concurrent publicitaire des médias, c’est aujourd’hui Google.

La stratégie

Avant de restructurer, nous procédons à une diversification. Par exemple avec ‘Marie France’ en 2013 : la marque n’avait pas de site Internet et ne faisait rien dans le digital. L’équipe rédactionnelle était plutôt partante. La régie publicitaire aussi. La première chose que l’on a faite a donc été de lancer un site avec notre méthode d’entrepreneur digital. C’est-à-dire très rapidement. En trois semaines, un site Web est né. Ce n’était pas parfait mais il y avait quelque chose. Nous avons vite formé les équipes. Tout cela a permis de créer des premières audiences et de constituer les premières bases de données. La restructuration se fait après.

“Concernant les personnels, ceux qui avaient envie de faire la révolution digitale sont restés. Les autres sont partis. Tout simplement”

Elle passe par des renégociations d’accords, comme sur le coût du papier. Concernant les personnels, ceux qui avaient envie de faire la révolution digitale sont restés. Les autres sont partis. Tout simplement. Je considère les activités de ce secteur comme un business. Je vois plutôt les opportunités, pas le déclin. Dans les médias, tout le monde me dit qu’il faut restructurer, ce à quoi je réponds qu’il faut d’abord investir.

Le modèle économique

Notre modèle économique repose sur la monétisation d’un contenu et d’une audience de qualité. C’est la définition de base d’un groupe média. Il ne faut pas trahir ce modèle. Le contenu est clé, et vous ne verrez jamais chez nous de forum qui ne crée pas de la vraie audience qualifiée. Nous sommes en auto-financement. Nous avons levé un peu moins de 10 millions d’euros en Bourse. Des fonds d’investissement nous accompagnent, notamment Idinvest, très présent dans le domaine de la technologie, et le fonds singapourien Hera Capital. Intéressant car ils ont un réseau en Asie pour nous aider sur le développement local. Dans l’immédiat, nous n’avons pas besoin d’argent. Je suis un épicier : je gagne de l’argent et je réfléchis après.

“Le contenu est clé, et vous ne verrez jamais chez nous de forum qui ne crée pas de la vraie audience qualifiée.”

Nous avons une capacité à récupérer les fonds significatifs, la société a les moyens de faire des acquisitions. Ce n’est même plus une histoire d’argent mais c’est une histoire de temps et de priorité. Aujourd’hui, il est plus facile de déployer une marque à l’international que d’aller racheter une énième société en France. Gérer de la croissance est plus aisé que gérer de la restructuration. En France, nous regardons quand même des dossiers en presse, Internet, radio. Notre enjeu est de continuer à innover et à surprendre sur le marché en prenant des risques. Nous restons attachés au levier international. Nous croyons beaucoup à l’événementiel premium. Côté contenu, la vidéo est vraiment le support de demain. Nous investissons massivement. Nous ne lancerons pas pour autant une chaîne de télévision. Nos sites et le mobile demeurent les principaux supports de diffusion.

Les journalistes

Pour faire un produit de qualité, il faut avoir des gens compétents, capable d’écrire du contenu dans des formats différents. Le métier de journaliste évolue dans la façon de produire du contenu et de le mettre en avant. Il est nécessaire d’avoir une population de journalistes multisupports. Nos équipes font du média à la fois digital et print. Ensuite, les journalistes dans le groupe ont un centre de compétence transversal aux marques.

“Nos équipes font du média à la fois digital et print. Ensuite, les journalistes dans le groupe ont un centre de compétence transversal aux marques”

Par exemple, il y a une personne spécialiste de la beauté mais pour tous les supports. Le métier consiste à se mettre en scène sur les réseaux sociaux Twitter, Facebook etc. Ensuite, il y a l’écriture des articles, la gestion des newsletters, et toutes les interactions avec les lecteurs. Le sujet le plus apprécié sera publié dans le magazine du mois. La chaîne de production des articles a complètement changé. Cela nécessite de former et d’apporter des outils de travail digitaux. C’est un an de travail. Nos rédactions sont organisées en pôles de compétences. Chaque journaliste manage par ailleurs des pigistes, des experts et des contributeurs extérieurs.

La régie publicitaire

Elle est organisée par univers de marques : le féminin, le life style et le divertissement. Nos équipes proposent aux annonceurs des dispositifs centrés sur une marque qui correspond à une cible de lectorat, ou alors qui sont centrés sur une cible plus large présente sur l’ensemble des marques. Nous sommes une régie multisupports qui propose du “cousu main” à l’annonceur. C’est finalement une approche orientée “opération spéciale”.

C’est la publicité par habillage de sites Web qui fonctionne le mieux. Les internautes viennent sur nos sites pour des informations. La publicité autour du contenu est très efficace. La régie va trouver un annonceur qui est cohérent avec l’écriture, et non pas l’inverse. Pas de publireportage, mais de la publicité premium. Tous les annonceurs voulant faire passer des valeurs de marque apprécient ces dispositifs.

“Nous ne sommes pas là pour concurrencer Carrefour, nous sommes des dénicheurs de tendances.”

Il y a aussi une partie performance pour les annonceurs voulant utiliser un espace comme la publicité avant ou après une vidéo.

Enfin, il y a toute la partie e-commerce. Nous n’avons pas de site de vente, ni de logistique. C’est un autre métier, et nous, nous faisons du contenu. Nous sommes éventuellement prescripteurs de bons produits à travers certains articles. Nous proposons le concept de la box : contre une trentaine d’euros par mois, nous nous engageons à livrer en plus du magazine, un sac de produits sélectionnés par le pôle publishing. Avec ‘Marie-France’, le “bag” contient un produit de beauté, un accessoire de mode, un livre, un produit de cuisine… ‘Be’ et ‘Gourmand’ proposent aussi des coffrets. On parle de “content commerce”. Nous réalisons 1 million d’euros par an de chiffre d’affaires. Nous ne sommes pas là pour concurrencer Carrefour, nous sommes des dénicheurs de tendances.

La presse magazine

Pour ceux qui s’appellent encore presse magazine, c’est la catastrophe. Ils ne devraient plus s’appeler presse mais média. La presse (papier) n’est plus qu’un support parmi d’autres. Penser de cette façon résout le problème numéro 1 de cette industrie : la baisse de la diffusion, et donc les surcoûts liés au prix du papier. Imprimer des journaux va devenir de plus en plus insupportable. Cela n’a rien à voir avec la qualité des contenus. Les usages changent et les gens, en particulier les jeunes, lisent de moins en moins de journaux et magazines papiers.

“Le support de diffusion papier est en crise, les medias de contenus vont au contraire très bien”

C’est comme ça. La presse doit faire face à une crise de diffusion. Le support de diffusion papier est en crise, les medias de contenus vont au contraire très bien. Les groupes de presse doivent investir aux bons endroits. Investir sur le papier n’est pas dans le sens de l’histoire. Mais pour beaucoup d’anciens éditeurs, il est difficile de se remettre en cause.

La presse d’information politique et générale

Cette presse est confrontée à deux problématiques. Primo, le marché de la “news” a basculé sur Internet. Les informations sont disponibles gratuitement. Même parcellaires, ces contenus suffisent à une énorme partie de la population. Sur ce marché, il y a une prime à la taille et à l’investissement. BFM fait remarquablement le travail. Je pense qu’il n’y a plus beaucoup de place pour d’autres acteurs, surtout sur Internet.

“Il y a un vrai marché sur le traitement en profondeur de sujets politiques et économiques. Il existe un lectorat prêt à payer et des annonceurs prêts à investir dans des médias éco-business qui décryptent des sujets à la fois en profondeur et dans la durée”

En revanche, il y a un vrai marché sur le traitement en profondeur de sujets politiques et économiques. Il existe un lectorat prêt à payer et des annonceurs prêts à investir dans des médias éco-business qui décryptent des sujets à la fois en profondeur et dans la durée. On est dans un modèle de média leader d’opinion qui développe de multiples micro-audiences sur des sujets pointus. Pour intéresser les publics, il faut investir dans les rédactions et produire du contenu de qualité, investir dans des commerciaux et des produits publicitaires innovants, et enfin investir dans la technologie pour créer de l’audience et de la valeur grâce à la data.

La consolidation des médias

En France, nous sommes entrés dans un cycle de changement d’actionnaires. Il y a beaucoup de groupes familiaux, avec certains qui s’intéressent au sujet et d’autres qui veulent vendre. Ce manque de visibilité d’actionnaires forts dans les groupes de média, dans un secteur en mutation, crée de l’instabilité. Il faut arrêter de se plaindre : en tant qu’actionnaire et patron, mon rôle est aussi de donner l’envie de faire. Cette crise de l’actionnariat familial historique crée des opportunités pour des nouveaux entrants. Aujourd’hui dans la presse, tout est à vendre !

“Aujourd’hui dans la presse, tout est à vendre ! Les groupes où il n’y a pas de relève actionnariale, pas de vision de la direction et pas de cohérence dans le management, seront vendus dans les 2 ou 3 ans”

Les groupes où il n’y a pas de relève actionnariale, pas de vision de la direction et pas de cohérence dans le management, seront vendus dans les 2 ou 3 ans. Le paysage des groupes média aura dès lors complètement changé.[...]»

Ler mais...

Sem comentários:

Enviar um comentário